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Plus  d’une grossesse sur sept n’aboutira pas à une naissance mais à une fausse couche avant 20 semaines. Dont la moitié ne comporteront même pas d’embryon – seulement du tissu placentaire.

Ce chiffre, qui a été le point de départ d’une récente étude américano-canadienne, rappelle l’importance de mieux comprendre les causes des pertes de grossesses. Les chercheurs ont plus précisément cherché à déterminer les types et la fréquence des anomalies chromosomiques, explique la Dre Rina Slim, du Programme en santé de l’enfant et en développement humain à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM) et co-auteure de cette récente étude.

Un large spectre de déséquilibres génomiques pourrait ainsi entraîner une perte de grossesse récurrente. Les auteurs ont analysé des échantillons recueillis dans le cadre de 24 900 fausses couches au moyen d’une nouvelle technologie utilisant des puces chromosomiques (SNP-CMA), qui sont des tests d'analyse chromosomique sur puces à ADN.

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« Nous ne connaissons pas beaucoup les gènes à l’origine des avortements spontanés. Cette étude nous apprend que certaines anomalies génétiques ne sont pas détectées chez les parents mais surviennent à la conception – un défaut chromosomique de l’œuf fécondé. Le fœtus n’est pas viable », explique la chercheuse.

Les fausses couches varient en effet beaucoup, tout comme leurs causes, comme l’âge de la future mère —le risque serait d'une sur trois à partir de 40 ans— l’anatomie reproductive maternelle —des anomalies de l’utérus, par exemple— les antécédents de fausse couche ou les facteurs environnementaux —tabac, alcool, toxicomanie, mais aussi les médicaments, les risques professionnels, les infections, entre autres choses.

Gènes de la mère, du père ou de l’embryon

Les chercheurs sont également nombreux à pointer qu’une grande partie des fausses couches à répétition pourraient avoir une cause génétique sous-jacente – ce qui concernerait près de 5% des couples. De telles anomalies génétiques peuvent être au sein du génome de la mère, du père ou de l’embryon (la constitution génétique fœtale).

Cette étude a par ailleurs montré que des anomalies ont été observées dans près de 56 % des échantillons des fausses couches, dont près de 8 % présentaient des déséquilibres polyploïdiques importants – il s’agit de modifications du nombre de chromosomes, en manque ou en excès.

Chez l’humain, les gènes sont regroupés au sein de 46 chromosomes, 23 provenant du père et 23 de la mère – l’ensemble formant l’équivalent d’un livre avec différentes pages d’instructions où il peut se produire des erreurs: des pages manquantes, en trop ou en double, que l’on peine encore à repérer.

Ce qui est recherché, c’est surtout ce qu’on appelle une « translocation chromosomique »: davantage qu’une perte ou un gain de certains gènes, ce sont des changements au sein de la structure d’un ou de plusieurs chromosomes – par exemple, des bris ou des recollements anormaux— susceptibles de nuire à la conception.

Ces remaniements de structures des chromosomes passent sous le radar des médecins. « Dans 90% des cas qui présentent de telles anomalies, il y aura une mort spontanée», souligne encore la Dre Slim.

La chercheuse relève aussi que l’« aneuploïdie » - un nombre anormal de chromosomes dans une cellule – est observée dans près de 13% des incidents.

L’analyse d’échantillons provenant de 1103 patientes aux fausses couches multiples renseigne ainsi sur les prédispositions possibles. Et il s’avère que chaque perte de grossesse augmenterait le risque que cela se reproduise – 15 à 20% après la première fausse couche, 25 à 40% après la seconde, jusqu’à près de 45% à partir de la 3e grossesse non menée à terme.

Dans une étude précédente, la chercheuse s’était penchée sur la cause de ces événements à répétition, chez une patiente ayant connu 16 fausses couches. Le séquençage génétique des cellules avortées spontanément avait montré qu’une mutation sur le gène CCNB3, contribuant à la division cellulaire de l’ovule, serait derrière ces pertes de l’embryon.

Il y a une quinzaine d’années, l’équipe de la chercheuse avait également identifié le premier des gènes (NLRP7) responsable de pertes fœtales récurrentes. Il s’agit d’un gène transmis par les mères dans l’ovocyte, qui affecte la viabilité de l’embryon par la présence d’anomalies chromosomiques.

Comment prévenir?

Alertée par des crampes, des saignements et de la douleur, la femme qui pourrait vivre une perte de grossesse passera en premier une échographie pour détecter les battements de cœur du fœtus et des tests sanguins pour détecter le taux d’hormone de grossesse (bêta hCG) dans le sang : un bas niveau indiquera la mort du fœtus.

Une analyse du caryotype fœtal pourrait être proposée pour tenter de pister les anomalies chromosomiques. Il faut noter que certaines n’empêchent pas un embryon d’être viable, comme la trisomie 21 avec la présence d'un chromosome 21 surnuméraire ou d'un fragment de chromosome 21 surnuméraire.

Lorsque le couple rencontre des échecs à répétition dans ses tentatives d’avoir un enfant, la Dre Slim recommande du dépistage génétique pour avoir une partie de l’explication, particulièrement pour les 5% de ceux qui ne parviennent pas à procréer. « Cela représente une piste de plus pour ces couples en détresse, mais cela n’expliquera pas toutes les zones grises », tempère toutefois la chercheuse.

Pas encore disponible au Québec

La force de cette étude est que cette nouvelle technologie américaine s’avère très prometteuse pour mettre à jour les anomalies génétiques qui sous-tendent les échecs des grossesses, commente la Dre Camille Sylvestre, professeure agrégée au département d'obstétrique-gynécologie de l'université de Montréal, qui n’a pas participé à cette étude.

Cela permet de sonder avec plus de précision le bagage génétique du fœtus. « C’est comme regarder les lettres d’un livre mais ce n’est pas encore disponible au Québec. Une technologie intermédiaire, l’analyse par hybridation génomique comparative (Comparative Genomic Hybridization ou CGH) propose plutôt de regarder les pages du livre – la quantité d’ADN dans nos chromosomes. Mais ce qui est le plus commun au Québec comme dépistage, c’est l’analyse du caryotype – qui compte les chromosomes: c’est comme regarder les chapitres de ce livre », explique la spécialiste de la fertilité, également associée au CHU Sainte-Justine.

Au Québec, trois laboratoires – deux à Montréal et un à Sherbrooke – proposent la technologie CGH mais seulement au bout de trois pertes de grossesse. « Nos recommandations seraient de le faire à partir de deux fausses couches, parce que ça représente un coût financier et émotionnel démesuré, d’attendre autant pour mieux connaître les raisons des échecs. Sans compter que cela prend aussi entre 3 et 4 mois pour avoir un résultat », précise l’experte, membre du comité des guides de pratique de la Société canadienne de fertilité et d’andrologie du Canada.

Un dépistage ordinaire par analyse du caryotype « ne permet pas d’avoir toutes les réponses alors on peut vouloir pousser plus loin les analyses et insister pour faire ces tests CGH. Les compagnies qui les proposent sont actuellement très présentes dans les congrès de fertilité et ce serait mon seul reproche à l’étude, il y a donc un biais commercial, alors que comme nous l’apprend cette étude, cela renseigne bien plus sur les anomalies liées aux fausses couches sporadiques (64%) que celles à répétition (5%). On ne finit pas toujours avec un diagnostic qui explique tout et il faut prendre en compte l’âge de la mère », relève encore l’experte.

De nombreuses futures mamans sont déjà âgées – la moyenne est de 30 ans au Canada pour une première grossesse – « l’âge moyen de consultation à la clinique est de 38 ans, au Québec » – et avec l’âge, le risque d’anomalies génétiques augmente rapidement.

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