Nous vivons au-dessus de nos moyens : ce n’est plus juste un problème d’obésité qui nous guette, mais une crise cardiaque. Ou plus exactement, c’est une crise cardiaque qui guette la planète Terre.

 

Nous devons changer notre « diète écologique », disaient depuis longtemps les environnementalistes, et disent à présent, devant la crise financière, un nombre étonnant d’économistes —ainsi qu’un groupe appelé 350.org, qui fait parler de lui dans le cadre de la conférence annuelle des Nations Unies sur le climat, qui a lieu jusqu’au 12 décembre en Pologne. « 350 : le chiffre le plus important sur Terre », lance sans rire le journaliste Bill McKibben, spécialiste du climat et co-fondateur de 350.org, dans un article récent.

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La limite à ne pas dépasser

Changer notre diète écologique, cela veut dire, entre autres choses, réduire notre « consommation » de gaz à effet de serre : jusque-là, air connu. Mais quelle serait la ligne au-dessus de laquelle nous serions en danger? Si les médecins sont capables de dire à quel moment notre niveau de cholestérol devient trop élevé, les scientifiques sont-ils capables de dire à quel moment notre taux de polluants dans l’air devient trop élevé?

Pas encore. Mais ils essaient depuis deux décennies de mettre le doigt sur ce chiffre-magique : combien de parties par million (PPM) de CO2 dans l’atmosphère faut-il pour ajouter un dixième de degré Celsius? Combien de dixièmes de degré Celsius faut-il pour que la machine climatique ne dérape?

Jadis, on disait 550 PPM. Au cours de la dernière décennie, se rendant compte que le climat était manifestement plus délicat qu’on ne le croyait —la fonte accélérée des glaces du Groenland a pris bien du monde par surprise— on a abaissé la limite à 450. Mais depuis cette année, on entend parler de 350 (voir ce texte sur la conférence de James Hansen).

Des chiffres qui seraient bien obscurs... si on ne vous disait que nous avons déjà dépassé les 350. La concentration actuelle de CO2 dans l’atmosphère est en effet de 385 parties par million, et elle continue d’augmenter de 2 PPM par année. Pendant 10 000 ans, jusqu’à la révolution industrielle du XVIIIe siècle, elle s’était maintenue à 275 PPM. Donc, si l’hypothèse pessimiste des 350 est exacte, nous avons déjà dépassé la limite-à-ne-pas-dépasser, ce qui rend la nécessité d’agir encore plus urgente.

Les conséquences si on dépasse

Quelles conséquences, ce dépassement? Difficile à dire, parce que voilà bien tout le problème des limites-à-ne-pas-dépasser : on n’en connaît avec certitude les conséquences... que lorsqu’on a dépassé les limites! Si les médecins ont abaissé au fil des ans le niveau de cholestérol-à-ne-pas-dépasser, c’est parce qu’ils ont vu bien des patients mourir d’une crise cardiaque. De la même façon, si les climatologues ont abaissé la ligne de 550 à 450 (l’Union européenne a basé ses objectifs de réduction de gaz à effet de serre sur l’hypothèse 450), c’est en partie parce qu’ils ont vu les glaces du Groenland et du Pôle Nord fondre (en été) plus vite que prévu.

Personne ne peut donc dire à quel moment on dépasse « la ligne »; on s’en aperçoit des années trop tard. Outre la fonte des glaces polaires, autres conséquences possibles : le dérèglement des machines climatiques qui gouvernent la régularité des moussons, l’acidification des océans ou le renouvellement des glaciers.

Que faire? Cesser de se contenter d’objectifs de réduction de 15 ou 20% d’ici 2020, comme on en débat en ce moment à Poznan, Pologne. Ça, écrit McKibben, c’est de l’histoire ancienne. L’équivalent du patient qui se préoccupe encore de son surpoids, alors qu’il est temps de se préoccuper de sa possible crise cardiaque.

Et ça, ça veut dire changer son mode de vie —pour le patient comme pour la société. En ce sens, le résumé des tâches à accomplir, tel que présenté par le groupe 350.org, n’a rien d’inédit, il prend simplement une couleur différente sous l’éclairage de l’hypothèse 350 :

- Moratoire sur les centrales au charbon

- Fin de la gratuité du CO2, ce qui veut dire un permis d’émettre une quantité maximale de carbone chaque année, et une taxe aux entreprises sur toute production excédentaire. Les entreprises refileront cette taxe aux consommateurs, ce qui veut dire que le prix des produits comme l’essence augmentera, ce qui se traduira par des économies d’énergie.

- Entente internationale, incluant l’Inde et la Chine.

Pas des minces tâches. La deuxième, en particulier, sera très mal vue par les Occidentaux, parce qu’elle impliquera des sacrifices à leur confort. C’est là qu’interviennent les économistes : une partie de ces taxes perçues chez les entreprises devrait revenir au citoyen, pour contrebalancer en partie la brutale hausse des prix, et une partie devrait être investie dans les gigantesques et inévitables travaux d’infrastructure. Et c’est ici qu’interviennent les politiciens : quels travaux d’infrastructures privilégier? Parcs d’éoliennes ou édifices moins énergivores? Les plus optimistes parlent d’un « Plan Marshall » du 21e siècle, en référence aux sommes énormes investies par les États-Unis dans la reconstruction de l’Europe, après la Deuxième guerre mondiale. Combien de milliards? À quel rythme?

Vu sous cet angle, on comprend mieux pourquoi les écologistes disent depuis longtemps que le Protocole de Kyoto n’était qu’une première étape. Et à en juger par l’état laborieux des négociations cette semaine, cette première étape n’est même pas franchie... Lorsque ces milliers de délégués se retrouveront à Copenhague l’an prochain pour —espèrent-ils— mettre la dernière main à un « Kyoto 2 », la Terre aura dépassé les 387 PPM...

 

 

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