Hémisphère gauche d'un cerveau humain avec cortex préfrontal en bleu

Existe-t-il dans le cerveau voire même dans le système nerveux en général ce qu'on pourrait assimiler à une sorte de bruit, un bruit neurologique ? Ce bruit neuronal pourrait faire le pont entre diverses conceptions.

Regard sur le bruit neuronal 

Pour clarifier les choses, il serait bon de définir d'abord ce que j'entends par bruit neuronal à savoir à une activité des neurones qui ne codent pour aucune information quelconque. Que cette activité ait une fonction ou pas reste à préciser et j'y reviendrai. D'entrée de jeu, on peut faire valoir que l'épilepsie, phénomène bien connu, constitue un exemple de bruit neuronal. Dans ce cas-ci, cela constitue un phénomène pathologique, mais pourrait-il exister une activité nerveuse désordonnée qui ne soit pas pathologique? Oui et elle se manifeste dès le stade embryonnaire. Il s'agit d'une activité spontanée qu'on retrouve dans les neurones moteurs de la moelle épinière chez l'embryon. Elle se manifeste par des potentiels d'action produits spontanément par des cellules nerveuses. Dès les années 1970, on l'a observé chez l'embryon de poulet avant le quatrième jour d'incubation de l’œuf. [1] Cette activité des neurones embryonnaires persiste en culture. Ces potentiels d'action produits spontanément sont observés aussi dans le cerveau du bébé humain à la naissance et même avant.

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Le mécanisme à l'échelle moléculaire de ces potentiels d'action spontanés a commencé à être compris et détaillé il y a plus de 40 ans. Des protéines-canaux antagonistes étroitement couplées produisent des fluctuations lentes du potentiel d'action de la membrane des neurones. Ces protéines-canaux constituent des oscillateurs moléculaires. [2] Un seuil doit être atteint pour que se déclenchent spontanément ces décharges. Une étude chez la souris génétiquement modifiée, inactivant de façon sélective la sécrétion de neurotransmetteurs, montre que cette activité spontanée neuronale du cerveau de l'embryon n'est pas nécessaire pour la formation normale de l'encéphale y compris la formation des structures en couches. Même la connectivité des synapses n'y est pas soumise. Par contre, cette activité neuronale spontanée est nécessaire au maintien de ce qui a été édifié par l'ontogenèse sans quoi aussitôt auprès, le cerveau subit une neurodégénérescence généralisée via le phénomène d'apoptose des neurones. [3] Dès lors si on généralise, on peut supposer que le fonctionnement des neurones doit être régulièrement stimulé à tous les stades de la vie d'un organisme sous peine de dégénérer et mourir par apoptose. Se pourrait-il alors que ces décharges spontanées des neurones se produisent durant toute la vie d'un organisme et si c'est le cas, pourraient-elles se produire autant à l'état de veille que de sommeil?

Quand le sommeil s'invite durant l'état de veille

On sait depuis longtemps que le sommeil profond se caractérise par une synchronisation de l'activité électrique cérébrale se manifestant par des ondes habituellement d'une fréquence de moins de 5 Hz; elles sont dites ondes lentes. Elles seraient précédées d'une activité électrique du noyau réticulaire thalamique qui engendre des bouffées de potentiels à la fréquence de 7 à 14 Hz qu'on appelle des fuseaux. Dans un article de Claudia Picard-Deland, récemment publié sur ce site de l'ASP, on apprend que des études récentes pour tenter d'expliquer le phénomène d'insomnie dite paradoxale révèlent que sommeil et veille ne sont pas des états neurophysiologiques aussi distincts que les chercheurs ont bien voulu le croire auparavant. De fait, il s'avère qu'il arrive que des états qui caractérisent habituellement l'état de veille se manifestent durant le sommeil, mais de façon localisée dans le cerveau. L'inverse se produit aussi : des états qui caractérisent habituellement l'état de sommeil se manifestent durant la veille de façon localisée. Or il semble que dans ce dernier cas, ces manifestations locales interfèrent avec certaines activités cérébrales. Une étude publiée récemment suggère que les défaillances de l'attention auraient pour origine l'émergence d'une activité locale semblable au sommeil dans le cerveau éveillé [4] et là où il y a une défaillance attentionnelle, il y a bien souvent un risque d'erreurs qui sont commises. Des études intracrâniennes chez l'homme [5] et le rat [6] ont montré que les ondes lentes pendant l'éveil entraînent des erreurs de comportement. D'autres travaux montrent que la quantité d'ondes lentes enregistrées dans une région cérébrale donnée est corrélée au nombre d'erreurs effectuées dans une tâche recrutant cette région cérébrale spécifique [7], [8]

Une autre fonction que celle de coder de l'information?

Ces manifestations d'un état physiologique correspondant à un sommeil localisé durant l'état de veille et qui affectent les performances cognitives constituent, selon moi, un exemple de bruit neuronal qui masque partiellement le codage des informations d'où les erreurs qui s'ensuivent. Si on y réfléchit, si un pareil phénomène se produit alors qu'il entraîne des erreurs de comportement aussi bien chez l'homme que chez et le rat, compte tenu de l'importance, au cours de l'évolution, de minimiser les comportements inadéquats, on devrait pouvoir en déduire que ce phénomène de sommeil localisé devrait avoir une importance au point de se demander s'il ne revêt pas une fonction pour le système nerveux.

Une étude publiée en 2011 m'avait intrigué quand j'en ai eu pris connaissance. L'étude portait sur les décisions judiciaires prises dans des tribunaux israéliens. [9] Les auteurs avaient découvert que le pourcentage de décisions favorables aux accusés était maximal au début de chacune des 3 séances dans le courant de la journée. Au début de chacune de ces 3 sessions, les jugent avaient pris l'habitude d'avoir suffisamment mangé. Plus chacune de ces périodes avançait et plus le pourcentage de décisions favorables diminuait drastiquement. Ce qui est déjà en soi une révélation. Selon cette étude, il semblerait donc que les décisions des juges subissaient une certaine influence... de l'apport du taux de glucose à leur cerveau compte tenu de l'importance de leurs pauses alimentaires. Pourtant, en regardant le graphique de la figure 1 de l'article, quelque chose m'intriguait : si ce pourcentage avait été corrélé uniquement à la réserve énergétique globale du cerveau, on aurait été en droit de s'attendre à des courbes descendantes plus ou moins continues à l'intérieur de chaque session. Ce n'est pas ce qu'on observe. Chaque session est marquée par une courbe descendante en dents de scie et, chose intéressante, les pics de ces dents de scie sont bien présents lors de la 1ère session, moins durant la 2e et presque absents durant la 3e. Comment expliquer ces caractéristiques? Au départ, il semble clair que ces trois courbes sont caractérisées par un apport énergétique qui diminue au fil du temps. Les pics des courbes proviendraient-ils donc d'un apport énergétique quelconque et si oui d'où proviendrait cette énergie? Sans doute d'une ou de plusieurs réserves pourrait-on se dire. Où seraient-elles situées? La réponse que j'entrevois est : dans le cerveau lui-même. Le fait est que quand le cerveau accomplit des tâches, il ne mobilise jamais la totalité de ces circuits neuronaux. D'autre part, on pourrait concevoir que chacun de ces circuits neuronaux dispose d'une réserve d'énergie (1). Si plusieurs de ces circuits se trouvent être sous-utilisés pendant un certain temps, ne pourraient-ils pas alors disposer d'un surplus d'énergie disponible dans ce cas pour d'autres circuits neuronaux? À condition bien sûr que ce surplus d'énergie puisse être transféré d'un endroit à un autre du cerveau.

Reprenons alors l'expérience citée ici à partir de ce raisonnement. Au début de la journée, les réserves d'énergie du cerveau des juges sont maximales. Elles commencent à diminuer, avec leur journée de travail, dans certaines zones de leur cerveau et plus particulièrement l'une d'elles nécessaire au jugement et à la prise de décision, le cortex préfrontal. Ce dernier étant alors beaucoup plus actif que bien d'autres structures cérébrales, leurs réserves d'énergie diminuent plus rapidement. Comme les autres structures étant beaucoup moins impliquées le restent pour toute la durée des sessions au tribunal, elles sont disposées à céder une partie de leur réserve énergétique à cette partie du cortex qui est beaucoup plus sollicitée. C'est ce qui fait apparaître le premier pic avec regain d'énergie à l'intérieur de la 1ère session. Cet apport d'énergie ayant été utilisé à son tour, un nouvel apport, cette fois d'une autre structure cérébrale, vient en renfort et constitue un 2e pic, mais chaque fois ces pics sont moins élevés, car l'apport énergétique serait plus faible jusqu'à un apport d'énergie apporter par l'ingestion de nourriture au repas. Lequel serait insuffisant pour rétablir le niveau des réserves énergétiques du début de la journée ce qui traduirait le fait que les réserves énergétiques globales du cerveau diminueraient au fil de la journée. C'est ce qui expliquerait du même coup la quasi-absence de pics à la dernière session de travail des juges. Et comment se manifesterait ce transfert d'énergie? Par cette activité électrique synchronisée des neurones. Quelle que soit leur fréquence, nous pouvons imaginer que ces bouffées d'ondes alpha, delta, thêta ou bêta aient pour fonction de transférer de l'énergie d'une structure à une autre du cerveau. Dès lors, du moment que ce transport d'énergie transiterait par des structures occupées à coder des informations, on peut imaginer qu'il constituerait un bruit de codage à ce moment précis un peu comme de la friture sur une ligne.

Une clé pour comprendre les débuts de l'évolution du système nerveux

Dans un article précédent, je suggérais que dans ses débuts, au stade le plus précoce de son évolution, le système nerveux pouvait avoir pour fonction d'emmagasiner simplement de l'énergie. J'écrivais entre autres : « Imaginons au départ que cette réserve d'énergie n'était disponible que pour des fonctions motrices. Soit, mais rien n'interdit des dizaines voire centaines de millions d'années plus tard que la fonction de cette réserve d'énergie trouve un autre débouché en devenant plus tard une source d'énergie de réserve, mais cette fois pour des fonctions purement cérébrales. » Un organe aussi complexe que le cerveau a pu cumuler au cours de l'évolution deux fonctions aussi différentes que celles de codage de l'information et de réserve d'énergie rapidement disponible par le système nerveux. L'exemple cité ici montre de quelle façon elles pourraient s'articuler l'une l'autre.

De façon intéressante, si cette articulation de ces deux types de fonctions est issue d'un bricolage de l'évolution, on peut imaginer dans ce cas que certains ratés puissent se produire et que de fait, un bruit de codage neuronal puisse se produire lors d'un processus de transfert d'énergie. Dès lors, si un tel bruit de codage manifeste sa présence dans le cerveau des organismes de façon plus ou moins constante, cela nécessiterait un type de codage particulier faisant correspondre à une signification particulière plusieurs schémas possibles d'activations d'un réseau neuronal, ce que je proposais entre autres dans mon article précédent pour le codage de balises neuronales. Faire intervenir un tel bruit neuronal au cours de l'évolution a d'autres implications que j'exposerai dans le prochain article

 

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