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Les influenceurs des mouvements antivaccins tentent depuis trois ans de « prouver » que les vaccins contre la COVID auraient tué plus de gens qu’il n’en ont sauvés. Leur plus récente apparence de soutien est venue d’une recherche parue en juin. Le Détecteur de rumeurs explique.


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L’origine de la rumeur

Le 3 juin 2024, le journal médical britannique BMJ Public Health a publié une recherche signée par quatre chercheurs néerlandais, sur « l’excès de mortalité à travers les pays du monde occidental depuis la pandémie de COVID-19 », entre 2020 et 2022. Plus spécifiquement, et c’est là qu’a surgi la controverse, les auteurs ont suggéré un lien entre les mesures prises pour combattre la COVID, incluant la vaccination, et ces « décès excédentaires ». 

Le terme « décès excédentaires », ou « surmortalité », désigne le nombre de décès qui dépasse la moyenne des années précédentes.

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Leur conclusion a rapidement entraîné quelques gros titres dans des médias identifiés à la droite conservatrice, comme la chaîne de télé One America News, le New York Post ou le Daily Telegraph de Londres. Elle a aussi été récupérée par plusieurs  influenceurs, en français et en anglais, dont le populaire conspirationniste américain Alex Jones, le 6 juin.

Manchette du Daily Telegraph, juin 2024

Or, il a suffi de quelques jours pour démontrer que ces quatre chercheurs avaient commis des erreurs méthodologiques de base: d’une part, faire dire à des données ce qu’elles ne disent pas, et d’autre part, sélectionner des données plutôt que d’autres sans expliquer pourquoi.

Faire dire à des données ce qu’elles ne disent pas

  • Bien que ce ne soit pas clairement dit dans la recherche néerlandaise, ses données proviennent intégralement d’une compilation statistique (remise à jour quotidiennement) appelée le World Mortality Dataset, réalisée par les chercheurs Ariel Karlinsky et Dmitry Kobak. Or, si cette compilation notait bel et bien un excès de mortalité mondiale entre 2020 et 2022, Karlinsky et Kobak n’en avaient tiré aucune conclusion. Karlinsky lui-même, dès le 5 juin, avait réagi pour reprocher aux quatre chercheurs néerlandais leur « titre trompeur » et pour les accuser d’avoir copié « presque verbatim » une partie du texte qui accompagne le World Mortality Dataset (WMD), sans en attribuer clairement la source.      
  • Les quatre auteurs néerlandais ont par ailleurs consacré quelques paragraphes aux risques d’effets secondaires « sévères » prétendument documentés autour des vaccins contre la COVID. Mais ce faisant, ils ont appuyé leurs propos sur deux recherches auxquelles ils font dire ce qu’elles ne disent pas, leur a reproché le 17 juin l’épidémiologiste danois Lone Simonsen. Ils auraient au moins pu citer, poursuit-il, des études de grande ampleur —par exemple, celle-ci, sur 23 millions de Scandinaves vaccinés— qui ont documenté un pourcentage minuscule d’effets secondaires.
  • C’est un reproche similaire que leur fait le vice-doyen de la santé publique Li Yang Hsu, de l’Université nationale de Singapour, dans un commentaire que la revue BMJ Public Health a ajouté le 11 juillet au bas de la recherche néerlandaise : « les auteurs écrivent que “le consensus scientifique est absent à propos de l’efficacité des interventions non-pharmaceutiques pour réduire la transmission virale”. C’est carrément erroné, compte tenu de la multitude de recherches originales et de méta-analyses sur différentes interventions non-pharmaceutiques déployées pendant la pandémie. » 

On notera que trois des auteurs sont des oncologues pédiatriques, une spécialisation sans lien avec le sujet, tandis que le quatrième n’est présenté que comme « chercheur indépendant ». 

Sélectionner des données sans expliquer pourquoi

Qu’en est-il alors de ces 3 millions de décès excédentaires dans 47 pays? Avant de suggérer que ceux-ci ont pu être causés par la vaccination, la première chose à faire, écrivait le 6 juin le biostatisticien Jeffrey Morris, de l’Université de Pennsylvanie, serait de soustraire les décès qui sont bel et bien attribuables à la COVID. Les quatre auteurs ne l’ont pas fait, et c’est une omission qui est soulignée à plusieurs reprises dans les divers commentaires publiés sur la plateforme spécialisée PubPeer

Il se trouve que ce sont des calculs qui ont déjà été faits par plusieurs chercheurs, par exemple dans cette étude parue en février 2024 et portant sur les États-Unis. Chaque fois, ces études —tout comme les données du WMD— révèlent bel et bien une corrélation… mais entre les décès et les vagues de la pandémie. Autrement dit, entre 2020 et 2022, les courbes de décès excédentaires remontent vers le haut chaque fois qu’une nouvelle vague de cas de COVID surgit. 

« Il est très rare de voir des corrélations aussi proches entre des données indépendantes », a commenté sur son blogue, le 12 juin, l’épidémiologiste Gideon Meyerovitz-Katz. Ça ne prouve pas que la COVID-19 est responsable de tous ces décès excédentaires, mais « ça démontre néanmoins que le plus gros de ces décès est certainement relié au virus ».

De fait, les quatre auteurs néerlandais auraient facilement pu remarquer, en observant les données du WMD pays par pays, que les pics de décès ne montraient aucune corrélation avec les moments des campagnes de vaccination dans ces pays. 

Outre tout cela, d’autres omissions ont été soulignées: 

  • L’étude se base sur les données de « 47 pays du monde occidental » mais ne justifie pas pourquoi. Cela a pour résultat que de nombreux pays d’Asie qui ont massivement vacciné leurs populations pendant la COVID, ou qui ont décrété des restrictions sanitaires sévères, ne sont pas inclus dans le calcul, empêchant de tirer des conclusions trop hâtives.
  • Le terme « monde occidental » a fait sourciller des commentateurs : c’est une terminologie rarement employée dans la recherche médicale. On y retrouve des pays allant de l’Europe à l’Australie, sans explication sur ce qui les distinguerait du « reste du monde ».
  • Enfin, l’article a été publié en juin 2024, mais s’appuie sur des données qui s’arrêtent au 31 décembre 2022. Ce n’est pas à cause des limitations du WMD, puisque cette base de données inclut aussi 2023 —et qu’elle montre une baisse très importante de la mortalité excédentaire. Le pic était en fait en 2020-2021.
Surmortalité 2020-2024 - World Mortality Dataset

Réactions après publication

  • Le BMJ Public Health lui-même, dès le 6 juin, a publié une courte note, où il en appelle à ne pas tirer de conclusions trop rapides. Des médias, lit-on, « ont affirmé que cette recherche implique un lien causal direct entre la vaccination contre la COVID-19 et la mortalité. L’étude n’établit pas un tel lien. »
  • Le 22 juin, la même revue a ajouté sur la page de l’étude un avertissement (en anglais, expression of concern) qui dit qu’une enquête est en cours. Répétant que l’étude n’établit pas de lien de cause à effet, l’avertissement poursuit : « Les chercheurs ont observé seulement des tendances dans la mortalité excédentaire dans le temps, et non des causes. La recherche n’appuie pas l’affirmation selon laquelle les vaccins seraient un contributeur. » Un tel avertissement est souvent la première étape avant une rétractation proprement dite de l’article. 
  • L’hôpital néerlandais auquel sont affiliés trois des quatre signataires, le Centre d’oncologie pédiatrique Princesse Maxima, a publié un communiqué le 11 juin: « L’étude ne démontre en aucun cas un lien entre la vaccination et la mortalité excédentaire » et « nous regrettons que cette impression ait été créée ». 
  • Le New York Post a ajouté un rectificatif à son article et a amendé celui-ci, précisant qu’une « version antérieure de cet article ne reflétait pas le fait que l’étude n’avait pas analysé l’impact de la vaccination ni établi un lien avec la mortalité ».
  • Plus étrange est la mention, dans l’étude, de la division néerlandaise de l’organisme World Child Cancer. Elle est nommée comme source de financement de cette recherche (la plupart des grandes revues imposent aux chercheurs de dévoiler leurs sources de financement). Or, dans un communiqué publié le 12 juin, cet organisme affirme ne pas avoir subventionné cette recherche. 

Verdict

Bien que rien ne permette d’associer la vaccination à une vague de décès, cette fausse croyance continue de circuler avec suffisamment de vigueur pour que cette étude ait été rapidement récupérée par ceux qui voulaient y croire. L’exercice consistant à rechercher d’éventuels impacts négatifs de la vaccination a été souvent fait depuis 2021, et continue d’être fait, mais cette étude ne permet pas de soutenir une telle association.

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