Les virus de la grippe ont développé tant de résistances à une des deux classes d’antiviraux existants, les amantadines, que l’Agence de santé publique du Canada en déconseille l’utilisation pour traiter ou prévenir la grippe.

Le pays compte maintenant sur la seconde classe d’antiviraux grippaux, les inhibiteurs de la neuraminidase, dont fait partie le Tamiflu. On a stocké environ 45 millions de doses en prévision d’une épidémie, ou même d’une pandémie, de grippe. Or une étude récente suggère malheureusement que l’apparition de virus résistant à cet antiviral est à anticiper.

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Selon le Dr Guy Boivin, du Centre de recherche en infectiologie du CHUL, les virus de l’influenza pourraient devenir aussi coriaces face à l’attaque de ces molécules plus récentes, ce qu’on croyait improbable. Un article paru dernièrement dans la revue Antiviral Research vient contredire une théorie largement entérinée par la communauté scientifique. « Traditionnellement, on croyait les résistances peu menaçantes, car si le virus mute, il ne serait plus viable », explique le titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les virus en émergence et la résistance aux antiviraux.

Virulents et résistants aux médicaments La neuraminidase est un constituant vital pour le virus de la grippe. Il utilise les cellules qu’il infecte comme une véritable usine à fabriquer de nouveaux virus. La neuraminidase coupe le lien entre la cellule-usine et les virus rejetons, qui peuvent alors aller infecter de nouvelles cellules. L’infection se propage et s’aggrave…

Pour développer une résistance au Tamiflu, les virus de la grippe doivent nécessairement subir une mutation au niveau de la neuraminidase. Cela handicaperait gravement la capacité du virus à se propager, diminuant d’autant la virulence de l’infection. Enfin, c’est ce qu’on croyait. Selon les travaux du Dr Boivin chez la souris, certains virus mutés conservent toute leur virulence, ce qui remet en question cette croyance antérieure.

« Plutôt que d’attendre que la mutation survienne chez un patient, nous avons manipulé des virus de la grippe ordinaire en laboratoire », raconte-t-il. Les chercheurs ont inséré différentes mutations dans la neuraminidase ciblée par quelques antiviraux. « On reproduit rapidement en laboratoire ce qui a été rapporté chez quelques personnes dans le monde », précise le Dr Boivin.

Une fois la mutation recréée, on teste la résistance du virus aux différents médicaments. Pour le chercheur, il s’agit de « vérifier si ce sont les mêmes mutations qui entraînent la résistance à tous les antiviraux de cette famille ». Peu de solutions de rechange au Tamiflu Le Dr Boivin et son équipe ont testé quatre molécules: le Tamiflu et le Relenza, qui sont sur le marché, et deux molécules nouvelles dont les tests cliniques chez l’humain ne sont pas complétés à l’heure actuelle. Le chercheur annonce que « la bonne nouvelle, c’est que lorsque que l’on a une résistance à un de ces médicaments, ça ne veut pas dire que les autres inhibiteurs de la neuraminidase sont inefficaces ». On a toutefois observé quelques résistances croisées – une seule mutation qui entraîne des résistances à plusieurs médicaments. Aucune « troisième classe » d’antiviraux grippaux, qui attaqueraient une cible différente chez les virus, n’est en voie de développement.

L’idée, c’est bien sûr de se préparer à une éventuelle pandémie de grippe aviaire. On a rapporté trois cas de résistance de la fameuse souche aviaire H5N1 au Tamiflu chez l’humain. Le virus a acquis la résistance grâce à une mutation précise, la même que celle impliquée dans la résistance chez les virus de grippe ordinaires étudiés par le Dr Boivin. Heureusement, à l’heure actuelle, H5N1, même résistant au Tamiflu, reste sensible au Relenza.

Cette solution de rechange n’est pas non plus une panacée. « Il y a deux problèmes avec ce médicament », soutient le Dr Boivin. D’abord, il doit être administré par voie respiratoire, à l’aide d’une pompe comme celle utilisée par les asthmatiques. « La dextérité que ça demande peut poser problème aux personnes âgées qui souffrent de tremblements ou encore rendre difficile l’administration aux enfants », poursuit le chercheur. Deuxièmement, il arrive que les virus de la grippe se répandent au-delà du système respiratoire, dans le sang ou les intestins, là où le médicament ne se rend pas. Ce phénomène inquiétant, observé dans certains cas de grippe H5N1 chez l’humain, est monnaie courante chez les volailles infectées par la grippe aviaire.

L’effort canadien pour atteindre une proportion de 10 % de Relenza dans les stocks d’antiviraux grippaux est donc un bon début en prévision d’éventuelles résistances de la grippe aviaire au Tamiflu. Toutefois, avertit le Dr Boivin, le besoin de nouvelles molécules se fait sentir. En plus des deux qui sont homologuées au Canada, deux autres subissent des tests en vue de leur commercialisation, ce qui pourrait demander encore plusieurs années.

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