Burnout

La baisse de productivité d’un employé devrait toujours être un signal d’alarme pour les employeurs. Cela pourrait être un cas de présentéisme, une présence au travail dissimulant un problème de santé, physique ou mentale.

« Être au travail malade, cela coûte plus cher que l’absentéisme », soutient la professeure au département des sciences de la santé de l’Université du Québec à Rimouski, Mahée Gilbert-Ouimet  Dans cette définition, le présentéisme est en effet le contraire de l’absentéisme: c’est quand un employé se rend au travail, même s’il n’est pas pleinement capable de travailler. 

Celle qui est également titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le sexe et le genre en santé au travail, ajoute que « le présentéisme est plus prévalent chez les femmes » avec 47,5% contre 35% chez leurs collègues masculins. « Mais lorsqu’on regarde le nombre d’heures travaillées perdues, cela touche énormément d’hommes et de femmes âgés de 50 ans et plus.»

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Ce sont en particulier les pertes de productivité associées à la détresse psychologique qui s’avèrent élevées chez les travailleurs âgés de 50 ans et plus, hommes et femmes, relève une récente étude québécoise co-signée par la professeure Gilbert-Ouimet. Et il y a encore un grand tabou pour parler de la santé psychologique au travail, particulièrement chez les hommes.

L’étude a porté sur 1292 cols blancs canadiens et s’appuie sur un questionnaire (K6) que ces travailleurs devaient remplir sur leurs niveaux d’anxiété et de dépression au cours des 30 jours précédents. 

Les femmes de 50 ans et plus s’absentent plus souvent que les hommes et démontrent plus souvent un niveau de détresse psychologique élevé. En fait, les femmes en général ont un plus haut taux d’absentéisme (28% contre 19,5%) et une prévalence plus élevée de haute détresse psychologique (24,5% contre 15%) 

Par contre, au plan du présentéisme, « les hommes perdent deux fois plus d’heures que les femmes lorsque la détresse psychologique est forte. Plus cela va mal aller, moins l’employé pourra réaliser ses tâches, même s’il est présent au travail », note la chercheuse.

Surtout les cadres: « c’est là que l’on perd le plus de travail. Ma piste serait que la personne se sent irremplaçable et aurait donc plus de difficultés à s’absenter pour s’occuper d’elle », relève la chercheuse.

Les chercheurs concluent donc que le présentéisme occasionne plus de coûts que l’absentéisme aux organisations. Ce qui va dans le sens de la littérature scientifique: certains auteurs estiment même que le coût de productivité perdue pourrait être de 5 à 10 fois plus élevé que celui lié à l’absentéisme.

Ainsi, dans l’étude canadienne, le présentéisme associé à la détresse psychologique s’est traduit par un coût de 6944$  pour une femme et 8432$ pour un homme. Tandis que l’absentéisme a coûté 2337$ pour une femme et 2796$ pour un homme.

« Pour faire simple, cela correspondrait à près de 40 jours par année, ce qui est considérable », relève la chercheuse.

Quand la tête n’est pas au travail

La détresse psychologique constitue un indicateur précoce de problèmes de santé mentale et serait un facteur de risque de dépression. « Si on peut agir de manière précoce, il y aura moins de pertes financières », poursuit la chercheuse.

Mais tout n’est pas fonction que de détresse psychologique. Si on sait qu’il y a davantage d’absentéisme du côté des femmes, c’est davantage à cause de leur rôle de mères ou de filles. « Elles doivent s’occuper des enfants ou de leurs parents malades, et donc en prennent beaucoup sur leurs épaules », explique la Pre Gilbert-Ouimet.


Le télétravail, plus répandu depuis la pandémie, vient faciliter la conciliation travail-famille, mais n’est pas exempt de sources de stress.

« Le numérique facilite la gestion du travail et la vie personnelle mais il abolit les frontières entre les deux. Cela cause aussi de la techno-obésité, c’est pourquoi il faut mettre de l’avant le droit à la déconnexion », ajoute-t-elle.

La santé mentale ignorée des travailleurs âgés

Cette étude apporte une contribution précieuse en abordant une réalité souvent ignorée, celle de la santé mentale des travailleurs âgés, commente Jessy Riel, consultante en santé organisationnelle  et présidente d’Ax Conseil. Elle note que le présentéisme est un phénomène encore méconnu, dont les coûts économiques dépassent clairement ceux de l’absentéisme.

À la lecture de l’étude avec sa collègue Catherine Giroux-Trudeau, elle relève que « bien que les femmes déclarent davantage de détresse psychologique, c’est chez les hommes que l’impact sur la productivité est plus sévère. Cela reflète les attentes sociales pesant sur eux, comme nous l’observons régulièrement en accompagnement individuel auprès de gestionnaires masculins peu habitués à demander de l’aide ».

Mme Riel note toutefois que l’étude gagnerait à intégrer directement la voix des travailleurs âgés pour mieux comprendre les mécanismes menant au présentéisme : « une comparaison avec les plus jeunes générations aurait également permis de mieux mettre en lumière des différences ou similitudes intergénérationnelles ». 

En attendant, des pistes de solution pourraient inclure des « diagnostics organisationnels réguliers » (des audits de l’organisation), des formations continues sur le leadership bienveillant et la détection des signes de détresse, des groupes de discussion internes, ainsi qu’un soutien mieux adapté aux travailleurs âgés. « Cela nécessiterait toutefois que les organisations priorisent réellement ces démarches en allouant suffisamment de temps et de ressources à leurs gestionnaires. »

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