Yeux de l'espèce Phidippus pius

De prime abord, on doit faire la distinction entre l’œil, aussi rudimentaire qu'il soit, et le simple photodétecteur. Bien souvent, quand une structure dotée d'une nouvelle fonctionnalité fait son apparition, elle apparaît d'abord en un seul exemplaire, mais pas toujours. La question que je souhaite aborder ici est de savoir en combien d'exemplaires l’œil est apparu pour la première fois.

En fait, plus un organe et sa fonction sont simples, plus la possibilité est grande qu'il surgisse en 2, 3, 4, voire en de nombreuses copies, quitte à ce que celles-ci se révèlent être partiellement fonctionnelles. Cela a pu être le cas des premiers organes dédiés à la simple détection de la lumière sans qu'il soit alors question de vision. Ce qui n'a pas empêché ces structures d'évoluer chez certains organismes au point de permettre un apprentissage associatif simple, et cela, bien avant d'atteindre le stade de l’œil. C'est ce qui a été observé chez une espèce d'anémone. L'anémone de mer Nematostella vectensis qui ne possède pas d'yeux.

À propos de leur nombre dont dispose chaque organisme, on a l'habitude de penser qu'ils sont toujours au nombre de deux, ce qui n'est pas le cas pour toutes les espèces. Cela vient entre autres de la représentation qu'on se fait de la morphologie des animaux avec leur symétrie. Bien que ce ne soit pas toutes les espèces animales qui possèdent une symétrie bilatérale, cette morphologie est largement répandue, notamment chez les espèces vivant en milieu terrestre. Pourtant, ce type de morphologie ne contraint pas une espèce à ne posséder que deux yeux. En règle générale, les araignées sauteuses, par exemple, ont quatre paires d'yeux, ce qui n'empêche pas celles-ci de conserver une symétrie bilatérale.

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Lorsqu'il a fait son entrée sur la scène du vivant, l’œil est-il apparu pour la première fois en un unique exemplaire? Et si c'est le cas, est-ce que ce fut parmi les bilatériens, les organismes à symétrie bilatérale? Avec un seul œil, soit l'animal n'avait pas une morphologie complètement symétrique, soit l'organe de la vision se trouvait placé au milieu de la tête. Jusqu'à preuve du contraire, le règne animal a fait vraisemblablement son apparition en milieu aqueux, là où on retrouve éponges, anémones et méduses, entre autres espèces à symétrie radiale. Les bilatériens sont aussi présents de nos jours dans les eaux du globe autant chez les vertébrés (pensons aux nombreuses espèces de poissons) que chez les invertébrés. C'est du côté de ces derniers qu'il faudrait sans doute regarder pour chercher à savoir s'il n'aurait pas existé des organismes primitifs de type «cyclope». Or à moins d'une découverte fortuite d'un organisme primitif fossilisé ayant ces caractéristiques, il nous reste comme possibilité de rechercher celles-ci chez une espèce actuelle parmi les moins complexes. Qui dit organismes simples, dit petits organismes.

Et en y regardant de près, force nous est de constater que la symétrie latérale des deux yeux est présente même parmi ceux-ci. À titre d'exemple, la planaire, ce petit ver plat possède des yeux primitifs qui font office de photodétecteurs. De même pour le fameux tardigrade (il en existe de nombreuses espèces). Ce minuscule animal qu'on observe au microscope laisse apparaître deux petits points noirs qui sont ses yeux. De superbes vidéos réalisées par la microbiologiste Chloé Savard nous font même voir, dans une séquence, la naissance d'un bébé tardigrade sur laquelle on arrive, par moments, à distinguer les petits yeux.  

C'est du côté du zooplancton qu'on trouve ce qu'on cherche. Parmi ces animaux microscopiques vivant en abondance en milieu aquatique, deux espèces retiennent notre attention ici. Le cladocère épineux (Bythotrephes longimanus) et la puce d’eau en hameçon (Cercopagis pengoi), ces deux crustacés d’eau douce ont la particularité de ne posséder qu'un seul œil. Cela ne nous indique pas que c'est dans ce genre de configuration que l'organe de la vision a fait son apparition à ses débuts; cela nous indique par contre que c'est une possibilité bien réelle et, qui plus est, a pu se maintenir jusqu'à notre époque, et ce, malgré le phénomène de prédation.

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