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C’est l’une des oeuvres les plus importantes de la science-fiction et, comme si ça ne suffisait pas, elle est porteuse, en 2021, de messages écologiques allant bien au-delà de ce que l’auteur lui-même avait voulu.

Le roman Dune, dont la version cinématographique arrive sur les écrans cette semaine, est beaucoup de choses avant d’être « écologique », l’une des raisons étant que le mouvement écologique n’existait même pas lorsque l’auteur américain Frank Herbert l’a publié, en 1965: le premier Jour de la Terre ne serait célébré par une poignée de passionnés qu’en 1970, et la fameuse photo du « lever de Terre » au-dessus de la surface lunaire, souvent qualifiée d’acte de naissance du mouvement écologique, ne serait prise qu’en 1968.

Mais il y avait déjà une prise de conscience en émergence. Le livre The Silent Spring, de la biologiste Rachel Carson, lui aussi souvent qualifié d’acte de naissance du mouvement écologique pour sa dénonciation de la pollution des écosystèmes, avait été publié en 1962. À défaut d’avoir pu prévoir les bouleversements à venir dans la biodiversité et dans le climat, Herbert a au moins ouvert la voie à d’autres auteurs: « Dune est un point tournant pour une science-fiction qui prend l’écologie au sérieux en tant que concept », jugeait au moment du 50e anniversaire, en 2015, l’Américain Gerry Canavan, co-auteur d’un livre intitulé Green Planets: Science Fiction and Ecology.

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L’autre raison pour laquelle ceux qui ont analysé cette oeuvre ont coutume de dire qu’elle est bien des choses avant d’être écologique, est qu’il s’agit d’un roman qui jongle tout à la fois avec la politique, la guerre, la philosophie, la psychologie et la religion, le tout, dans un futur lointain décrit avec un luxe de détails et centré autour d’une planète, Arrakis ou Dune. Planète aride et hostile à la vie, mais qui abrite une ressource naturelle, l’Épice, indispensable à la survie de l’empire galactique. C’est aussi un roman aux résonances anticolonialistes, avec les habitants d’Arrakis, les Fremen, opprimés par la riche famille qui exploite leur planète, et qui voient dans le héros du roman, le jeune Paul Atreides, le messie qui fera d’Arrakis un paradis regorgeant d’eau.

Réagissant dans le magazine Salon en 2015, le professeur de sciences sociales Eric C. Otto voyait dans Dune un cas unique de son époque « pour la très grande attention qu’il apporte à la science de l’écologie et aux façons complexes dont la culture, la société, la religion et ce monde non-humain s’entremêlent ».

L’un des thèmes récurrents est ainsi l’aridité d’Arrakis, qui est symbolisée par la technologie portée par les Fremen qui leur permet de récupérer chaque goutte d’eau produite par leur corps. En arrière-plan, il y a aussi le rêve de transformer la planète en un monde plus habitable, rêve symbolisé par un personnage, Lyet-Kynes, « écologiste planétaire ». Un personnage qui, de surcroît, dans le premier jet du roman, était même destiné à être le personnage principal.

« Au-delà d’un point critique dans un espace fini, lui fait dire Herbert, la liberté diminue alors que le nombre augmente. C’est vrai autant des humains dans l’espace limité d’un écosystème planétaire que ça l’est des molécules de gaz dans une fiole scellée. La question humaine n’est pas combien peuvent possiblement survivre à l’intérieur du système, mais quelle sorte d’existence est possible pour ceux qui vont survivre. »

La réflexion de Lyet-Kynes était ancrée dans les inquiétudes des années 1960 sur la croissance démographique —Paul Ehrlich publiera le bestseller The Population Bomb en 1968. Mais c’est là que la réflexion d’Herbert différait de la trajectoire que prendrait le mouvement écologiste: derrière le rêve de son « écologiste planétaire », il y avait celui de transformer l’écosystème d’Arrakis pour mieux servir les besoins de ses habitants —alors qu’un environnementaliste d’aujourd’hui se demanderait plutôt comment préserver les écosystèmes uniques d’Arrakis.

Au fil des années, des chercheurs ont ainsi fait part de leur déception quant au fait que le roman ne fournit pas de solutions à des problèmes environnementaux tels que nous les confrontons aujourd’hui. La chercheuse canadienne en littérature Veronica Kratz écrivait pour sa part, plus tôt cette année, que cette déception vient du fait qu’on a justement trop « tendance à lire Dune » dans le contexte de l’émergence de l’écologie et du livre de Rachel Carson. Alors que la démarche d’Herbert avait été davantage inspirée par quelque chose de plus prosaïque: un projet de stabilisation des dunes de sable de l’Oregon afin qu’elles causent moins de dommages aux propriétés. La solution, qu’endossait Herbert, fut l’introduction d’une herbe de plage européenne, une espèce qui est devenue invasive et a détruit une partie de l’écosystème local.

Il faut, conclut Veronica Kratz, replacer Herbert dans un différent contexte, « celui d’une science de l’écologie basée sur son utilité pour l’humain et sur le contrôle ».

Ça n’efface pas le fait qu’Herbert s'est associé au premier Jour de la Terre, et a produit des textes à saveur environnementale dans les deux décennies qui ont suivi Dune. Et ça n’enlève rien aux qualités du livre, qui a remporté à sa sortie les deux plus prestigieux prix de la littérature de science-fiction, a été traduit en 14 langues et engendré plusieurs suites. Mais comme le résume cruellement un épisode récent de la balado Imaginary Worlds, Herbert serait davantage perçu aujourd’hui comme un « capitaliste vert » que comme un défenseur de l’environnement.

 

Illustration: Marc Simonetti

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