«La base de toute bonne science», s’indigne l’un de ces experts, «c’est que toute explication doit être enracinée dans une étude empirique solide du phénomène. Et le fait est que, à ce stade, nous n’avons pas ça.»
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Stephen Reicher, un de ces experts de la psychologie des foules à l’Université St. Andrews, en Angleterre, parle bien sûr des émeutes qui ont secoué son pays la semaine dernière. Il a reçu beaucoup d’appels de journalistes, mais il a aussi écouté beaucoup de ses collègues répondre à d’autres journalistes. Et le tout donne, dit-il au Scientific American , «de la mauvaise communication scientifique à grande échelle».
Par exemple, cet article du Guardian sur «la psychologie des émeutiers». Kay Nooney, une psychologue spécialiste du travail en prison, y explique que le déroulement de ces émeutes est similaire aux émeutes en prison: «pas d’objectif ultime, juste un grand nombre de gens avec un passé de comportements impulsifs».
Bref, des émeutiers pathologiques? Une notion intéressante, mais «discréditée» depuis longtemps selon Reicher. Et quand bien même ne le serait-elle pas, cette notion n'est pas vraiment soutenue par les faits.
Ou bien ce reportage de la BBC. Le psychologue James Thompson y explique l’effet spectateur, c’est-à-dire «s’ils le font, pourquoi pas moi?» Et le psychologue Jason Nier y ajoute la théorie de la «désindividualisation» —l’anonymat dans une foule ferait tomber nos inhibitions. Deux théories intéressantes, mais vieillies, parce que fortement critiquées par des années de recherche menées depuis qu’elles ont été avancées.
«Comment pouvez-vous expliquer quelque chose quand vous ne savez même pas ce qu’est ce quelque chose?» demande tout haut Stephen Reicher. Par exemple, qu’est-ce qu’un émeutier typique? Une personne marginalisée par la société? C’est ce qu’on aimerait croire, mais d’autres psychologues ont nuancé cette hypothèse... dès les années 1960! C’était aux États-Unis, où la Commission Kerner, instituée après une série d’émeutes raciales, ont montré que «l’émeutier moyen des ghettos» était plus scolarisé que la moyenne, du moins dans sa communauté.
Comme le rappelle le journaliste Taylor Burns, auteur du texte du Scientific American, il y a dans toutes ces contradictions une leçon sur la façon dont la science progresse.
La science, à certains niveaux, progresse vite mais s’infiltre lentement. Par exemple, la notion de désindividualisation. C’est vrai que vous la voyez encore dans les notes de cours [en psychologie]. Mais il y a des preuves accumulées depuis 20 à 30 ans comme quoi la notion ne colle pas. Dans les groupes, quand les gens deviennent anonymes, ce qu’ils font est de basculer d’une identité individuelle à une identité sociale et dès lors, agissent sur la base de normes et de valeurs collectives.
Le danger est encore plus élevé avec les sciences sociales, où la définition d’un concept —un émeutier, par exemple— peut effectivement varier d’une recherche à l’autre, en autant que le chercheur ait clairement établi ses balises dès l'introduction. Alors qu’en science, une cellule souche reste une cellule souche, quelle que soit la recherche.
Par exemple, ce serait inusité de voir un biologiste des cellules souches figurer dans un reportage sur le comportement animal. Pourtant, le biais journalistique à l’égard des sciences sociales semble être que, parce qu’elles sont «sociales»... leurs praticiens devraient être capables de commenter toute une série de sujets sans liens entre eux.