Couple de mérions superbes : mâle à gauche et femelle à droite

Il est bien connu que certaines espèces d'oiseaux viennent déposer leurs œufs dans le nid d'une autre espèce qui nourrit les oisillons intrus à la place de leurs parents biologiques. Qu'en est-il des stratégies adoptées de la part des espèces hôtes pour contrer ce parasitisme de couvée?

« Un casse-tête évolutif majeur continue de capter l'attention des naturalistes depuis des siècles : pourquoi les hôtes de parasites de leur couvée ne reconnaissent-ils généralement pas la progéniture parasite après leur éclosion de l'œuf, même lorsque l'hôte et les poussins parasites diffèrent à des degrés presque comiques?1 » Ainsi s'expriment deux chercheurs dans le préambule de leur étude sur les foulques. À cette question, une réponse pourrait être avancée : nourrir des oisillons présents dans le nid construit ou choisi par les parents est un comportement instinctif de sorte qu'il serait difficile pour les parents, en l'occurrence la femelle, de réprimer cet instinct en présence d'oisillons d'une autre espèce même s'il est reconnu comme un intrus.

La stratégie du mérion

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Depuis quelques années, des équipes de recherche ont pu identifier diverses stratégies mises à profit par certaines espèces pour lutter contre cette forme de parasitisme. Parmi ces mécanismes de défense de l'espèce hôte, ce n'est sans doute pas un hasard si celui qui consiste à rejeter les œufs de l'espèce parasitaire a été largement étudié à la différence du comportement de rejet des oisillons intrus. On peut supposer que rejeter un oisillon hors du nid et le condamner ainsi à une mort certaine nécessiterait de contrer un instinct plus intense lié au comportement nourricier d'oisillons lequel serait évidemment activé par la vue et les cris des petits. Une étude pourrait aller dans le sens de cette hypothèse. Une équipe de chercheurs et chercheuses, qui étudiaient le mérion superbe (Malurus cyaneus) dans la région d'Adélaïde, en Australie, ont constaté que les vocalisations, au moment de la nidification, différaient d'une femelle à l'autre. Les nids de cette espèce sont parasités par les œufs du coucou de Horsfield. L'équipe a découvert que les petits apprenaient le cri spécifique de leur mère alors qu'ils se trouvent encore dans l’œuf. La spécificité de ces émissions sonores constitue en fait une sorte de mot de passe qui permet à la mère de reconnaître ses petits, car l'oisillon du coucou qui naît plus tôt n'a pas le temps d'apprendre ce code sonore. La femelle mérion peut alors l'identifier comme ne faisant pas partie de sa portée et ne nourrit pas l'oisillon2. S'affaiblissant, il ne pourrait pas nuire aux autres oisillons qui naissent un peu plus tard et la mère n'aurait pas à le rejeter hors du nid pour protéger sa progéniture. Cette astuce aurait comme double avantage de protéger la couvée aussi bien des œufs parasites d'autres espèces que ceux de sa propre espèce étant donné que chaque femelle émet son propre cri d'identification quelques jours avant l'éclosion des œufs. On peut interpréter ce type de parade comme une stratégie qui consiste, non pas à supprimer un instinct, mais plutôt à en modifier le stimulus qui va déclencher le comportement nourricier de la femelle. Dans ce cas-ci, le stimulus n'est plus un simple cri indistinct d'un oisillon, mais une séquence sonore bien particulière. En fait, cette possibilité de substitution n'est pas entièrement nouvelle puisqu'on peut l'observer avec le phénomène de l'empreinte découvert par Konrad Lorenz en 1927 et qui avait été également, semble-t-il, observé par Oskar Heinroth en 1910. C'est en étudiant des choucas et par la suite des oies cendrées que Lorenz s'aperçut que la première chose en mouvement que les oisillons voient à leur naissance est considérée comme leur mère et la suivent pour le reste de leur vie. En milieu naturel, il s'agit de leur mère biologique. On peut considérer ce comportement comme un instinct. Lorenz découvrit qu'en se substituant à la mère, les oisillons le considéraient comme leur mère et se mettaient à le suivre partout. D'une certaine façon, il avait modifié le stimulus d'un comportement instinctif. Ce qui est nouveau dans l'étude avec le mérion superbe d'Australie, c'est que cette substitution se produit à travers un processus évolutif naturel.

D'une espèce à l'autre, la stratégie pour combattre le parasitisme de couvée diffère ce qui laisse penser que le jeu de l'évolution entre l'instinct et l'intelligence est d'une grande complexité. D'autres phénomènes évolutifs comme par exemple la complexification du cri d'alarme pour distinguer les types de prédateurs a pu avoir lieu sans nécessairement recourir à une substitution des stimuli inducteurs du comportement instinctif. L'évolution de la vie animale est trop riche pour qu'elle puisse se prêter à des généralisations.

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