cerveau

J'ai abordé la question du bruit neuronal dans mes 3 derniers articles. Dans celui-ci, je veux montrer ce qui pourrait nous suggérer une diminution, à certaines étapes au cours de l'évolution, du niveau de ce bruit conçu comme bruit de codage.

Les ramifications du bruit neuronal

Avant tout je souhaite apporter quelques précisions. Car le bruit des circuits nerveux dans le cerveau, qui fait intervenir le fonctionnement des neurones, implique aussi celui des dendrites et des synapses. Une étude publiée en 2017[1] a pu enregistrer l'activité de certaines dendrites chez le rat sans perturber leur fonctionnement grâce à des microélectrodes qui ne perforent pas les dendrites mais sont placées au contact de celles-ci. Les résultats de l'étude confirment d'autres résultats obtenus précédemment : les dendrites génèrent dix fois plus de signaux nerveux que les corps cellulaires d'une part. D'autre part, à la différence du corps des neurones qui génèrent des signaux identiques, ceux des dendrites produisent des influx modulés en amplitude. Au codage binaire s'ajouterait ici apparemment un codage de type analogique. Or une autre étude plus récente montre qu'une composante non déterministe intervient dans l'activité dendritique. Leurs « résultats révèlent que l'entrée synaptique réaliste contribue à des non-linéarités dendritiques soutenues, et que le bruit synaptique est une composante importante de l'intégration de l'entrée dendritique. »[2] Dès lors se pose la question de la nature du lien entre cette composante non déterministe de l'activité des dendrites et ce codage de type analogique. Comment, entre autres, ce lien a-t-il évolué? Si on remonte suffisamment loin dans le temps, se pourrait-il que le niveau d'activité aléatoire des dendrites aurait été trop élevé pour permettre un codage de type analogique par modulation d'amplitude en ne permettant qu'un codage neuronal de type binaire? Si on parvenait à découvrir que ce niveau de bruit dendritique a pu diminuer au cours de l'évolution, cela pourrait nous suggérer que le codage par le système nerveux a pu évoluer d'un codage uniquement de type binaire à un système incluant les codages de type binaire et analogique.

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Études chez des personnes ayant subi un sectionnement du corps calleux

Le corps calleux est un faisceau de fibres nerveuses qui constituent la principale voie de communication entre les deux hémisphères du cerveau. Il arrive parfois que pour contrer une épilepsie réfractaire à tout traitement, les neurochirurgiens procèdent au sectionnement de ce faisceau de fibres afin d'empêcher les crises épileptiques de se propager d'un hémisphère à l'autre. Suite à une telle opération, les deux hémisphères cérébraux acquièrent une relative autonomie fonctionnelle. Dans les années 1960, le neuropsychologue Roger Sperry a étudié le fonctionnement cérébral de ces personnes,[3] expériences qui ont été reprises ensuite plusieurs fois, notamment par l'un de ses étudiants, Michael Gazzaniga.[4] Dans plusieurs d'entre elles, les expérimentateurs affichent sur un écran des images d'une durée suffisante pour qu'elles puissent être perçues consciemment mais suffisamment brèves pour que les personnes testées n'aient pas le temps de modifier l'orientation de leur regard de sorte que chacun de leur hémisphère cérébral ne puisse percevoir que l'image qui se trouve dans la moitié du champ visuel dont il traite l'information à savoir l'hémichamp visuel du côté opposé.

Depuis le temps que je lis la description de ce type d'expérience, un détail m'a toujours intrigué. On demande aux personnes dont les fibres du corps calleux ont été sectionnées de montrer les images qu'elles ont vues soit avec la main droite soit avec la main gauche. Avec la main droite, c'est l'hémisphère gauche, généralement l'hémisphère du langage, qui obéit à la demande de l'expérimentateur mais pour la main gauche, c'est l'hémisphère droit qui est responsable de son mouvement. Là encore, ces personnes obéissent à la demande mais pour cela, elles doivent comprendre ce qui leur est demandé verbalement alors que cet hémisphère n'est pas celui dédié au langage et que dans le cadre de ces expériences, l'information verbale décodée ne peut transiter de l'hémisphère gauche à l'hémisphère droit par le corps calleux. De fait, on sait depuis longtemps que l'hémisphère droit a des compétences dans le domaine visuospatial plutôt que dans celui du langage. Pourtant ce type d'expérience montre, depuis les années 1960, qu'il n'est pas totalement dénué de compétences langagières. La question que je me pose depuis longtemps est : pourquoi l'hémisphère droit a-t-il un embryon de faculté langagière? À quoi cela peut-il bien servir? Quel en serait l'avantage sur le plan évolutif? Ces questions me sont longtemps restées sans réponses jusqu'à ce que je m'intéresse à l'idée de bruit de codage de l'information dans le cerveau.  

Les contraintes du bruit neuronal

Lorsqu'on parle à une personne dans une pièce remplie de gens qui parlent tous eux aussi et que le brouhaha est très intense, on est souvent obligé de répéter ce que l'on dit : la personne n'ayant compris qu'une partie des mots que nous avons prononcés. Supposons maintenant qu'une zone du cerveau ait à traiter des informations mais qu'un bruit de codage neuronal l'empêche de coder correctement les informations, on peut imaginer au moins deux possibilités pour tenter de venir à bout de ce problème. La zone du cerveau en question peut répéter l'opération de codage jusqu'à ce que la totalité des informations requises ait été codée correctement. Il y a toutefois deux problèmes avec cette procédure. D'abord la répétition allonge la durée de l'opération qui peut être cruciale dans certains cas mais l'autre problème plus grave, c'est que ce type d'activité ne permet d'identifier où se trouvent les erreurs de codage. Pour cela, une deuxième astuce peut être mise en œuvre et qui consiste à dupliquer les zones destinées à traiter les mêmes informations. De cette façon, lorsque deux zones distinctes du cerveau effectuent simultanément le même traitement d'informations, la comparaison en temps réel peut permettre d'isoler les portions de traitement qui diffèrent les unes des autres identifiant par le fait même les parties ayant subies des erreurs de codage. Pour que cette astuce fonctionne, le cerveau pourrait combiner la répétition de l'information à coder par petite portion et la comparaison, en temps réel, de chacune de ces portions répétées en faisant intervenir deux zones dédiées à la même fonction de codage.

On peut dès lors commencer à entrevoir une réponse aux questions que je me posais. Supposons que par le passé, un bruit de codage neuronal suffisamment intense ait existé pour nécessiter le mécanisme que je viens de proposer. Toutes les fonctions cérébrales auraient été traitées en double nécessitant chaque fois la participation des deux hémisphères. Aucun hémisphère du cerveau n'aurait été le siège unique d'une fonction de sorte que les deux hémisphères auraient maîtrisé à parts égales la plupart des fonctions cognitives et sans doute perceptuelles. Il s'ensuivrait que dans le passé l'hémisphère droit devait maîtriser aussi la fonction langagière que le l'hémisphère gauche. Ce qui se serait passé ensuite, on le devine. Au cours de l'évolution du système nerveux, ce bruit de codage aurait diminué tant et si bien qu'ayant atteint un niveau suffisamment bas, il n'aurait plus été nécessaire pour le cerveau humain de dédoubler les structures pour chacune de ses fonctions cérébrales. Ce dédoublement aurait donc régressé mais sans disparaître complètement. Autrement dit le fait d'observer l'hémisphère non dominant pour une fonction telle que le langage se concevrait comme un vestige d'une organisation cérébrale du passé.

Vision chez les primates et les non-primates

C'est une possibilité mais pour étayer cette idée de régression de bruit de codage neuronal, il faut pouvoir la retrouver dans d'autres cas. En comparant les systèmes visuels chez les primates et les non-primates, on note quelque chose d'intéressant. Dans les deux cas, les champs visuels des deux yeux se recouvrent. Ils se recouvrent même de façon plus importantes chez les primates mais le point le plus intéressant ici c'est que chez les non-primates, chaque champ visuel est traité par chaque hémisphère alors que pour les primates, chaque hémisphère cérébral ne traite l'information visuelle que dans la moitié visuelle du champ opposé. Chez les non-primates, les informations de la partie centrale du champ visuel couvrant approximativement un angle de 90° sont traitées simultanément par les deux hémisphères alors que chez les primates, aucune information du champ visuel n'est traitée par les deux hémisphères et cela, malgré un fort recouvrement des deux champs visuels.[5] L'explication de cette différence qui me semble plausible ferait appel à un bruit de codage neuronal important chez les non-primates exigeant une duplication du traitement des informations dans la partie centrale du champ visuel alors que pour les primates, la diminution du niveau de ce bruit de codage n'exigerait plus de traiter par les deux hémisphères les informations en provenance d'une même région du champ visuel.

Toujours dans le domaine de la vision comparant certains primates et la musaraigne, un non-primate, un découvre un autre indice potentiel de cette éventuelle diminution de bruit de codage au cours de l'évolution. Si un singe est privé de cortex visuel, il est aveugle tandis que si une musaraigne se retrouve sans cortex visuel, elle peut toujours bénéficier d'une certaine vision : elle est capable de reconnaître des formes et de localiser des objets.[6] Cela signifie qu'à la différence des singes, le cerveau chez les musaraignes ferait appel à au moins deux régions distinctes pour le traitement, en double, de certaines informations dans le domaine visuel. À nouveau, cela pourrait suggérer un bruit de codage neuronal plus élevé chez cette espèce et une évolution vers un niveau d'activité neuronale aléatoire plus faible chez les primates les plus évolués. De tout cela il ressort que si un tel bruit de codage neuronal a évolué jusqu'ici vers un niveau plus faible qu'il l'était au fil des millions d'années, alors la capacité de codage du système nerveux des organismes a dû augmenter même pour un nombre de neurones et de synapses déterminé.  

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