L'Araçari vert

 

Une étude réalisée au Biodôme de Montréal me donne l'occasion de revenir sur trois articles que j'ai fait paraître il y a quelques années.

Le patrimoine immatériel animal

Il y a 3 ans, j'avais écrit un article paru dans le magazine de l'Acfas qui présentait le concept de « patrimoine immatériel animal ». Ce même article a été publié par la suite dans 2 revues européennes, dont une revue bilingue publiée en français et en néerlandais. Peu de temps après, j'avais apporté, dans un deuxième article, quelques précisions quant au développement pratique pour la mise en place de cette idée. Dans ce premier temps, c'était surtout la participation citoyenne qui était ciblée bien que je mentionnais d'une certaine façon le travail de chercheurs pour la gestion des divers comportements des espèces animales enregistrés par les citoyennes et citoyens. Je parlais aussi de gestion d’écosystèmes urbains.

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L'expérience que je vais rapporter ici m'amène à parler de « patrimoine immatériel animal d'une ville », plus précisément dans ce cas-ci, celui de la ville de Montréal. Il faut noter qu'il existe en gros deux types d'écosystèmes urbains : les écosystèmes urbains ouverts et ceux qui sont fermés. Dans les premiers, les espèces ne rencontrent aucune limite physique à leur déplacement contrairement aux seconds. Les diverses sections d'un aquarium public en sont des exemples. À Montréal, l'Insectarium et le Biodôme constituent aussi des écosystèmes fermés. Un des avantages de ce type de milieu est qu'il permet d'étudier des espèces avec un meilleur contrôle des paramètres : physiques (température, humidité, luminosité...), biologiques (nombre d'individus, nourriture disponible...). Ce type d'écosystème offre aussi un autre avantage, celui d'enrichir le patrimoine animalier d'une ville d'espèces qui ne pourraient pas survivre dans la ville elle-même à l'extérieur de ces écosystèmes reconstitués. Pour permettre à ces espèces de bien s'acclimater à ce nouveau milieu, il est bien sûr nécessaire de bien connaître leur physiologie, mais aussi leurs comportements alimentaires et reproducteurs entre autres. Parfois ces études permettent d'observer pour la première fois un comportement particulier chez certaines espèces qu'il n'avait pas été possible d'observer en milieu naturel.

Étude du rôle des jeunes dans le comportement d'entraide pour nourrir les oisillons chez l'Araçari vert

L'Araçari vert (Pteroglossus viridis) est une espèce d'oiseau apparentée au toucan qu'on retrouve en Amérique du Sud. On peut en observer quelques individus au Biodôme de Montréal. Chez cette espèce, les jeunes capables de se nourrir par eux-même, mais qui n'ont pas encore atteint la maturité sexuelle aident leurs parents à nourrir les oisillons de la nouvelle portée. Une étude réalisée il y a quelques années cherchait à savoir si ces jeunes manifestaient ce comportement seulement dans le cas où ils ne trouvent pas d'endroits où nicher.

L'Araçari vert niche dans les cavités des arbres qu'il ne creuse pas lui-même et doit donc en trouver qui existent déjà. L'aménagement du Biodôme a facilité cette étude qui impliquait l'observation d'un couple adulte, 3 juvéniles femelles et une portée d'oisillons. L'auteur de cette recherche a pu s'assurer que les 3 jeunes femelles disposaient des cavités nécessaires pour quitter le couple parental et s'établir elles-mêmes à un autre endroit. En dépit de cette absence de contrainte, il a pu observer qu'elles ont aidé à nourrir les oisillons durant la période requise. Voilà un exemple documenté d'un autre type de comportement que je n'avais pas retenu dans l'un de mes articles que j'ai mentionnés comme pouvant faire partie du patrimoine immatériel d'une espèce animale.

L'intelligence transgénérationnelle

Une autre raison m'amène à vous parler de cette étude ici. Dans un autre article paru l'an passé, j'avais proposé le concept d'intelligence transgénérationnelle comme une autre manifestation de l'intelligence collective. Notre espèce mise à part, la seule autre espèce animale chez laquelle j'avais pu concevoir le type de collaboration vers un but commun qui implique deux ou plusieurs générations d'individus était le pic des chênes (Melanerpes formicivorus). Sur le plan évolutif, on pourrait alors s'étonner que cette seule autre espèce soit parvenue à ce niveau d'intelligence collective. Je concevais alors ce type de collaboration dans le monde animal uniquement pour un travail de construction.

Cette étude présentée ici offre un autre exemple de deux générations collaborant pour parvenir à un but commun mais qui est, cette fois, de nourrir des membres de leur espèce. Or même si cette forme de coopération est rare chez les oiseaux, elle est tout de même documentée chez 308 espèces et il n'est pas impossible qu'on puisse l'observer ailleurs dans le règne animal. Ce constat nous permettrait donc de penser que ce type d'intelligence collective est sans doute plus répandu qu'on aurait pu l'imaginer au premier abord. Reste à savoir dans quelle proportion ce comportement implique plus d'une génération.  

 

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