Entendons-nous d’abord sur une chose : « efficace » ne veut pas dire « changer le monde ». Ça, ça a déjà été fait : une partie imposante de la population est beaucoup plus sensibilisée, conscientisée, qu’elle ne l’était il y a 20 ou 30 ans.
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Mais ceux qui s’entêtent à nier la réalité ne seront certainement pas plus touchés par ces 24 heures qu’ils ne l’ont été par des reportages, des dossiers de magazine ou des livres. Le discours est trop moralisateur (à leurs yeux) et par-dessus tout, il émane d’Al Gore, celui qu’ils aiment haïr. Une haine viscérale : c’est ce qu’il déclenche chez beaucoup de climatosceptiques. Peut-être parce que, justement, il a été un vulgarisateur terriblement efficace. Donc, dangereux.
Retour en arrière. En 2006, le documentaire Une vérité qui dérange obtient un impact considérable (49 millions$ à travers le monde, et le 6e plus populaire documentaire de l’histoire aux États-Unis). Le message était puissant, et c’était du neuf pour beaucoup de gens. Y compris des sceptiques et des indifférents qui furent véritablement transformés.
Mais un des problèmes des 24 heures de réalité (Climate Reality Project) de cette semaine, c’est qu’elles ont repris grosso modo la même formule qu’Une vérité qui dérange, et nous ne sommes plus en 2006. Tout effort de vulgarisation doit être adapté s’il veut rejoindre un nouveau public. Les journalistes en savent quelque chose : les statistiques sur la couverture de l’environnement dans les grands médias montrent une hausse régulière du nombre de reportages jusqu’en 2007... et, depuis, un déclin. Comme si une lassitude s’était emparée des salles de rédaction.
De fait, en avez-vous seulement entendu parler, de ces 24 heures de réalité? Si vous n’avez lu ces derniers jours que des médias en français, peu de chances. Quelques entrefilets ici et là avant, dans la presse québécoise (pour souligner la présence d’un Québécois, Karel Mayrand) et française et puis, plus rien, ni pendant ni après.
Pourtant, il y en avait tout de même un peu, du contenu nouveau, par rapport à 2006 :
- On y pointait les erreurs les plus courantes des climatosceptiques (ça pourrait servir à ceux qui ne savent jamais quoi leur répondre) - Et on insistait beaucoup sur le concept de « marchands de doute » (l’expression provient du livre d’une historienne, Naomi Oreskes, que j’ai eu le plaisir de découvrir et d’interviewer l’an dernier), c’est-à-dire ces stratégies par lesquelles les pétrolières (entre autres) ont manipulé l’information sur le climat. Une réalité peu connue du grand public, parce qu’elle a surtout émergé dans des livres depuis la fin des années 2000.
Sauf que journalistiquement, ce ne sont pas des sujets gagnants. Les compagnies ont dépensé des millions en désinformation? Les firmes de relations publiques répètent les tactiques qui les ont bien servies pour défendre jadis le tabac? C’est choquant, ça fait un bon dossier de magazine, on peut même y consacrer une émission de radio « science et politique »... Mais on ne convaincra pas les rédacteurs en chef de journaux de faire la Une avec ça.
Ce qui, du coup, illustre les limites du journalisme scientifique dans les grands médias... Mais là non plus, on ne fera pas une grosse manchette avec ça.
Une percée pour les réseaux sociaux?
Reste donc un élément nouveau de ces 24 heures qui a peut-être été sous-estimé : l’utilisation des réseaux sociaux. D’une ampleur jamais vue auparavant : parce que l’événement était international (24 segments, un par fuseau horaire, 13 langues) mais aussi parce qu’il intégrait des économies émergentes (Brésil, Inde, Chine, etc.) qui ont leurs propres groupes de pression et leurs propres vedettes.
On dit souvent des réseaux sociaux qu’ils représentent une forme de communication dont il faudra un jour tenir compte. Eh bien ici, on a une mondialisation du réseautage, ce qui a certainement atteint un nouveau public. Des gens qui n’avaient pas été touchés par le film en 2006, et qui peuvent inventer des outils nouveaux pour communiquer la science. Qui sait?