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Qui n’a pas rêvé de détecter les menteurs, d’un simple regard, comme le font des personnages de séries télévisées américaines ? Si la capacité de ces personnages frôle davantage la fiction que la science, la détection du mensonge est un véritable intérêt de recherche scientifique. Malheureusement, après 50 ans d’articles révisés par les pairs sur la détection du mensonge, un constat est sans équivoque : il n’existe aucun comportement non verbal permettant à tout coup de détecter les menteurs.

Gratter son nez, baisser sa tête, cacher ses mains, détourner le regard, aucun de ces comportements, ni même une combinaison de ces comportements, ne sont des signes fiables de mensonges. D’ailleurs, Bella M. DePaulo et ses collègues ont non seulement montré dans leur méta-analyse Cues to Deception qu’aucun comportement n’était présent chez tous les menteurs et absent chez toutes les personnes qui disent la vérité, mais également que les indicateurs non verbaux de tromperie documentés sont généralement incertains et peu fiables, ce qui n’est pas sans conséquence sur la détection du mensonge.

Dans leur article de synthèse Pitfalls and Opportunities in Nonverbal and Verbal Lie Detection, Aldert Vrij, Pär Anders Granhag et Stephen Porter rappelle que l’absence de comportement similaire au nez de Pinocchio permet d’expliquer, en partie, pourquoi la capacité moyenne des individus à détecter les menteurs est à peine supérieure à celle attribuée au hasard. En effet, dans leur méta-analyse Accuracy of Deception Judgments, Charles F. Bond et Bella M. DePaulo ont montré que la capacité moyenne des individus à classer correctement les affirmations mensongères et celles véridiques était de 54 %, alors que celle attribuée au hasard est de 50 %. Selon Vrij, Granhag et Porter, la popularité de croyances non fondées au sujet du mensonge explique aussi cette faible capacité.

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Ainsi, la capacité des individus à détecter les menteurs peut être faussée par des croyances à l’effet que certains comportements non verbaux sont associés au mensonge, alors que ces associations n’ont pas plus de fondement scientifique que les techniques utilisées lors des ordalies au Moyen-Âge. Les croyances non fondées au sujet du mensonge sont d’ailleurs répandues autant chez les profanes que chez les professionnels, notamment ceux œuvrant dans le système judiciaire qui sont encouragés, par la voie de livres et de conférences, à utiliser des indicateurs non verbaux de tromperie non supportés par la recherche empirique.

Tel que le rappellent Vrij, Granhag et Porter, plusieurs chercheurs ont mis en évidence la popularité de croyances non fondées au sujet du mensonge chez les policiers. De plus, des décideurs d’ici et d’ailleurs croient erronément que différents comportements non verbaux sont associés à l’honnêteté et à la malhonnêteté. En plus du risque de conclure qu’un individu qui dit la vérité est un menteur et qu’un menteur est un individu qui dit la vérité, de telles croyances peuvent nuire au déroulement d’une enquête policière, mais également à l’issue d’un procès.

Par exemple, Stephen Porter et Leanne ten Brinke expliquent dans la Dangerous Decision Theory comment des indicateurs non verbaux de tromperie non supportés par la recherche empirique peuvent fausser l’intuition initiale d’un décideur sur le fait qu’un témoin soit ou non digne de confiance. La motivation à détecter les menteurs peut ensuite, de façon totalement inconsciente, amener un décideur à surévaluer les éléments d’un témoignage qui confirment son intuition initiale inexacte et à sous-évaluer ceux qui l’infirment. L’intuition finale d’un décideur sur le fait qu’un témoin soit ou non digne de confiance, un élément central dans l’évaluation de sa crédibilité, finira par être conforme son intuition initiale inexacte. Considérant que, selon la Cour suprême du Canada, la « crédibilité est une question omniprésente dans la plupart des procès, qui, dans sa portée la plus étendue, peut équivaloir à une décision sur la culpabilité ou l’innocence », la popularité de croyances non fondées au sujet du mensonge chez les professionnels du système judiciaire représente une problématique sérieuse, d’autant plus que des formations commercialisées à grande échelle enseignent des indicateurs non verbaux de tromperie non supportés par la recherche empirique.

D’ailleurs, bien que l’efficacité de nombreuses formations sur la détection du mensonge demeure inconnue, l’efficacité de celles ayant fait l’objet d’une évaluation est généralement mitigée. En effet, dans leur méta-analyse Does Training Improve the Detection of Deception?, Valerie Hauch et ses collègues ont vérifié empiriquement l’efficacité de formations sur la détection du mensonge. Les résultats ont non seulement mis en évidence que leur efficacité était généralement mitigée, mais également que l’enseignement des indicateurs non verbaux de tromperie documentés était d’une utilité limitée. Heureusement, tel que le rappelle Timothy R. Levine dans son article de synthèse New and Improved Accuracy Findings in Deception Detection Research, des résultats expérimentaux récents ont montré qu’il était possible, à l’aide de techniques spécifiques utilisées dans certains contextes, d’améliorer la capacité des individus à classer correctement les affirmations mensongères et celles véridiques à plus de 80 %.

Évidemment, ces résultats expérimentaux laissent entrevoir une importante contribution à l’établissement de meilleures pratiques professionnelles. Toutefois, leurs forces et leurs faiblesses appellent à la prudence. En effet, ces résultats expérimentaux exposés en détail dans des articles révisés par les pairs contribuent à un ensemble de connaissances scientifiques sur la détection du mensonge, et font l’objet d’accords et de désaccords également exposés en détail dans des articles révisés par les pairs.

En somme, bien que les connaissances scientifiques sur la détection du mensonge soient en constante évolution, fassent l’objet de débats entre chercheurs et puissent être austères à lire, le fait qu’elles soient le résultat de cheminements rigoureux et ouverts – facilement accessibles à qui sait où les chercher – offre à tout un chacun la possibilité de constater certaines de leurs limites et de prendre une décision plus éclairée quant à leur utilité dans l’établissement de meilleures pratiques professionnelles. Au contraire, l’utilisation de méthodes « révolutionnaires » afin de décoder les non-dits, commercialisées à grande échelle avant même d’avoir fait l’objet de démonstrations scientifiques probantes, représente un acte de confiance aveugle.

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