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Parmi ceux qui croient que les feux de l’été dernier seraient planifiés, une théorie étrange circule: grâce à « l’ensemencement des nuages », on serait capable de produire artificiellement de la pluie et donc, de mettre fin aux feux de forêt à volonté. Est-ce plausible, a demandé une lectrice, Annick, au Détecteur de rumeurs.


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Les origines de la rumeur

Comme le rappelle l’Encyclopédie canadienne, l’idée d’ensemencer des nuages pour produire de la pluie, d’abord développée en 1946 par deux chercheurs américains, Vincent Schaefer et Bernard Vonnegut, a fait l’objet d’expériences au Canada à partir de 1948. 

Au point où, au Québec en 1965, des résidents du Lac Saint-Jean s’inquiétaient déjà des projets de production de « pluie artificielle ». Des mères de famille inquiètes mettent alors sur pied l’Opération para-pluie pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il mette fin à toutes les activités de production artificielle de pluie. Une pétition de 60 000 signatures est remise au ministre des Ressources naturelles de l’époque, René Lévesque, qui ordonne l’interdiction de ces expériences.

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Celles-ci, bien réelles, étaient pourtant loin d’avoir été probantes. Lorsqu’on comparait les moyennes de précipitations dans les régions aux nuages ensemencés avec les périodes où on n’avait pas mené de telles expériences, on remarquait tantôt de légères augmentations de pluie, tantôt de légères diminutions.

Ça n’a pas empêché la rumeur de continuer à circuler: même après l’interdiction de 1965, des actes de vandalisme ont été posés contre des appareils du ministère des Ressources naturelles ou de certaines compagnies. Dans les débats qui ont eu lieu en 1970 à l’Assemblée nationale, René Lévesque, devenu député indépendant, parlait d’une espèce de psychose et de gens qui persistaient à voir des « machines à pluie partout ». Cela a malgré tout mené à l’adoption la même année de la Loi sur la provocation artificielle de la pluie

De la recherche a continué de se faire ailleurs dans le monde, jusqu’à aujourd’hui. Dans un texte de vulgarisation publié en 2022, le professeur de météorologie William R. Cotton, de l’Université d’État du Colorado, rapportait que plus de 50 pays disposaient de programmes de modification de la météo.

Comment ça marche?

Pour que se forment des nuages, il faut tout d’abord une quantité suffisante de particules sous forme d’aérosol. Ces particules offrent une surface de condensation nécessaire à la formation des gouttelettes de pluie ou des flocons de neige.

Dans un article publié en 2019 sur l’état de la science de « l’intensification des précipitations », une équipe d’experts de l’Organisation météorologique mondiale écrivait que le principe de l’ensemencement des nuages consiste simplement à envoyer des particules supplémentaires dans les nuages —que ce soit au moyen d’un avion, d’un canon ou d’un autre dispositif au sol. Cela permettrait, en théorie, de déclencher plus rapidement les précipitations. 

Les principaux matériaux utilisés depuis que de telles expériences ont lieu sont la glace sèche, l’iodure d’argent (AgI) et le chlorure de calcium (CaCl2), ajoutaient en 2023 des chercheurs coréens qui tentaient d’évaluer la quantité de précipitations réellement générées par l’ensemencement de nuages.

Une des difficultés rencontrées depuis les années 1940 est que ce ne sont pas tous les systèmes de nuages qui sont propices à l’ensemencement. Le système le mieux étudié est celui des nuages orographiques. Il s’agit de nuages d’air humide à saturation qui se forment en raison des mouvements d’air ascendants causés par les montagnes, lisait-on dans un rapport publié en 2018 par des experts de l’Organisation météorologique mondiale. Ces nuages contiennent souvent de l’eau sous forme liquide, même à des températures sous le point de congélation: ce qu’on appelle de l’eau surfondue. L’ajout d’iodure d’argent dans ces nuages permet la formation de cristaux de glace qui grossissent et tombent ensuite au sol.

La même technique peut être utilisée pour ensemencer des nuages convectifs, aussi appelés cumulus. Ces nuages ressemblent à des boules de coton et se forment lorsqu’une masse d’air chaud et humide s’élève au-dessus de l’air plus froid qui l’entoure. Selon les experts de l’Organisation météorologique mondiale, les résultats sont toutefois moins concluants avec ce type de nuage.

Est-ce efficace?

Mais même une fois qu’on a identifié des systèmes nuageux plus « propices » à l’ensemencent que d’autres, on reste avec une question fondamentale: est-ce que ça marche ?

Dans une étude publiée en 2018, des chercheurs américains ont mesuré l’effet de l’ensemencement d’un système de nuages orographiques avec des particules d’iodure d’argent. Leurs observations ont montré que des cristaux de glace se formaient bel et bien à la suite de l’ensemencement, et que cette formation de cristaux évoluait ensuite jusqu’à des précipitations de neige.

Les chercheurs coréens rappelaient toutefois en 2023 qu’il demeure difficile d’évaluer l’effet réel sur les précipitations: une fois le nuage ensemencé, on ne peut pas savoir ce qui se serait passé s’il ne l’avait pas été. Tout au plus les scientifiques coréens soulignent que les expériences menées dans les 60 dernières années semblent avoir démontré une augmentation de 10 à 23 % du volume des précipitations. En pourcentage, ça peut sembler beaucoup, mais en chiffres absolus, c’est peu, si les précipitations sont déjà faibles.

L’année précédente, le professeur de météorologie William R. Cotton avait lui aussi estimé que ce pourcentage d’augmentation des précipitations lors de l’ensemencement de nuages laissait à désirer. Par ailleurs, des experts de l’Agence de recherche interne du département de l’Agriculture des États-Unis (ARS) rapportaient en 2022 qu’une technique qui utilise des particules d’eau chargées, plutôt que de l’iodure d’argent, serait un peu plus efficace et permettrait d’augmenter les précipitations de 25 à 30 %.

Suffisant pour éteindre un feu?

Concrètement, combien de pluie cela représente-t-il? Selon les estimations des chercheurs coréens, les différents essais d’ensemencement de nuages qu’ils ont évalués ont produit des précipitations variant de 1,74 à 2,78 mm. En 2020, une scientifique du National Centre for Atmospheric Research (NCAR) des États-Unis rapportait qu’une expérience d’ensemencement de nuage avait provoqué la chute d’un dixième de millimètre de neige (et non de pluie) en 67 minutes.

Ces quantités ne sont pas suffisantes pour éteindre un feu de forêt. En entrevue pour l’agence de presse Reuters en 2019, une météorologue brésilienne estimait qu’il faut au moins 20 millimètres de pluie concentrée dans une ou deux heures pour éteindre un feu de forêt. Et davantage encore pour éteindre les foyers particulièrement intenses.

Il faut enfin se rappeler que l’ensemencement de nuages ne peut pas être utilisé partout: pour tenter d’augmenter les précipitations, il faut une connaissance très précise des caractéristiques des nuages ciblés, soulignent les experts de l’Organisation météorologique mondiale.

Et encore faut-il qu’il y ait des nuages dans le ciel… 

Verdict

L’ensemencement des nuages est un authentique champ de recherche. Mais même après plus de 60 ans à tenter d’en perfectionner les techniques, celles-ci ne sont pas suffisamment efficaces pour lutter contre les feux de forêt.

 

 

Photo: Au premier plan, un cumulus / Source: Wiki Commons / CC 3.0

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