La prescription de suppléments de testostérone chez les hommes de plus de 40 ans présentant des « symptômes d’andropause » a augmenté depuis une quinzaine d’années. Le sujet fait même l’objet ce mois-ci d’un documentaire à Tou.TV. Le Détecteur de rumeurs a toutefois constaté que l’existence même de l’andropause fait encore débat.
Cet article fait partie de la rubrique du Détecteur de rumeurs, cliquez ici pour accéder aux autres textes.
À lire également
Faits à retenir
- Les comparaisons avec la ménopause sont trompeuses
- Le diagnostic reste controversé
- Par contre, c’est un bon outil de marketing
L'origine du concept
En 1939, le médecin August A. Werner écrit dans le Journal de l’Association médicale américaine que plusieurs hommes passaient à travers une période similaire à celle des femmes lors de la ménopause. En 1944, les médecins Carl G. Heller et Gordon B. Myers publient, dans la même revue, un article sur la façon de diagnostiquer cette condition. Ils y mentionnent notamment que les médecins sont de plus en plus souvent interrogés là-dessus, non pas à cause du texte du Dr Werner, mais depuis la parution, quelques mois plus tôt, d’un texte du microbiologiste Paul De Kruif dans le populaire magazine Reader’s Digest.
Un processus très différent de la ménopause
Abonnez-vous à notre infolettre!
Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!
Selon le site du National Health Service (NHS) du Royaume-Uni, les termes « andropause » ou « ménopause masculine » sont trompeurs, puisqu’ils suggèrent que les symptômes décrits par certains hommes seraient dus à une baisse soudaine des hormones sexuelles, d’une façon similaire à ce qui survient chez la femme.
Cependant, la baisse de testostérone qui commence chez les hommes autour de l’âge de 30 ans se fait très graduellement, comme l’expliquait dès 2014 l’Endocrine Society dans un texte sur les mythes de la ménopause au masculin. En moyenne, les taux de testostérone diminuent d’environ 1,6 % par année, ajoutait en 2020 le Collège américain des médecins dans ses lignes directrices sur la prescription de suppléments de testostérone. De plus, pendant la ménopause, une femme cesse complètement de produire des ovules et devient donc stérile. Au contraire, chez les hommes, la fabrication de spermatozoïdes ne s’arrête pas avec l’âge.
Enfin, toutes les femmes vivront la ménopause un jour ou l’autre, alors que ce ne sont pas tous les hommes qui connaissent une baisse significative de testostérone. Par exemple, aux États-Unis, elle toucherait 20 % des hommes de plus de 60 ans, 30 % de ceux de plus de 70 ans et 50 % des plus de 80 ans, estimait le Collège américain.
Une conséquence du vieillissement?
Certains jeunes hommes peuvent souffrir d’une condition médicale les empêchant de produire de la testostérone (syndrome de Klinefelter, mauvais fonctionnement de l’hypophyse ou une blessure aux testicules). Les médecins parlent alors d’hypogonadisme classique et le traitement avec un supplément de testostérone est recommandé, soulignaient en 2015 des chercheurs de l’Agence américaine des aliments et drogues (FDA) dans un texte où ils se disaient préoccupés par la prescription de testostérone chez les hommes plus âgés.
Cependant, dans le cas d’un homme plus âgé, aucune raison médicale autre que la vieillesse ne peut expliquer la diminution des niveaux de testostérone. C’est ce qui a mené à l’apparition du terme « déficit androgénique lié à l’âge » (DALA). Les hommes touchés peuvent expérimenter certains des symptômes normalement associés à l’hypogonadisme classique, notaient les chercheurs de la FDA. Le diagnostic peut toutefois être complexe, en partie parce qu’il n’existe pas de consensus sur les critères, concluaient des scientifiques français dans une revue de littérature publiée en 2020.
En 2010, des chercheurs britanniques avaient étudié 3369 hommes de 40 à 79 ans et confirmé que plus le taux de testostérone diminue, plus certains symptômes risquent de faire leur apparition: réduction de la fréquence des érections matinales et des pensées à connotations sexuelles, problèmes érectiles, incapacité de marcher plus d’un kilomètre, perte d’énergie, tristesse et fatigue.
À partir de ces observations, les chercheurs ont donc établi les conditions nécessaires pour un diagnostic: présenter au moins trois symptômes sexuels et avoir des niveaux de testostérone inférieurs à 11 nmol par litre. En se basant sur ces critères, ils ont estimé qu’environ 2,1 % des hommes de 40 à 79 ans souffriraient de DALA.
Certaines études ont démontré que, pour les hommes avec un tel diagnostic, les suppléments de testostérone pouvaient être efficaces pour améliorer la libido et les érections, écrivait en 2018 l’Endocrine Society dans ses directives cliniques. Ils amélioreraient aussi l’humeur, mais de façon « modeste ». Toutefois, le Collège américain des médecins ne recommande pas de prescrire des suppléments de testostérone à des hommes âgés dans l’unique but d’améliorer l’énergie, la vitalité, le fonctionnement physique ou la cognition.
Un diagnostic controversé
C’est que l’existence même du DALA demeure controversée. En 2022, l’endocrinologue australien David J. Handelsman allait jusqu’à parler d’une maladie « inventée » qui contribue à pathologiser la vieillesse chez l’homme. Dans un autre article publié en 2021, les chercheurs de la FDA se demandaient aussi si la baisse de testostérone qui peut survenir avec l’âge ne correspondrait pas plutôt à un processus normal et ne serait donc pas nécessairement une maladie qu’il faut traiter. Les chercheurs français évoquaient aussi comme causes possibles de mauvaises habitudes de vie, le stress ou un burnout. Certaines maladies comme l’obésité ou le diabète de type 2 peuvent aussi affecter les niveaux de testostérone.
D’ailleurs, le NHS britannique souligne que les symptômes rapportés par les hommes en vieillissant n’ont souvent rien à voir avec les hormones. Selon David Handelsman, des études longitudinales montreraient que c’est plutôt l’accumulation de différentes maladies qui serait responsable de la chute de la testostérone observée avec l’âge.
Enfin, en 2015, les chercheurs de la FDA estimaient qu’il n’y avait toujours pas de preuves solides que d’augmenter artificiellement les taux de testostérone chez les hommes âgés serait bénéfique. Il existe en fait peu d’études sur les bénéfices à long terme des traitements à base de testostérone, relançait en 2020 le Collège américain.
Un coup de marketing
Il n’en demeure pas moins que la testostérone est de plus en plus prescrite, observaient déjà, en 2016, les chercheurs de la FDA. Aux États-Unis, la prescription de testostérone avait augmenté de 65 % entre 2009 et 2013. Alors qu’en 2000, les prescriptions de testostérone correspondaient à des ventes de 100 millions $, elles représentaient 13 ans plus tard un marché de 2,7 milliards $, rapportait l’endocrinologue américain Shalender Bhasin en 2021.
Et le marketing des produits à base de testostérone vise majoritairement les hommes d’âge mûr. Selon David Handelsman, la testostérone serait devenue une sorte de médicament anti-vieillissement. C’est d’ailleurs pour justifier son utilisation par les hommes d’âge mûr que l’industrie aurait recours à des termes comme ménopause masculine ou andropause. Le chercheur déplore donc qu’on parle peu des intérêts commerciaux derrière la promotion de la testostérone.
Verdict
La baisse de testostérone vécue par certains hommes de 40 ans et plus est très différente de la ménopause. Si une association a été observée entre certains symptômes, les experts ne s’entendent toujours pas sur la présence d’un réel lien. Des intérêts financiers pourraient aussi influencer le marketing autour de ces produits.
Photo: Devon / DepositPhotos