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Les primatologues n’ont de cesse de nous rappeler que les humains n’ont pas inventé grand-chose par rapport aux autres primates, qu’ils n’ont que raffiné des prédispositions déjà présentes chez nos cousins. Deux exemples viennent une fois de plus le démontrer, l’un dans le domaine de l’économie, l’autre du côté de l’empathie.

Il faut d’abord peut-être rappeler que plus deux espèces ont un ancêtre commun récent évolutivement parlant , plus ces deux espèces sont susceptibles d’avoir conservé des traits anatomiques communs. Un chat et un tigre ont plus en commun qu’un chat et un chien, ou qu’un chat et une salamandre, parce que leur ancêtre commun est moins éloigné dans le temps.

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Mais un chat et un tigre ont également des comportements similaires parce que leur cerveau, qui coordonne ces comportements, a une structure plus proche que celle d’un cerveau de chien, par exemple. De sorte que l’on peut avoir une idée de l’apparition d’un certain type de comportement en regardant si d’autres espèces partagent ce comportement. Et si oui, à quelle distance ces autres espèces se situent dans l’arbre phylogénétique. Plus la distance sera grande, plus le comportement existe depuis longtemps et a des chances de jouer un rôle fondamental pour l’organisme.

Ce que la psychologue Laurie Santos, de l’université Yale, a donc mis en évidence avec cette démarche, c’est que des singes capucins peuvent non seulement apprendre rapidement à utiliser des jetons pour «acheter» de la nourriture auprès des expérimentateurs, mais qu’ils vont avoir des comportements économiques similaires aux humains. Ils vont par exemple assez vite être capables de faire des calculs coût-bénéfice, autrement dit de reconnaître chez quel expérimentateur ils peuvent en avoir plus pour leur argent. Et si les «vendeurs» font fluctuer leur prix, ils vont se faire une idée de la moyenne du prix chez les uns et les autres et orienter leurs achats en conséquence!

De son côté Jeffrey Mogil, du Département de psychologie de l’Université McGill, vient de publier une étude démontrant d’une part que les êtres humains ont plus d’empathie pour des gens qu’ils connaissent, ce qu’on peut très bien concevoir, mais d’autre part qu’on observe le même phénomène chez… la souris! Donc encore ici un certain comportement adopté dans une situation particulière a été conservé par l’évolution à travers les espèces (par l'intermédiaire de la conservation de certains circuits cérébraux), probablement parce qu’il a une valeur adaptative importante.

Mogil explique que la sensation subjective de douleur ressentie par un individu pour une même intensité d’un stimulus douloureux peut varier. Si par exemple un ou une proche souffre devant vous, vous allez ressentir la douleur qu'on vous inflige comme plus intense, un peu comme si, à cause de l’empathie, la douleur de la personne aimée qui souffre s’additionnait à la vôtre. Ce qui n’est pas le cas si l’autre individu qui souffre vous est étranger.

Or Mogil a pu observer que lorsqu’il rend moins efficace les effets physiologiques du stress chez un individu, qu’il soit humain ou souris, cet individu devient plus sensible à la douleur d’autres individus étrangers de son espèce. Et c'est ce qui est tout à fait remarquable. Car dans des conditions normales, un étranger élève naturellement chez un autre individu son niveau de stress. On voit donc comment l’élévation du taux de ces hormones de stress diminue normalement cette contagion émotionnelle qu’on appelle aussi empathie. Empathie que l'on a naturellement pour les individus que l’on connaît puisqu'ils ne constituent pas une source de stress pour nous.

Ce que l’expérience montre aussi, et qui est fort à propos en ces temps où la peur de l’autre est en vedette dans tous les grands médias, c’est que le simple fait de jouer à un jeu vidéo avec un inconnu fait baisser le niveau de stress suffisamment pour laisser apparaître l’empathie (et son marqueur, ici l'augmentation de la sensibilité à la douleur). Et le même phénomène s'observe chez la souris lorsqu’elle partage sa cage depuis un certain temps avec un congénère. Favoriser le vivre ensemble semble donc le meilleur moyen, de la souris à l’humain, pour enrayer la peur de l’autre et faire naître l’empathie nécessaire pour vivre paisiblement avec lui.

Tout cela pour dire, comme le démontre admirablement bien le petit vidéo de 4 minutes du dernier lien ci-bas, qu’il n’y a jamais eu une telle chose qu’un «premier être humain». Entre autres parce que les différents traits ou critères qui pourraient servir à établir une ligne de partage sur ce qui est humain et ce qui ne l'est pas remontent souvent à des espèces bien éloignées de l'Homo sapiens. Et qui plus est, à des espèces diverses pour différents traits. Tous les êtres vivants sont donc nos cousins, parfois proches, parfois plus éloignés. Et sans me faire l’avocat d’une position trop conservatrice, voire réactionnaire, je crois que nous devrions souvent avoir un peu plus de respect pour la famille…

Les liens:

Monkeys, money, and the primate origins of human irrationality

How Basic Are Behavioral Biases? Evidence from Capuchin Monkey Trading Behavior

L’empathie décryptée

Reducing Social Stress Elicits Emotional Contagion of Pain in Mouse and Human Strangers

There Was No First Human

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