La critique n’est pas nouvelle, mais elle fait toujours plus mal quand elle provient de l’intérieur du milieu universitaire. Tout au long de la semaine, l’auteur français Jean-Jacques Salomon a présenté son constat déprimant aux médias et au public québécois. « Ceux qui font la promotion d’une responsabilité sociale sont une minorité », a-t-il déclaré devant un auditoire venu l’écouter au Coeur des sciences de l’Université du Québec à Montréal; « plus de pouvoir que de savoir : cette profession a exercé un pouvoir de plus en plus grand dans les affaires du monde » et pourtant, elle ne s’implique pas dans les affaires du monde. Et le clou qui a peut-être rendu le plus perplexes les étudiants présents : « ne reste pratiquement plus un seul domaine qui échappe à l’intérêt des états-major ».
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S’éloignant en effet des clichés propres à ce type de conférences —d'ordinaire, on honnit les scientifiques qui ont participé à la première bombe atomique ou aux armes chimiques— Jean-Jacques Salomon dénonce l’ensemble de la communauté scientifique. Plus précisément, la place croissante qu’y occupe le capitalisme. Il faudrait désormais parler, dit-il, d’une « science à vendre » ou seules comptent les applications pratiques —qu’elles soient militaires ou industrielles. D'où une concurrence accrue entre les chercheurs. D'où une course à l’exploit. Avec ses inévitables dérapages, comme cette fraude autour du clonage en Corée du Sud (voir ce texte).
Or, la communauté scientifique se prête de bonne grâce à cette évolution. « Ce qui fait des scientifiques des guerriers, ce n’est pas la production d’armes, mais le plaisir qu’ils ressentent à repousser les limites. » Empruntant à Freud un clin d’oeil provocateur : « c’est une érotisation de la recherche. »
Rassurez-vous, amis scientifiques, vous n’êtes « pas plus corrompus » que les autres. Les gens d’affaires (Enron, Norbourg et leurs collègues) et les politiciens ont bien des motifs d’être accusés d’irresponsabilité. Mais « la science se réclame d’une vertu supérieure ».
Mais si cette critique est justifiée, alors comment renverse-t-on la tendance? Salomon, qui est titulaire de la chaire Science, techniques et société au Conservatoire national des arts et métiers de France, se réclame d’une culture à cheval entre deux cultures : la science et les « humanités ». Sur cette base, il soutient qu’il faut revenir en arrière, à la formation. Les étudiants en science devraient être ouverts aux autres réalités que sont les sciences sociales. Pour l’instant, tout les pousse à juger que cela ne leur est d’aucune utilité, parce qu’ils ont des tas de choses à apprendre en très peu de temps —et aussi, parce qu’on ne leur en donne pas le temps.
L’inverse est d’ailleurs vrai : les futurs sociologues, historiens ou politologues devraient être eux aussi éveillés à une culture scientifique. « Que les sciences cessent d’être vues comme magiques. »
« Pour l’instant, concède-t-il, on en est loin. »