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Une nouvelle, parue le 8 mars, sur « un supraconducteur capable de s’affranchir du froid », donne l’occasion au Détecteur de rumeurs de rappeler trois choses qu’on peut détecter, même si on n’est pas scientifique, lorsqu’on est devant une nouvelle scientifique en apparence incompréhensible.


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D’emblée, l’information scientifique offre souvent une particularité, par rapport au plus gros des actualités politiques, culturelles ou sportives : elle peut s’appuyer sur des données probantes, plutôt que sur des opinions.

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Repérer si une actualité scientifique —comme celle sur les supraconducteurs— est solide n’implique donc pas d’avoir soi-même un diplôme en science. Avant même d’avoir à comprendre ce qu’est un supraconducteur, il y a trois questions de base qu’on peut se poser: Une étude est-elle parue? A-t-elle été révisée par les pairs? Les résultats ont-ils été confirmés par d’autres scientifiques?

1- Une étude est-elle parue? Oui

Les médias qui ont rapporté cette nouvelle l’ont adéquatement mentionné : il s’agit d’une étude produite par une équipe de l’Université de Rochester, dans l’État de New York, et parue le 8 mars dans la revue britannique Nature. On est donc devant un texte qui offre des données que d’autres experts du domaine pourront analyser et, éventuellement, critiquer.

2- L’étude a-t-elle été révisée par les pairs? Oui

Nature est une revue qui se targue de ne publier que 8% des textes qui, sur une moyenne de 200, lui sont soumis chaque semaine. Bien que ce processus de révision se fasse en coulisses —les commentaires des réviseurs sont réservés aux auteurs— et bien que les réviseurs soient anonymes, on présume que Nature a fait appel à des experts de la supraconductivité. Ces réviseurs n’ont pas le temps ou les ressources de reproduire l’expérience. Mais ils sont plus à même que des non-experts de repérer des faiblesses dans une méthodologie ou dans l’interprétation des résultats.

Le processus n’est pas infaillible. L’histoire récente des sciences offre plusieurs exemples d’études révisées par les pairs avant leur publication, et qui se sont ensuite révélées fausses, depuis l'annonce d’un clonage en série de cellules souches humaines, parue en 2005 dans Science, jusqu’à une étude sur l’hydroychloroquine parue précipitamment dans The Lancet en 2020 —et rétractée tout aussi précipitamment.

3- L’étude a-t-elle été confirmée par d’autres? Non

Ce qui conduit à la dernière question: d’autres recherches sont-elles arrivées aux mêmes résultats? L’expérience a appris à se méfier de ce qu’on a déjà appelé le « syndrome de la recherche unique »: la toute première étude sur un nouveau sujet, ou bien le « moment eurêka » qui donne l'illusion d’un virage majeur.

Là encore, l’histoire des sciences offre beaucoup d’exemples de « découvertes » enthousiasmantes, mais qui se sont révélées fausses. Ce qui n’est pas une anomalie dans la communauté scientifique, dès lors qu’une deuxième étude apporte des données probantes pour démontrer que la première était erronée. Si, à l’inverse, une deuxième étude arrive aux mêmes résultats que la première, puis une cinquième étude, puis une centième, on a quitté le terrain de l’opinion.

C’est pourquoi il faut être prudent lorsqu’un communiqué de presse, ou un reportage, annonce qu’il s’agit de « résultats spectaculaires » sur un nouveau matériau « révolutionnaire ». Dans ce contexte, les sites qui, depuis le 8 mars, ont titré « Un matériau supraconducteur à température ambiante enfin découvert » ou « Un matériau supraconducteur s’affranchit du froid », sont allés trop vite en besogne.

« Des trains fonctionnant par lévitation » ou des « lignes électriques sans perte d’énergie »: c’est ce qui serait théoriquement possible avec un matériau supraconducteur « à température ambiante », c'est-à-dire un matériau à l’intérieur duquel le courant ne rencontre pas de résistance (c’est la supraconductivité), mais qui, de surcroît, ne nécessiterait pas d’être refroidi sous le point de congélation (comme on l’observe en laboratoire), voire à moins de 200 degrés Celsius.

Les bémols sont donc de rigueur: peut-être cette équipe de l’Université de Rochester a-t-elle vraiment découvert quelque chose qui va déboucher sur quantité d’applications techniques, mais il faudra attendre d’autres recherches, par d’autres équipes, pour en savoir plus.

Mise à jour, 7 novembre 2023: L'étude a été retirée par la revue Nature, conformément à la demande, faite en septembre, par huit des 11 auteurs, citant une inadéquation entre les données disponibles et les résultats. Il s'agit de la deuxième étude sur les supraconducteurs réalisée par cette équipe à être retirée par Nature et de la troisième dont Ranga Dias (Université de Rochester) et Ashkan Salamat (Université du Nevada) sont les co-auteurs.

Pour un complément d’information plus critique

Si on n’a pas la patience d’attendre, on peut au moins utiliser Google pour chercher si des experts ont déjà fait des commentaires depuis le 8 mars. Par exemple, en utilisant les mots-clefs, en anglais, superconductor temperature study, mais en leur ajoutant des bémols comme « skeptical » ou « doubts », on pourrait tomber sur l’édition du 10 mars de l’émission de science Science Friday, du réseau américain NPR. Ou sur un reportage du New York Times qui commence en enjoignant la prudence : « La percée pourrait un jour transformer les technologies qui utilisent l’électricité, mais elle arrive d’une équipe faisant face à des doutes après une recherche rétractée sur les supraconducteurs ».

La recherche rétractée en question, qui était elle aussi parue dans Nature en 2020, annonçait elle aussi un nouveau supraconducteur censé fonctionner « à la température de la pièce ». Depuis, d’autres recherches n’ont pas pu reproduire les résultats et les auteurs se sont fait reprocher leur lenteur à partager toutes leurs données. L’auteur principal, le professeur de génie mécanique et de physique Ranga P. Dias, a présenté ses nouveaux résultats préliminaires le 7 mars au congrès de la Société américaine de physique, devant une salle comble —témoignant du vif intérêt que suscite cette annonce.

Le magazine Quanta est allé cette semaine jusqu’à interroger 10 « experts indépendants » dont les réactions vont de « l’excitation » au « rejet catégorique ».

On peut aussi lire l’analyse que Nature a commandée à deux experts du domaine pour accompagner la publication de cette recherche. Les deux auteurs y soulignent que « des doutes demeurent » et rappellent que des « mesures indépendantes du matériau, ses propriétés et son processus de fabrication, aideront à atténuer tout doute sur les résultats ».

Photo: Umnat Seebuaphan / Dreamstime.com 

Ce texte a été modifié le 8 novembre 2023 avec l'ajout du paragraphe de mise à jour. 

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