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De plus en plus de familles québécoises peinent à joindre les deux bouts, comme les organismes communautaires le constatent avec une hausse des demandes de paniers alimentaires: plus de 670 000 personnes en ont eu besoin en 2022, soit une hausse de 9%. En plus de la forte hausse des aliments, il y a aussi celle du logement et du transport.

Les inégalités et la pauvreté augmentent au Canada, signalent la plupart des experts. Le gouvernement canadien juge pourtant que la situation s’améliore, avec une diminution du taux de pauvreté globale au Canada, entre 2019 et 2020, de 10,4 à 7,4 %.

Reste que la pandémie vient brouiller les cartes et met à jour des inégalités qui se creusent. D’ailleurs, le tableau de bord des indicateurs de la pauvreté au Canada montre que la pauvreté extrême augmente fortement (+20%), de même que l’insécurité alimentaire (+ 15,2%) et les besoins insatisfaits en matière de santé (+9,7%).

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Depuis la bonification des allocations fédérales pour enfants en 2016, on assiste à une amélioration des revenus les plus modestes. Cette refonte du soutien national aux familles a permis de réduire grandement la pauvreté des enfants des familles monoparentales ainsi que celles dont le chef de famille a une faible scolarité.

En 2016, cette aide fédérale aux familles canadiennes à faible revenu est ainsi passée à 6400$, pour chaque enfant de moins de 6 ans, et jusqu’à 12 000$ pour une famille monoparentale.

Pourtant, cette augmentation des revenus des personnes les plus défavorisées n’a pas rejoint tout le monde de la même façon. « Cela a eu un impact négatif sur le taux de pauvreté des familles en couple et cela n’a pas eu d’effets sur les heures travaillées des mères », relevait lundi Philip Merrigan, du Département des sciences économiques de l’UQAM, au colloque de l’ACFAS sur Inégalités et pauvreté : comment les données probantes peuvent-elles informer les politiques publiques?

Ses travaux, menés avec Pierre Lefebvre du même groupe de recherche, reposent sur sept enquêtes de Statistique Canada prenant en compte trois indicateurs de pauvreté : le seuil de faible revenu, la mesure de faible revenu et la mesure basée sur le panier de consommation.

Les courbes des différents indicateurs montrent un portrait hétérogène du recul de la pauvreté, mais surtout une tendance à la hausse.

L’itinérance en hausse

La partie visible de cette croissance de la pauvreté et des inégalités se trouve dans nos rues, avec la hausse des personnes en situation d’itinérance dans la plupart des grandes villes canadiennes, dont Montréal.

Ils étaient 5789 itinérants dans 11 régions québécoises en 2018. C’est sans doute beaucoup plus aujourd’hui: entre avril 2018 et avril 2021, il y a eu une hausse de 72% de l’hébergement d’urgence à Montréal (695 à 1192), de 137% à Gatineau et de 15% à Québec, rapporte l’économiste de la santé, Éric Latimer.

« L’itinérance augmente partout », rappelait lundi, à l’Acfas, ce chercheur de l’Institut Douglas en santé mentale.

Selon Éric Latimer, il faut viser une stratégie plus vigoureuse, soutenue et réfléchie, pour mettre fin à l’itinérance au Québec. La première étape est de financer des logements permanents pour les personnes en itinérance chronique et de les accompagner, comme avec le projet « At home/Chez soi ».

L’accompagnement psychosocial, des politiques et des programmes de prévention de l’itinérance, et davantage d’accès au logement pour les plus défavorisés, figurent dans les initiatives à soutenir. « Le logement abordable est une solution aussi pour les personnes qui sortent de prison, dont 20% ne savent pas où dormir, tout comme pour ceux sortant des centres jeunesses», note le chercheur.

La difficulté de payer un loyer s’ajoute à divers facteurs : violence conjugale, migration vers les villes des personnes des Premières nations, santé mentale, etc.

Et les personnes itinérantes seraient jusqu’à 10 fois plus à risque de décès que la population générale.

« Leur mortalité est plus élevée mais aussi le manque d’accès aux soins de santé. Et si on considère qu’une personne itinérante est de 15 à 20 ans plus vieille en âge biologique que son âge chronologique (âge réel), les besoins sont nombreux », sanctionne encore le Pr Latimer.

Plus pauvres et plus malades

C’est sans surprise que les personnes les plus pauvres sont souvent les plus malades. Elles peinent à recevoir tous les soins dont elles ont besoin. Samia Qureshi, chercheuse au Département d’épidémiologie, biostatistique et santé occupationnelle de l’Université McGill, s’est intéressée aux inégalités de survie et de soins parmi une cohorte de patients atteints d’un cancer du poumon au stade avancé.

Les plus pauvres présentent aussi un plus fort taux de tabagisme que la population générale. 50% des diagnostics de cancer du poumon se font à un stade avancé – et environ 17% ne disposent alors que d’une survie d’un an ou plus.

Mme Qureshi constate que ces malades diagnostiqués tardivement ont deux fois moins accès aux traitements innovants en cancérologie, hors de Montréal. « C’est 27 à 48% plus long d’obtenir des soins comme le gefitinib, un traitement palliatif de première ligne », lorsqu’on vit dans une région éloignée et que l’on est défavorisé.

Les résultats de son étude montrent un écart de 7 mois de survie entre les plus riches recevant le traitement et ceux y ont moins accès pour des raisons socioéconomiques et géographiques (15 mois contre 22 mois).

Mariepier Isabelle, titulaire de la chaire de recherche Sentinelle Nord en économie et santé du cerveau et professeure adjointe au département d’économie de l’Université Laval, s’est demandée elle aussi si le revenu relatif d'une personne a un effet sur son état de santé.

Son approche originale se base sur des changements dans le prix du pétrole. « Un choc pétrolier cause des changements de qualité de vie pour les travailleurs dont certains vont perdre leur emploi. Peut-on comparer avec ceux pour qui la situation n’a pas changé? », se questionne la chercheuse.

Son équipe s’est servie des bases de données d'hôpitaux et du recensement pour rechercher des effets des changements des revenus relatifs sur la santé, particulièrement sur la santé mentale des hommes de 20 à 62 ans, entre 2006 et 2009. « L’impact du phénomène sur la santé, surtout mentale, ne sera pas le même », relève la Pr Isabelle. Les changements dans le revenu relatif d’une personne pourraient augmenter sa probabilité d’être hospitalisée – des hospitalisations liées à diverses intoxications par la drogue et l’alcool, à des problèmes de santé mentale et à des troubles psychiatriques.

En comparaison, l’augmentation des revenus absolus a un effet protecteur sur l’état de santé à court terme, en particulier les hommes qui sont potentiellement moins mobiles.

Cela reste une dynamique asymétrique – être marié, par exemple, pourrait offrir plus de protection aux problèmes de santé mentale.

De complexes inégalités

D’autres interventions au colloque sur les inégalités montrent que des facteurs multiples, comme la géographie régionale, peuvent influencer l’accès à la mobilité sociale, et donc à la richesse ou pas.

Marie Connolly, du Groupe de recherche sur le capital humain ESG-UQAM, dans une publication à venir, s’intéresse au lien entre mobilité géographique et mobilité socioéconomique au Québec, chez des individus nés entre 1967 et 1985. Elle constate qu’un déplacement des jeunes, entre 16 et 30 ans, vers une grande ville québécoise, peut représenter un avantage en termes de revenus.

Il faudra sans doute aussi étudier la concentration de la richesse au Québec liée à l’héritage familial. « C’est la variable la plus inégale : les legs ont un impact important sur l'inégalité de richesse », relève le Pr Markus Poschke, chercheur boursier William-Dawson au Département d’économie de l’Université McGill.

Comme le rappelaient les chercheurs de la table ronde qui clôturait le colloque, les inégalités augmentent dans la plupart des pays. Il y a une polarisation entre certaines entreprises qui payent mieux leurs employés que d’autres, mais aussi entre certains de ces employés. « Ils peuvent être immigrants récents, voir leurs diplômes non reconnus ou encore méconnaitre les disparités du marché du travail » souligne le chercheur de HEC Montréal, Benoit Dostie.

Le vieillissement de la population et la faible épargne de nombreux aînés viendront encore accentuer les inégalités dans un futur proche. Sans compter que de nombreux Québécois négligent des outils financiers et d’assurances liés à la perte d’autonomie. « 40% des personnes interrogées ne les connaissent pas et 53% n’ont qu’un peu de connaissances », rapporte la chercheuse de HEC Montréal, Marie-Louise Leroux.

Vieillir avec peu d’épargne et sans sécurité en cas d’incapacité serait en effet une autre promesse de davantage de pauvreté à venir. Les sondages démontrent que les Québécois désirent vieillir à la maison: il faudra plus de soutien financier et de prévoyance financière.

 

Ce texte a été modifié le 16 mai : pourcentages corrigés dans les paragraphes 18 et 19 (recherche de Samia Qureshi)

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