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Depuis des semaines, les amateurs encensent Breaking Bad —notamment pour les émotions que cette série télé leur arrache. Des psychologues se demandent pourquoi on écoute des séries télé si ça fait mal... et si ce ne serait pas, en fait, parce que ça fait mal.

Sans qu’il ne soit nécessaire de dévoiler comment la série a pris fin dimanche, il faudrait se tenir loin des médias pour ne pas avoir entendu parler de Breaking Bad... et avoir senti qu’il y avait du tragique derrière. «Chaque épisode insupportable me donnait l’impression de marcher sur des morceaux de verre», écrit la psychologue Elizabeth Cohen dans le Scientific American .

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Pourquoi sommes-nous si nombreux à consacrer volontairement notre temps de loisir, censé servir à l’évasion, à regarder une émission qui peut nous laisser aussi émotivement épuisés?

Et la réponse ne réside pas dans une étude récente: il existe depuis longtemps un volet de la psychologie qui s’appelle «la psychologie du divertissement». Une des théories, que l’on pourrait traduire en français par la théorie du transfert de l’excitation, dit en gros qu’une accumulation d’émotions négatives pendant que se déroule l’action est une bonne chose, si ces émotions sont soudainement libérées en une bouffée d’émotions positives (une fin heureuse, une rédemption, le héros l’emporte, un personnage est sauvé). Autrement dit, la récompense (émotion positive) est d’autant plus puissante que le scénario a été dur (émotions négatives).

Évidemment, l’idée d’un transfert d’excitation est plus facile à comprendre quand le «méchant» (qui suscite des émotions négatives) est puni par le «bon» (émotion positive). Dans toutes ces productions récentes où il n’y a pas de «bons» et de «méchants» clairement définis, comme Les Sopranos, Dexter ou Breaking Bad, ça n’empêche pas le spectateur de sentir de l’empathie pour le personnage central, aussi «méchant» soit-il: parce que les scénaristes nous ont habilement manipulés pour qu'il en soit ainsi.

Mais d’autres facteurs entrent aussi en jeu. Certains chercheurs suggèrent par exemple un équivalent de l’adage «quand on se compare on se console». Le stress que nous vivons au quotidien nous semble tout à coup bénin lorsqu’on le compare à ceux d’un professeur de chimie très ordinaire transformé en un criminel hors de l’ordinaire. Ça devient même, pour notre cerveau une forme de récompense (émotion positive), selon une recherche publiée en 2006 dans la revue Communications : autrement dit, je suis une bonne personne, si je me compare à ce personnage.

Et dans cette foulée, il existerait apparemment une dernière piste de recherche, que les psychologues ont mis du temps à investiguer: parce qu’ils sont toujours partis de la prémisse que nous écoutons un film ou une série télé pour avoir du plaisir («s’évader», «se détendre»), mais si cette prémisse était erronée? Mary Beth Oliver, professeure d’étude des médias à l’Université d’État de Pennsylvanie, emploie le mot d’origine grec eudémonisme, qui postule que le bonheur est le but de toute vie humaine. Or, résume Elizabeth Cohen, la fiction nous permet de progresser vers ce but, même si elle nous remplit d’émotions négatives — pourvu que ces émotions nous enrichissent et nous enseignent quelque chose sur nous-mêmes.

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