La présente chronique vise à se pencher sur un sujet d’intérêt public et à en décortiquer les enjeux avec un expert. Ce spécialiste répondra à mes questions afin d’affiner notre compréhension d’une problématique ciblée.
— Marie-Paule Primeau, rédactrice en chef de la revue Dire, Université de Montréal
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Qu’est-ce que la douleur chronique ?
La douleur chronique est une douleur qui persiste au-delà du délai habituel pour une guérison. En général, en général on utilise ce terme lorsqu’une douleur dure plus de trois mois. À ce moment-là, la douleur devient un syndrome ou une maladie en tant que telle, indépendante de la cause initiale. Par ailleurs, la douleur chronique est aussi associée à des conditions chroniques comme l’arthrose.
Quels sont les traitements conventionnels pour traiter la douleur chronique ?
Les approches les plus communes sont la médication, les infiltrations, la chirurgie, l’ergothérapie, la physiothérapie, la psychothérapie et l’acupuncture, entre autres. Dans un monde idéal, les traitements devraient être multidisciplinaires et multimodaux.
Comment en êtes-vous venu à proposer des ateliers de gestion de la douleur chronique par la méditation de pleine conscience ?
Après quelques années de pratique en douleur chronique, j’ai réalisé qu’il y avait une composante de la douleur qui n’était pas prise en charge et qui pouvait être soumise à la médiation de pleine conscience. Puisque je pratiquais déjà la pleine conscience avant de commencer mon travail en douleur chronique, j’ai pensé qu’en mariant les deux, il y avait peut-être là une solution. J’en suis donc venu à la même prise de conscience qui a poussé la Dre Jackie Gardner-Nix [voir encadré] à proposer des ateliers à ses patients.
En quoi consiste le programme que vous offrez ?
Le programme est donné sous la forme d’ateliers pendant 12 ou 13 semaines, à raison d’une fois par semaine pour une durée de 2 h 45 environ par séance. Celles-ci sont constituées de méditations guidées, qui sont la pierre angulaire du programme. Aussi, à chaque rencontre, un sujet en relation avec la douleur chronique est présenté. Chaque sujet est toujours abordé avec une optique de la pleine conscience. Une discussion entre les membres du groupe a lieu ensuite.
Est-ce que ce traitement s’adresse à tous ?
De façon générale, tous ceux qui souffrent de douleur chronique pourraient en bénéficier. C’est certain que la personne doit être ouverte à ce genre d’approche, quoique j’ai déjà eu des patients qui, de prime abord, étaient sceptiques. À mon avis, c’est un programme qui pourrait être offert en première intervention. Il ne devrait pas être un programme réservé aux patients qui n’ont pas eu beaucoup de succès avec les autres traitements. Idéalement, il devrait être proposé parallèlement aux autres traitements. Le but n’est pas qu’il remplace d’autres interventions, mais que cette méthode fasse partie d’un ensemble de possibilités. Nous remarquons que les autres traitements peuvent être plus efficaces pour les patients qui pratique la méditation de pleine conscience. Si une personne a une condition physique ou de santé mentale qui n’est pas bien contrôlée, cela serait une contre-indication, car la personne pourrait ne pas être en mesure de participer à des rencontres de groupe.
Quels sont les effets de la pleine conscience sur la douleur chronique ?
C’est une question complexe, à laquelle il est difficile de répondre en quelques mots. La pleine conscience, on peut en parler et l’intellectualiser, mais ça demeure une approche qui se comprend davantage par l’expérience. Cela étant dit, l’idée fondamentale de la pleine conscience, c’est d’amener son attention de façon délibérée au moment présent sans porter de jugement sur l’expérience vécue. Donc, si on associe cette définition à la douleur ou à un autre type de souffrance, l’idée n’est pas de changer le contenu de l’expérience, mais plutôt de changer la manière dont l’expérience est vécue. Par contre, il faut garder en tête que la pleine conscience ce n’est pas de la pensée positive.L’autre aspect, c’est que la souffrance vécue par la douleur chronique ne résulte pas seulement de la sensation physique, mais bien de la combinaison de la sensation physique et de ce que signifie l’expérience de la douleur pour la personne, l’effet que ça a sur elle. Avec la pleine conscience, on explore la capacité de départager la sensation physique des pensées et des émotions, qui font également partie de l’expérience de la douleur et qui sont, en grande partie, derrière la souffrance liée à la douleur.
N’est-il pas contradictoire de demander à un patient de se concentrer sur sa douleur lors de méditations alors que c’est une expérience pénible pour lui ?
C’est un défi de l’expliquer et de le faire comprendre, en effet. Lorsqu’une personne éprouve de la douleur chronique depuis longtemps, elle a développé des mécanismes de protection : elle veut ne pas y penser et se changer les idées. Ce comportement d’évitement peut aider jusqu’à un certain point ¾ la distraction peut même être utile en douleur chronique ¾ mais l’effet est de courte durée. Lorsqu’une personne s’entraîne à amener son attention sur la douleur, au début, oui, la douleur peut augmenter de façon transitoire, mais avec le temps, on se rend compte que l’expérience se transforme, puis que l’intensité de la douleur diminue. Le patient n’arrive pas à ce résultat du jour au lendemain. Les concepts de base de la pleine conscience sont abordés dans les premières semaines et la connection corps/esprit est explorée.Une fois ces enseignements compris, il est possible de travailler plus directement l’expérience de la douleur. C’est une des raisons pour laquelle la Dre Gardner-Nix a modifié le programme Mindfullness Based Stress Reduction. Elle a été très sensible à la réalité des personnes qui suivaient le programme. La cadence des informations, l’ordre des méditations et les sujets traités ont été considérés avec finesse.
Est-ce que la pleine conscience aide à gérer la douleur, ou est-ce qu’elle la réduit réellement ?
Les deux. L’approche pour le traitement de la douleur chronique n’est pas la même que pour une douleur aiguë.Pour une douleur aigüe, le traitement est axé sur la lésion ou sur la blessure. Quand la douleur aiguë devient chronique, il y a des changements au niveau du système nerveux central et du cerveau qui s’installent. Quand on parle de changement dans le système nerveux central, c’est sûr que tous les autres aspects entrent en ligne de compte, dont les pensées et les émotions. Le programme que nous offrons se penche sur tous ces aspects-là. Les personnes qui le suivent rapportent que leur niveau de douleur diminue, mais ce qui est encore plus important, c’est que même si pour certains elle n’est pas toujours grandement diminuée, son impact fonctionnel s’atténue. La personne est donc moins dérangée par sa douleur. Elle s’active davantage et sa qualité de vie augmente. En douleur chronique, il n’y a pas de séparation entre le biologique et le psychologique ; les deux ne font qu’un. Le corps et l’esprit ne sont pas séparés, ils sont intrinsèquement liés.
Comment mesurez-vous les effets du traitement ?
Les résultats des études sur les bienfaits des programmes de pleine conscience démontrent des effets bénéfiques intéressants par rapport à la douleur.En ce qui concerne le travail clinique avec nos groupes, les patients remplissent un questionnaire au début et à la fin du programme. Il s’agit d’une évaluation des répercussions du programme. Souvent, les bienfaits se manifestent pendant ou après les 12 semaines, mais parfois, c’est beaucoup plus tard. Certaines personnes sont mes propres patients, je peux donc évaluer le degré d’efficacité pour elles. Pour les autres, la rétroaction vient de leur médecin traitant. Pour certains de mes patients, je constate que les bienfaits de ce traitement dépassent parfois ceux des autres traitements que j’ai pu leur offrir pendant plusieurs années. Comme le but principal du programme est de permettre aux patients d’être plus fonctionnels, je suis satisfait quand ils retrouvent des habitudes de vie qu’ils avaient été obligés de laisser tomber. Oui, je souhaite que leur niveau de douleur baisse, mais surtout qu’ils puissent à nouveau faire certaines activités souhaitées.
Quelle proportion de vos patients prennent des opioïdes ?
Pour certains patients, l’utilisation des opioïdes de façon judicieuse peut faire encore partie du plan de traitement. Toutefois, ça demeure juste une partie du traitement qui sera combiné avec d’autres approches médicamenteuses et non-médicamenteuses.Les patients dirigés vers la clinique du CHUM, sont des patients dont la douleur a été difficile à contrôler. Les cas sont donc souvent complexes. Je ne veux pas minimiser les répercussions de la crise des opioïdes, mais je pense que les médias n’ont pas toujours bien départagé le problème de toxicomanie de l’utilisation des opioïdes dans la gestion de la douleur chronique. Parfois, on note un chevauchement, mais c’est une minorité de patients. Une incidence négative de la médiatisation de la crise des opioïdes, c’est que certains patients qui fonctionnaient très bien avec des doses raisonnables depuis des années se questionnent sur leur utilisation, ou c’est leur médecin qui remet en doute leur traitement. Pour certains patients, l’utilisation judicieuse des opioïdes est parfois justifiée.
Quels sont les limites du programme que vous offrez ?
Pour le patient, les bienfaits tirés du programme sont individuels. Je ne pense pas que ce soit une panacée. La question est de connaître nos attentes face à un traitement. Cela est vrai pour tout traitement. Si notre attente est d’éradiquer la douleur, ce n’est pas toujours possible. Par contre, si le but est de réduire la douleur à un niveau tolérable et d’améliorer la qualité de vie, alors oui, la pleine conscience est indiquée.
Certaines personnes critiquent la pleine conscience, car elle est souvent présentée comme une solution facile, même miraculeuse. De plus, certains craignent la réaction à cette méthode que pourraient avoir des personnes fragilisées.
Ces critiques sont tout à fait justifiées. Cette approche n’est pas miraculeuse. La douleur chronique demeure une condition souvent complexe qui nécessite des approches multiples. La pleine conscience est un outil parmi d’autres. Les craintes dont vous me parlez sont fondées. Dans le milieu de la pleine conscience, on est sensible à cet aspect-là. La pleine conscience n’est pas une approche bénigne, car des émotions et des souvenirs peuvent remonter à la surface, que ce soit pendant la méditation ou après. Parfois, les patients ont des histoires de traumatismes. Lors de l’animation d’un groupe, je reste à l’affût des réactions. Le cas échéant, si un patient a un besoin particulier, je le dirige vers un professionnel de la santé approprié. En outre, ces aspects font d’ailleurs partie du curriculum offert aux professionnels de la santé lors de la formation pour le programme de gestion de la douleur chronique par la pleine conscience.
Y a-t-il des entraves à l’accès au programme ?
Il y a des entraves purement administratives, comme l’accès au programme. J’espère que de plus en plus de personnes seront formées au Québec d’ici quelques années. Aussi, les professionnels de la santé ne connaissent pas toujours cette approche de pleine conscience pour la gestion de la douleur chronique. Il y a quelques semaines, j’ai justement donné une conférence sur le sujet dans le cadre du congrès annuel des médecins de famille organisé par McGill. C’est ce genre de forum éducatif qui fera connaîtrecette approche-là. Bien sûr, ça ne se fera pas du jour au lendemain, mais petit à petit, plus de professionnels pourront offrir le programme et ainsi augmenter son accessibilité.
Quelle est la portée de la perception de la douleur chronique du corps médical sur l’expérience du patient ?
Considérable.Les patients souffrant de douleur chronique me rapporte souvent se sentir mal compris par le corps médical. Les conséquences sont très importantes. De prime abord, tout patient qui me dit qu’il a de la douleur, je ne la remets pas en question. C’est une leçon que j’ai apprise par l’expérience, car comme médecin j’apprends de mes patients et de leur expérience de vie. Je m’en doutais déjà, mais j’ai constaté à quel point les retombées étaient extrêmement néfastes pour les patients qui n’ont pas été reconnus. Cela étant dit, ce n’est pas de la mauvaise volonté de la part des médecins. Parfois, ils sont pris au dépourvu devant les personnes souffrant de douleur chronique. Il arrive donc que le médecin transmette le message à son patient, de façon consciente ou inconsciente, qu’il n’a aucun traitement à lui offrir. Ce qui est faux. Même si la douleur chronique, dans la majorité des cas, ne se guérit pas, des traitements pour la soulager existent. Une prise en charge d’une maladie est toujours possible, peu importe sa nature.
Que réserve l’avenir pour le traitement de la douleur chronique ?
Depuis quelques années, au CHUM, la direction de la clinique a augmenté les ressources existantes et a élargi son offre avec des traitements non conventionnels, comme le yoga sur chaise, des ateliers d’art, des groupes d’éducation thérapeutique et la pleine conscience. La multidisciplinarité des approches et la concertation des spécialistes sont de plus en plus mises de l’avant. Au CHUM, nous avons un nouveau projet qui s’appelle ECHO. C’est une idée qui a vu le jour aux États-Unis. Ce projet offre un soutien aux professionnels de la santé, que ce soit des médecins de famille, des infirmières praticiennes, etc. Ils peuvent présenter des cas par la plateforme ZOOM au groupe de professionnels de la Clinique de la douleur du CHUM, qui inclut des médecins de famille spécialisés en douleur chronique, des anesthésistes, une neurologue, une psychiatre, une pharmacienne, une physiothérapeute, des psychologues, une travailleuse sociale. Nous nous réunissons une fois par semaine et les professionnels de la santé de la communauté sont invités à nous présenter un cas en douleur chronique, parfois un cas complexe, afin que nous puissions faire un remue-méninges pour trouver des solutions. Cette démarche bénéficie au patient et à la personne qui présente le cas, mais tous tirent profit de cet échange. Ce soutien consultatif est très utile pour les médecins en première ligne d’intervention.