L’annonce enthousiaste, cette semaine, de l’implantation d’une puce électronique dans le crâne d’un humain, a fait oublier qu’au moins une douzaine de singes soumis par la même compagnie à cette même expérience, sont morts ces dernières années après avoir reçu cet implant.
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Le milliardaire Elon Musk, dont la compagnie Neuralink est derrière cette expérience, s’était défendu en septembre dernier qu’on puisse faire cette association. Il réagissait alors à la publication d’un premier reportage du magazine Wired. S’il est exact qu’aucune donnée ne permet d’affirmer que c’est à cause de leur implant que ces animaux sont morts, il n’en demeure pas moins que des documents du partenaire de Neuralink, l’Université de Californie à Davis, ont confirmé qu’au moins 12 singes qui avaient été soumis à cette expérience depuis 2018 —soit un sur cinq— avaient dû être euthanasiés.
On parlait dans ces documents d’enflure du cerveau (ou oedème cérébral), de paralysie partielle, de perte de coordination et de comportements d’automutilation. Un rapport d’autopsie fait état de saignements au cerveau chez un animal, un autre décrit un implant qui s’est partiellement « détaché ». Il y a aussi le cas d'un singe qui avait, en se grattant, endommagé l’implant, ce qui avait provoqué une infection.
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En mai 2023, quatre mois avant la publication du reportage de Wired, l’agence américaine chargée d’approuver les nouveaux médicaments ou les nouveaux traitements, la FDA, avait autorisé Neuralink à tester son implant sur des humains. Les incidents entourant les singes ne semblent pas avoir été rendus publics, au point où, en novembre 2023, des élus de la Chambre des représentants des États-Unis ont demandé une enquête, alléguant que Neuralink pourrait être accusée d’avoir trompé ses investisseurs. Un an plus tôt, avait révélé l’agence de presse Reuters, le ministère américain de l’Agriculture avait pour sa part ouvert une enquête sur la possibilité que la compagnie ait contrevenu à la loi sur le bien-être animal. L’enquête a pris fin en juillet 2023 sans avoir trouvé de preuves d’inconduite.
Le « cobaye » humain dont il a été question dans l’annonce faite par Musk sur Twitter le 29 janvier, serait le premier. L’implant en question, de la taille d’une pièce de monnaie, avait permis à certains des macaques de jouer au jeu électronique Pong, sans manette ni clavier. En date du 31 janvier, aucune autre information n’avait été publiée sur l’implant ou sur le patient, en dépit des nombreuses demandes des médias formulées auprès de Neuralink. La revue Nature note que le test, si test il y a, n'a pas été enregistré dans la base de données ClinicalTrials.org, une condition pour plusieurs revues scientifiques pour publier d'éventuels résultats de recherche.
L’objectif derrière tout cela est de créer une interface cerveau-machine, soit la possibilité pour le cerveau de communiquer directement avec un ordinateur. D’autres compagnies y travaillent depuis plusieurs années, au point où on ne peut pas parler de l’annonce de cette semaine, comme certains l’ont fait, comme du « premier » implant cérébral chez un humain.
En réalité, le premier essai clinique d'un tel implant, BrainGate, remonte à 2004. Il avait été fait sur un patient tétraplégique. Des chercheurs suisses testent pour leur part depuis 2017 deux implants —de part et d’autre du crâne— et un neurostimulateur —relié à la moelle épinière— qui sont censés permettre à un patient tétraplégique d’animer un exosquelette, et d’ainsi se déplacer. La percée a fait l’objet d’une publication en mai 2023 dans la revue Nature.
Dans une autre expérience d'implant, menée en 2021 à l’Université Stanford, en Californie, des chercheurs ont pu décoder les signaux cérébraux d’un homme lorsqu’ils lui demandaient de penser à des mots écrits avec un crayon, permettant à un ordinateur de traduire certains de ces mots à l’écran.
Mais tout cela reste encore expérimental: dans une compilation du Government Accountability Office des États-Unis publiée à la fin de 2022, moins de 40 personnes dans le monde étaient munies d’un implant cérébral.
Ce texte a été modifié le 2 février avec l'ajout de la remarque de Nature sur ClinicalTrials.org
Mise à jour 23 février: Dans une première annonce depuis celle du 29 janvier, Elon Musk a écrit sur X que la personne ayant reçu l'implant avait pu faire bouger une souris d'ordinateur avec ses pensées. Une percée qui n'en est pas une puisque, rappelle la revue Nature, la première réussite du genre remonte à 2004. Le manque de transparence autour de cette expérience suscite également des craintes chez les experts.