Hémisphère gauche d'un cerveau humain avec cortex préfrontal en bleu

Dans un article précédent dans lequel j'avais fait remarquer que la rétine chez l'humain pourrait être impliquée directement dans la cognition, il était question, entre autres, d'une étude publiée en 2021 qui montre que la taille de la pupille varie en fonction du nombre de points aussi bien perçus réellement qu'estimés. Son diamètre augmente avec le nombre de points à percevoir. Par contre, si ces points sont reliés deux à deux en forme d'haltère, le diamètre pupillaire diminue or cette représentation créer l'illusion d'un nombre de points plus petit que dans le cas où ils sont présentés sans être reliés entre eux.

Traitement de l'information et diamètre pupillaire

Il serait intéressant de savoir si ce phénomène de la dilatation pupillaire dans le cas de ce type d'illusion s'observe aussi chez les enfants. La question se pose d'autant plus que des illusions de nombres existent. Certaines chez l'enfant seul, d'autres à la fois chez l'enfant et l'adulte. Dans l'un de ses ouvrages, Jean Piaget mentionne qu'une série de 12 petites barres horizontales superposées paraissent plus nombreuses si elles sont décalées dans une colonne oblique que si elles le sont dans une colonne verticale tout en précisant que cette illusion se retrouve autant chez l'enfant que chez l'adulte1.

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En ce qui concerne Piaget toutefois, l'illusion numérique chez l'enfant la plus connue, et sans doute la plus discutée, est celle qui consiste à faire croire à l'enfant d'âge préscolaire qu'il existe plus d'objets dans une rangée quand ceux-ci sont plus écartés entre eux comparés à ceux d'une rangée de longueur plus courte, en dépit du fait que c'est la rangée la plus courte qui en contient le plus2. Dans ces deux exemples, on devrait s'attendre à observer une augmentation du diamètre pupillaire quand il estime de façon illusoire le nombre de barres ou d'objets plus élevé. Il y a toutefois une différence : alors que l'illusion des barres horizontales se retrouve autant chez les adultes que chez les enfants, seuls les jeunes enfants sont victimes de l'illusion du nombre d'objets en fonction de la longueur de leur rangée. En fait, Jacques Mehler et Tom Bever ont montré dans une étude que si, par exemple, on remplace les jetons par des nombres inégaux de bonbons, les enfants réussissent dès 2 ans cette tâche. Ils choisissent la rangée qui contient le plus de bonbons, au détriment de l'autre, plus longue. Dans ce cas, la réaction pupillaire devrait s'inverser, l'augmentation de son diamètre devrait s'observer lorsque l'enfant regarde la rangée avec le plus grand nombre de bonbons et non plus la plus longue. Pourquoi observe-t-on cette différence de réponse chez le jeune enfant? Et pourquoi observe-t-on encore des illusions numériques chez l'adulte?

Pour tenter de rendre compte de cette dilatation de la pupille, j'avais écrit :  « Comment pourrions-nous interpréter ces résultats? La dilation de la pupille laisse pénétrer dans l’œil jusqu'à la rétine plus de lumière. Celle-ci peut être vue comme un apport d'énergie. Plus de lumière due à une pupille dilatée signifierait plus d'énergie disponible pour les cellules rétiniennes. Plus d'énergie disponible à chaque seconde pourrait se traduire par une plus grande capacité de calcul ou si l'on veut de traitement de l'information. Si tel est le cas, on peut être amené à penser [...] qu'une capacité de traitement de l'information plus grande serait nécessaire lors de la dilatation du diamètre pupillaire. On peut aisément le concevoir pour ce qui est du nombre de points perçus et - de façon encore plus intéressante - pour le nombre de points estimé. »

Coût énergétique et stratégie possible

Cependant le travail de Mehler et Bever nous incite à aller plus loin dans notre réflexion. Une étude pourrait nous suggérer une piste. En 2006, des chercheurs de l'École de médecine de l'Université de Pennsylvanie sont parvenus à estimer que la rétine humaine peut transmettre des informations visuelles au cerveau à peu près au même débit qu'une connexion Ethernet. Pour cela, ils ont travaillé sur la rétine d'un rongeur, le cobaye (Cavia porcellus). Il existe 10 à 15 types de cellules ganglionnaires dans la rétine qui sont adaptées dans la perception de différents mouvements. L’étude a estimé la quantité d’informations transportées vers le cerveau par sept de ces types de cellules. Les auteurs de l'étude ont mis en évidence que ces cellules se répartissent en deux grandes catégories : « les cellules plus grandes et plus vives qui déclenchent de nombreuses pointes par seconde et dont leurs réponses sont hautement reproductibles et les cellules plus petites et lentes qui déclenchent moins de pointes par seconde et dont leurs réponses sont moins reproductibles ». Or leurs résultats «... suggèrent que les cellules lentes pourraient être "moins chères", métaboliquement parlant, car elles envoient plus d'informations par pic. Si un message doit être envoyé à un rythme élevé, le cerveau utilise les canaux rapides. Mais si un message peut se permettre d'être envoyé plus lentement, le cerveau utilise les canaux lents et paie un coût métabolique inférieur. »4 Ces observations nous conduisent donc à penser que le codage des informations cérébrales via la rétine prend en compte la dépense énergétique en terme métabolique et chercherait à en diminuer les coûts.

Dès lors, on pourrait concevoir que les illusions numériques mentionnées ici pourraient faire partie d'une stratégie cérébrale de façon à en minimiser le coût énergétique lorsque le nombre de points ou d'objets perçus est sous-estimé si on considère l'explication proposée en lien avec la variation du diamètre pupillaire chez l'humain. Cette explication d'une stratégie cérébrale semble d'autant plus plausible quand on considère que l'enfant à partir de 2 ans peut très bien choisir la rangée la plus courte contenant le plus d'objets lorsqu'il s'agit de bonbons.  

Transfert possible d'énergie

Dans un autre article qui suggérait que les diverses régions du cerveau humain pouvaient éventuellement se transférer de l'énergie, voici ce que j'écrivais : « Une étude publiée en 2011 m'avait intrigué quand j'en ai eu pris connaissance. L'étude portait sur les décisions judiciaires prises dans des tribunaux israéliens. [9] Les auteurs avaient découvert que le pourcentage de décisions favorables aux accusés était maximal au début de chacune des 3 séances dans le courant de la journée. Au début de chacune de ces 3 sessions, les jugent avaient pris l'habitude d'avoir suffisamment mangé. Plus chacune de ces périodes avançait et plus le pourcentage de décisions favorables diminuait drastiquement. Ce qui est déjà en soi une révélation. Selon cette étude, il semblerait donc que les décisions des juges subissaient une certaine influence... de l'apport du taux de glucose à leur cerveau compte tenu de l'importance de leurs pauses alimentaires. Pourtant, en regardant le graphique de la figure 1 de l'article, quelque chose m'intriguait : si ce pourcentage avait été corrélé uniquement à la réserve énergétique globale du cerveau, on aurait été en droit de s'attendre à des courbes descendantes plus ou moins continues à l'intérieur de chaque session. Ce n'est pas ce qu'on observe. Chaque session est marquée par une courbe descendante en dents de scie et, chose intéressante, les pics de ces dents de scie sont bien présents lors de la 1ère session, moins durant la 2e et presque absents durant la 3e. Comment expliquer ces caractéristiques? Au départ, il semble clair que ces trois courbes sont caractérisées par un apport énergétique qui diminue au fil du temps. Les pics des courbes proviendraient-ils donc d'un apport énergétique quelconque et si oui d'où proviendrait cette énergie? Sans doute d'une ou de plusieurs réserves pourrait-on se dire. Où seraient-elles situées? La réponse que j'entrevois est : dans le cerveau lui-même. Le fait est que quand le cerveau accomplit des tâches, il ne mobilise jamais la totalité de ces circuits neuronaux. D'autre part, on pourrait concevoir que chacun de ces circuits neuronaux dispose d'une réserve d'énergie (1). Si plusieurs de ces circuits se trouvent être sous-utilisés pendant un certain temps, ne pourraient-ils pas alors disposer d'un surplus d'énergie disponible dans ce cas pour d'autres circuits neuronaux? À condition bien sûr que ce surplus d'énergie puisse être transféré d'un endroit à un autre du cerveau. Reprenons alors l'expérience citée ici à partir de ce raisonnement. Au début de la journée, les réserves d'énergie du cerveau des juges sont maximales. Elles commencent à diminuer, avec leur journée de travail, dans certaines zones de leur cerveau et plus particulièrement l'une d'elles nécessaire au jugement et à la prise de décision, le cortex préfrontal. Ce dernier étant alors beaucoup plus actif que bien d'autres structures cérébrales, leurs réserves d'énergie diminuent plus rapidement. Comme les autres structures étant beaucoup moins impliquées le restent pour toute la durée des sessions au tribunal, elles sont disposées à céder une partie de leur réserve énergétique à cette partie du cortex qui est beaucoup plus sollicitée. C'est ce qui fait apparaître le premier pic avec regain d'énergie à l'intérieur de la 1ère session. Cet apport d'énergie ayant été utilisé à son tour, un nouvel apport, cette fois d'une autre structure cérébrale, vient en renfort et constitue un 2e pic, mais chaque fois ces pics sont moins élevés, car l'apport énergétique serait plus faible jusqu'à un apport d'énergie apporter par l'ingestion de nourriture au repas. Lequel serait insuffisant pour rétablir le niveau des réserves énergétiques du début de la journée ce qui traduirait le fait que les réserves énergétiques globales du cerveau diminueraient au fil de la journée. C'est ce qui expliquerait du même coup la quasi-absence de pics à la dernière session de travail des juges. Et comment se manifesterait ce transfert d'énergie? Par cette activité électrique synchronisée des neurones. Quelle que soit leur fréquence, nous pouvons imaginer que ces bouffées d'ondes alpha, delta, thêta ou bêta aient pour fonction de transférer de l'énergie d'une structure à une autre du cerveau. Dès lors, du moment que ce transport d'énergie transiterait par des structures occupées à coder des informations, on peut imaginer qu'il constituerait un bruit de codage à ce moment précis un peu comme de la friture sur une ligne. »

Le rôle des astrocytes

Une étude publiée en 2019 portant sur le rôle des astrocytes vient appuyer l'idée de transfert d'énergie : « Les astrocytes ont un potentiel métabolique considérable : d’une part, ils participent à la régulation de l’activité des neurones, en libérant des neurotransmetteurs ; en retour, les neurotransmetteurs produits par les neurones modulent leur activité, de sorte que la communication dans le système nerveux ne s’effectue pas seulement entre neurones, mais aussi entre neurones et astrocytes, au sein d’un large réseau astrocytaire. D’autre part, ils produisent des « ondes calciques », qui se propagent lentement d’astrocyte en astrocyte sur plusieurs millimètres, par l’intermédiaire de « gap-junctions », sorte de tunnels qui connectent les astrocytes entre eux, permettant à ces ions de diffuser d’une cellule à l’autre. Enfin, ils sont capables de détecter l’activité des neurones et d’envoyer aussitôt un signal aux vaisseaux capillaires voisins d’où ils prélèvent le glucose qu’ils transfèrent aux neurones, dont c’est le nutriment essentiel.5 »

Considérant ces résultats, nous sommes conduits à une idée intéressante : se pourrait-il que le cerveau code la quantité d'énergie métabolique dont il dispose dans chacune de ses régions et cela, en temps réel? D'autre part, se pourrait-il qu'il code la quantité d'énergie approximative, dont chacune de ses structures nécessite pour son fonctionnement habituel? Si de telles dispositions se trouvaient avérées, on comprendrait que le cerveau puisse recourir à la fois à certaines stratégies de codage en fonction du coût énergétique et au phénomène possible de transfert d'énergie d'une région à une autre.

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