L’Agence Science-Presse a publié le 21 novembre 1978, il y aura donc 30 ans cet automne, le tout premier numéro de son bulletin, Hebdo-Science. Voici un autre des 30 articles que nous vous offrirons d’ici au 21 novembre 2008, passant en revue certains bons coups... et certains dilemmes qui appartiennent de plus en plus au passé.

Femmes et recherche scientifique : progrès lents et difficiles

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Depuis une heure, la discussion bat son plein. « Le syndrome pré-menstruel, un phénomène psychologique ou biologique? » Mme Karen Messing, généticienne au département de biologie de l’Université du Québec à Montréal, anime le débat; une vingtaine d’étudiantes y participent. « Il y a quelques années, l’organisation d’un tel cours dans un département de sciences aurait été impossible », soutient l’enseignante.

Une porte entrouverte

Pression du mouvement des femmes oblige : la communauté scientifique ne fait plus la sourde oreille à la réflexion sur la faible présence féminine dans ses rangs. Depuis quelques années, colloques et ateliers traitent du problème, et des colletifs de recherche, tel le Groupe interdisciplinaire d’enseignement et de recherche sur les femmes de l’UQAM, voient le jour.

Au Québec, la percée la plus importante des femmes dans le milieu scientifique universitaire remonte à la fin des années 60 et au début des années 70, indique la sociologue Isabelle Lasvergnas-Grémy.

À l’aube de la Révolution tranquille, les femmes représentent seulement 1,3% du corps professoral universitaire en sciences pures; 15 ans plus tard, leur présence atteint 4,5%. Le bond est plus significatif chez les étudiantes; elles passent de 4,8% de l’ensemble des diplômés en 1960 à 29,6% en 1975, ceci dans le domaine des sciences pures.

Des acquis menacés

Mais déjà en 1970, remarque Mme Grémy, l’espoir de décrocher un poste d’enseignante devient mince pour les nouvelles détentrices de doctorat. Un quasi-gel de l’embauche dans les universités marque en effet la décennie. En 1979, on compte moins de 200 femmes dans les départements universitaires des sciences, pour 3000 hommes.

Malgré une plus grande ouverture du côté des sciences humaines, les filles demeurent toujours minoritaires parmi les finissantes au doctorat. En 1982, elles forment moins de 40% des diplômés en sciences de l’éducation, le domaine où elles sont le plus présentes.

Mais à l’ère des coupures budgétaires à Québec et à Ottawa, « ces minces acquis risquent fort d’être anéantis », craint le regroupement des professeurs d’universités québécoises.

Le sexe de la recherche

Selon Karen Messing, ce déséquilibre numérique des femmes vis-à-vis leurs collègues masculins influence directement les thèmes de recherche et leur traitement. « Des chercheurs masculins ont mené plusieurs études sur les effets du cycle menstruel sur la productivité. Par contre, des chercheuses comme la biologiste Donna Mergler ont plutôt voulu savoir comment les mauvaises conditions de travail augmentent la probabilité des crampes menstruelles. »

Encore aujourd’hui, ajoute Mme Messing, on connaît mal les effets précis des produits toxiques sur le développement du foetus. On commence à peine à comprendre les transformations liées à la ménopause, et les moyens de soulager la douleur pendant l’accouchement demeurent limités.

Karen Messing ne croit pas que ces biais dans la recherche disparaîtront automatiquement avec l’augmentation du nombre de femmes aux niveaux supérieurs de la hiérarchie scientifique. Mais elle ajoute : « pour faire valoir le point de vue et les droits des femmes, nous devons absolument compter sur la force du nombre. »

Pour être reconnues par leurs pairs, les femmes scientifiques isolées adoptent fréquemment des comportements de surhommes, explique sa collègue Donna Mergler. Ardeur au travail, productivité, dévouement ne suffisent toutefois pas à leur assurer respect et promotion. Plus nombreuses en pourcentage que les hommes à bénéficier de bourses d’excellence (68% contre 57%), les étudiantes au doctorat se retrouvent par contre en moins grand nombre au sein des équipes de recherche, a découvert Isabelle Grémy.

Entre femmes

Aux efforts individuels de survie, Donna Mergler oppose plutôt la mise sur pied de collectifs de travail. « Ce nouveau modèle d’organisation doit aussi coïncider avec une façon différente d’aborder la science. »

L’équipe de Mme Mergler par exemple a élaboré ses hypothèses sur les effets des conditions de travail dans les abattoirs de concert avec les travailleuses. Les résultats ont été communiqués à ces employées dans un document accessible. On y dégageait aussi des moyens pour enrayer les agressions à leur santé.

« Cette façon différente d’aborder la recherche en sciences exactes n’enlève rien à la rigueur de la démarche, qui au contraire se trouve enrichie par l’apport des femmes impliquées », soutient Mme Mergler.

L’intrusion des femmes dans la science changera-t-elle la science? Plusieurs se plaisent à y rêver...

Hebdo-Science, 26 février 1985.

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