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Avril 1955. Alors que les cendres de son génial propriétaire se dispersent au vent, le cerveau d’Albert Einstein commence une deuxième vie. Prélevé à Princeton par le pathologiste Thomas Harvey, il est immortalisé sur papier glacé et transmis à la postérité en pièces détachées. Les décennies passent; certains clichés sont égarés.

Ce n’est qu’en novembre 2012 que 14 de ces photos oubliées refont surface, grâce à l’analyse publiée dans la revue Brain par l’anthropologue américaine Dean Falk.

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Alléchante, cette étude laisse pourtant le lecteur sur sa faim. Le profane retiendra que la forme singulière des lobes pariétaux d’Einstein expliquerait ses dons mathématiques, et les replis complexes de son cortex préfrontal, ses raisonnements fulgurants. Le scientifique conclura surtout que les investigations sur l’intelligence du physicien se suivent et se ressemblent.

Pour Franco Lepore, professeur de neuropsychologie à l’Université de Montréal, les résultats présentés dans Bra in n’apprennent rien de plus que ceux d’une autre publication datant de 1999. «Grâce aux techniques d’imagerie, on n’a plus besoin d’études sur Einstein pour comprendre le cerveau. En plus, elles ne nous disent pas vraiment pourquoi il était si extraordinaire.» Percer le mystère du génie en scrutant de vieilles photos, ce serait tout de même un peu facile.

Outil didactique

À quoi bon alors repartir explorer l’illustre matière grise? Trop longtemps baladée dans des bocaux de formol, mal découpée, elle ne raconterait plus grand-chose, selon Franco Lepore. Ni sur la connectivité des neurones de son maître, ni sur son développement émotionnel, les seuls terrains d’enquête que le professeur montréalais juge pertinents.

Et pourtant, ce spécialiste de la plasticité cérébrale accorde un rôle fondamental aux études comme celles de Dean Falk. Elles vulgariseraient magistralement les neurosciences et leur objet. «Einstein, c’est un bon modèle pour montrer le lien entre le cerveau et le comportement, entre les structures cérébrales dédiées à une fonction et les performances», résume-t-il.

Il recourt lui-même à cet exemple stratégique pour valoriser ses travaux sur les aveugles. Parler de «cortex extrastrié recruté par la zone auditive» serait trop barbare. Alors qu’une simple analogie rend l’exposé limpide: tout comme Einstein excellait en maths grâce à une plus large surface cérébrale correspondante, les aveugles développent leur audition en y consacrant «plus de cerveau». Fin de l’explication.

Organe culte, intérêt garanti

Sur ses étudiants, la référence fait mouche. Surtout quand les propos du professeur s’accompagnent d’images des célèbres circonvolutions. «Un cerveau de singe ferait l’affaire, mais le mythe Einstein marche toujours. Il attire l’attention!»

Les méninges du physicien nobélisé font plus qu’incarner la science: elles la vendent. Le Musée national de santé et de médecine de Chicago l’a bien compris. Depuis septembre 2012, l’institution propose aux détenteurs de tablettes multimédias de visualiser les lamelles de l’encéphale d’Einstein. L’application, vendue 9,99 $, mise sur la fascination du grand public et titille les curiosités en jouant une nouvelle fois la carte de l’énigme à déchiffrer.

Rien de bien scientifique, répond avec un sourire narquois, Franco Lepore. Une lamelle d’hippocampe, ça ne révèle rien. Mais le chercheur se ravise furtivement. Et note le nom de l’application, «par curiosité». Juste par curiosité? «Einstein, c’est un héros! Là, on a la possibilité de regarder son cerveau. Alors, aller dans son intimité, oui, je vais le faire pour le plaisir...»

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