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Un cours de chimie vous a dégouté à jamais des tubes à essai? Une prof sadique a tué dans l’œuf vos espoirs de devenir géologue? Respirez profondément, détendez-vous… Et confiez vos souvenirs à des professionnels.

Une séance de psychothérapie à saveur scientifique: le projet a l’air loufoque, mais la réflexion est sérieuse. Une fois de plus, Richard-Emmanuel Eastes et son équipe des Atomes crochus (à l’origine du projet Clowns de science) placent la dédramatisation des sciences au cœur d’une formidable démarche de médiation.

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L’idée: déterrer les vieux blocages pour restaurer la confiance en soi de bien des adultes encore aux prises avec un sentiment d’échec face à la science.

Introspection

«On est parti du principe que notre rapport à la science, en tant qu’adulte, pouvait trouver son origine dans les souvenirs profonds de l’enfance. On veut donc amener les participants à une forme d’introspection pour faire remonter les souvenirs douloureux», explique-t-il.

Une approche mi-humoristique, mi-profonde, qui a donné naissance dans un premier temps au Cabinet des traumatismes scientifiques, une animation présentée à plusieurs reprises lors de festivals de science en France, puis au Blogue des souvenirs de sciences, un «défouloir» virtuel toujours en ligne.

«Pour le Cabinet des traumatismes scientifiques, je me glissais dans la peau d’un docteur en sciences. Mais “docteur” dans le sens de “médecin”! J’accueillais les gens en blouse blanche dans une pièce qu’on avait décorée à mi-chemin entre un salon de voyance et le bureau d’un psychothérapeute», raconte le chimiste aux multiples casquettes, dont celle de directeur de l’Espace des sciences Pierre-Gilles de Gennes de l'École supérieure de physique et de chimie industrielles Paris Tech.

Divan confortable et lumières tamisées, la mise en scène idéale pour mettre le «patient» dans l’ambiance. «Après s’être replongée dans une scène de son enfance, la personne devait d’abord me décrire ce qu’elle pensait être sa première rencontre avec la science...»

Une incursion dans des souvenirs déjà révélateurs d’une certaine préconception de l’univers scientifique. La preuve: le témoignage de cet homme dont le premier souvenir «de science» remonte au moment où il a failli se faire frapper par la foudre quand il était petit!

Se déculpabiliser

Échec scolaire mal digéré, allergie à la rigueur mathématique… Les séances du Docteur Pendule, alias R. E. Eastes, ont valeur de déclencheurs. «On passait ensuite au récit des mauvais souvenirs. Il était fascinant de constater à quel point certaines personnes en avaient conçu de véritables complexes et s’étaient complètement détournées de la science dans leur vie d’adulte.»

Le nœud du problème… et un début de solution. «Les gens ont tendance à créer des résistances à l’égard de leurs mauvais souvenirs. Le fait de participer à cet atelier les obligeait à se rappeler d’événements qu’ils avaient occultés. En s’en souvenant avec leur regard d’adulte, ils se rendaient compte bien souvent qu’ils les avaient vécus de manière inappropriée.»

Résultat: les «maintenant que j’y repense, je n’étais pas aussi bête que mon prof me l’a fait croire» succèdent à des «au fond ce n’était pas de ma faute!» Autant de réactions qui relativisent grandement un rapport aux sciences parfois conflictuel depuis l’enfance.

«Une dame, par exemple, me racontait que son enseignante ne cessait de la rabrouer quand elle lui posait des questions. Elle s’est alors complètement refermée. L’animation lui a permis de se rendre compte que, pendant 20 ans, elle s’était créé un complexe pour rien.»

Complexes complexes

Le talent de Richard-Emmanuel Eastes pour mettre le doigt sur le bon bobo ne doit rien au hasard. «J’ai lu Freud et j’ai moi-même fait une psychothérapie, cela m’a donné un cadre pour savoir comment m’adresser aux gens tout en restant à l’écoute. Dans ce type d’animation, il faut surtout leur faire sentir qu’on ne se moque pas d’eux.»

Autre élément-clé de la démarche: rassurer certains participants sur leurs capacités intellectuelles. «En France, la fracture entre les filières scientifiques et littéraires à l’école est telle que, bien souvent, on choisit les lettres par défaut. Même si, heureusement, plein de gens se sont épanouis dans d’autres voies, ne pas avoir choisi les sciences à l’école peut demeurer un élément de dévaluation personnelle, la preuve qu’on n’est pas aussi bons que les autres.»

Une «maladie» que le docteur Pendule, à l’issue de la séance de thérapie, traitait avec une prescription de… livres d’histoire des sciences ou de vulgarisation scientifique. «Après une remontée dans le temps parfois douloureuse, cela donnait à la fin de l’animation un ton plus léger.»

Souvenirs…

Un ton aussi léger que celui du Blog des souvenirs de science que les Atomes crochus ont mis en place pour appuyer et publiciser l’animation du Cabinet des traumatisés. Le site, où la dimension thérapeutique a disparu, est une belle occasion de lire quelques témoignages pimentés, comme celui de ce jeune doctorant en stage dans un musée qui passait ses journées à ouvrir des caisses pleines de cadavres d’animaux pourris…

«Ça donne aussi une vision de la science en train de se faire, précise Richard-Emmanuel Eastes, qui y a même incorporé les souvenirs de quelques sommités scientifiques, comme le physicien et essayiste Jean-Marc Lévy-Leblond, ou encore le Prix Nobel de chimie 2005, Yves Chauvin. “Toute sa vie, ce grand chimiste a fait des cauchemars dans lesquels il ratait ses examens! Il a arrêté d’en faire quand il a reçu son prix Nobel à l’âge 70 ans…”»

Plus accessible de ce côté de l’Atlantique que le Cabinet des traumatismes, le blog des souvenirs de science attend les témoignages, heureux ou malheureux… Courez-y raconter vos (mauvais) souvenirs: ça fera sourire le Dr Pendule et ça fait un bien fou !

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