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Une civilisation très avancée disparue il y a 12 000 ans, qui aurait influencé plusieurs civilisations antiques? Le Détecteur de rumeurs s’est intéressé aux origines de cette théorie… des origines.


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Origine de la rumeur

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L’idée n’est en effet pas nouvelle. Dans sa dernière mouture, elle fait l’objet d’une série télé qualifiée par Netflix de « documentaire »: Ancient Apocalypse, dans laquelle l’auteur britannique Graham Hancock imagine une civilisation très avancée, qui serait disparue il y a 12 000 ans.

Or, selon les archéologues Brian M. Fagan et Nadia Durrani, auteurs du livre World Prehistory : A Brief Introduction (2019), l’existence de civilisations perdues a fait depuis très longtemps l’objet de telles spéculations. On n’a qu’à penser à la théorie d’une Atlantide détruite par un cataclysme ou à celle du continent de Mu englouti au fond du Pacifique. Certains prétendent même que ces civilisations auraient colonisé les Amériques avant de sombrer dans l’oubli.

Graham Hancock a repris ce genre de théorie dans ses livres publiés depuis les années 1990, et la série Ancient Apocalypse, diffusée depuis novembre, reprend essentiellement les hypothèses présentées dans ses livres.

Selon lui, une société très avancée sur le plan technologique aurait donc existé il y a plus de 12 000 ans, avant de disparaître en raison d’un cataclysme. Toutefois, avant sa disparition, cette civilisation aurait eu le temps d’envoyer des messagers aux quatre coins du monde afin de propager son savoir. On retrouverait des traces de ces connaissances sur les sites de ruines antiques éloignées les unes des autres, en Turquie, au Mexique, en Indonésie et dans l’État américain de l’Ohio.

Des intuitions ou des preuves?

Fagan et Durrani rappellent qu’on ne dispose d’aucune donnée archéologique montrant qu’une telle civilisation aurait prospéré il y a plusieurs milliers d’années. Hancock explique cette absence de preuves par le fait que cette civilisation serait enfouie sous plusieurs couches de glace en Antarctique —un endroit où il est impossible de faire des fouilles pour prouver ses dires, soulignent les deux archéologues.

Ceux-ci reprochent également à Hancock d’utiliser des observations géologiques ou archéologiques controversées provenant d’autres civilisations, bien connues celles-là, dans le but d’appuyer sa théorie. Par exemple, dans la série Ancient Apocalypse, il fait référence au site de Gobekli Tepe en Turquie ou de Cholula au Mexique. Fagan et Durrani comparent ce procédé à celui qui consisterait à tenter de décrire la société américaine à l’aide d’artefacts trouvés au Danemark, en Nouvelle-Zélande, en Afrique du Sud et à Tahiti.

En entrevue pour le magazine Slate, l’archéologue américain John Hoopes conclut pour sa part que Hancock utilise une approche intuitive qu’il confirme par ses expériences personnelles plutôt que de suivre une vraie démarche scientifique ou historique, qui consisterait à appuyer une hypothèse par des preuves solides.

Disparaître sans laisser de traces?

Selon Michael Shermer, journaliste scientifique et président de la Société américaine des sceptiques, il est hautement improbable qu’une civilisation qui aurait prospéré pendant des siècles puisse disparaître sans laisser de traces —et ce, même dans le scénario d’une catastrophe telle que la chute d’une comète. On devrait trouver toutes sortes de déchets, des restes d’habitations, des outils de pierre ou de métal, et peut-être même des écrits.

En 2018, les chercheurs Gavin Schmidt et Adam Frank avaient même poussé la réflexion plus loin, en se demandant quelles traces aurait pu laisser une société industrialisée qui aurait existé il y a 55 millions d’années.

Selon ces chercheurs, il serait impossible de trouver des artefacts après tout ce temps. Par contre, une telle civilisation aurait modifié profondément son environnement en raison de l’utilisation d’engrais, d’éléments rares nécessaires à l’électronique, de stéroïdes de synthèse ou de plastique. Et on retrouverait des traces de ces produits dans les sédiments.

De plus, font-ils remarquer, il est impossible de produire l’énergie nécessaire à la survie d’une civilisation industrielle, sans conséquence pour la planète. La combustion des énergies fossiles cause en effet des changements dans les ratios isotopiques de carbone et d’oxygène —changements qui laisseraient une empreinte dans les couches géologiques.

Une civilisation-mère?

L’archéologue John Hoopes voit un autre problème avec ce type d’hypothèse. C’est qu’elle repose sur un concept considéré comme de la pseudo-archéologie: l’hyperdiffusionnisme.

Kevin A. Whitesides définissait en 2019 ce concept comme étant l’idée qu’une seule et unique ancienne culture aurait propagé son savoir, qu’elle seule possédait, dans une variété d’endroits dans le monde grâce à des individus qui auraient voyagé un peu partout afin de transmettre ces connaissances.

Cette vision était très répandue au 19e siècle et acceptée par un grand nombre d’archéologues. Cependant, des découvertes dans les années 1920 ont révélé des différences significatives entre les diverses civilisations anciennes, ce qui a discrédité l’hyperdiffusionnisme.

Pourquoi alors retrouve-t-on des technologies semblables chez des sociétés éloignées? C’est que deux civilisations peuvent développer la même innovation technologique de façon indépendante, expliquaient en 2010 Alice E. Storey et Terry L. Jones. C’est particulièrement vrai si les deux groupes sont exposés aux mêmes contraintes environnementales ou démographiques.

Les archéologues croient en fait que la probabilité qu’une même invention se soit développée de façon indépendante dans deux cultures différentes est directement proportionnelle à la difficulté pour les deux civilisations de communiquer entre elles. Par exemple, il est peu probable que les anciens Égyptiens aient transféré leurs connaissances aux Mayas, de l’autre côté de l’Atlantique, compte tenu des connaissances de l’époque sur la navigation.

Cela ne veut pas dire que la diffusion, c’est-à-dire l’échange « simple » de technologies entre deux groupes d’humains, n’existe pas, insistent Alice E. Storey et Terry L. Jones. Cependant, on ne peut pas se mettre à voir tous les éléments communs entre les sociétés humaines comme des preuves qu’une autre civilisation en serait l’origine.

 

Verdict

Il est très peu probable qu’une société très avancée soit disparue sans laisser de traces. De plus, il serait réducteur de croire qu’il faille expliquer les prouesses technologiques des civilisations antiques par l’influence d’une autre civilisation. Enfin, l’Histoire démontre que des innovations similaires peuvent apparaître en différents endroits, lorsque deux sociétés sont confrontées à des besoins similaires.

 

Image: George Grie / Wikipedia Commons

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