Il n’y a pas eu autant de morts que prévu. Il était donc inévitable que l’après-H1N1 vive sa période de reproches, voire d'accusations. Que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ait surestimé la gravité de cette grippe, c’est indéniable, mais était-ce le fait d’une prudence élémentaire ou d’une malveillance délibérée? La communauté médicale paie-t-elle le prix de ces liens avec l’industrie pharmaceutique qu’elle dénonce pourtant en coulisse depuis 20 ans?

Le H1N1 entre à présent dans la phase des récriminations, titrait récemment le British Medical Journal. Et les plus légitimes de ces récriminations —qui a décidé quoi?— s’entremêlent aux plus radicales —l’industrie pharmaceutique, Grand Satan— ce qui n’aide pas à y voir clair.

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Campons le décor. Peu de gens, même parmi les plus vifs critiques de l’OMS, ne nient pas que le H1N1 était réellement un virus a priori inquiétant, hors saison et génétiquement différent. Là où ils divergent d’opinion, c’est dans la vitesse à laquelle on aurait pu conclure que ce virus était bénin. Et surtout, dans le rôle qu’ils attribuent à l’industrie pharmaceutique dans cette décision.

Qu’il y ait eu des pressions de l’industrie ne fait aucun doute. C’est un fait bien documenté, et qui ne date pas d’hier :

Au cours des deux dernières décennies, l’industrie pharmaceutique s’est éloignée de son but initial de découvrir et de produire des médicaments utiles. Elle est à présent une machine à marketing et pour vendre des médicaments aux bénéfices douteux, cette industrie utilise sa richesse et son pouvoir pour corrompre toute institution qui pourrait se mettre dans son chemin (Marcia Angell, ancienne rédactrice en chef du New England Journal of Medicine, 2004)

Ces accointances font l’objet d’innombrables débats, colloques, et livres, ont donné lieu à des histoires parfois tragiques (l’affaire Jesse Gelsinger, en 1999) parfois maladroites (l’affaire des prête-noms, en 2009) qui entraînent à leur tour des réformes (voir encadré).

Mais l’industrie peut-elle être la responsable de la redéfinition du mot pandémie, qui a ouvert la porte à la campagne de vaccination? C’est le point suivant.

Qui décide de l'alerte?

À partir de quel seuil décide-t-on de lancer l’alerte? Et qui décide? Retour dans le temps. En avril 2009, la grippe qu’on appelle encore porcine apparaît sur les écrans radars, au Mexique. En deux semaines, elle aura été signalée dans neuf pays; en six semaines, dans 74 pays. C’est un taux de transmission foudroyant.

En mai 2009 —et c’est le coeur des reproches qui sont aujourd’hui adressés à l’OMS— la définition de pandémie est revue à la baisse. Avant, une pandémie était caractérisée par des épidémies simultanément à travers le monde, avec un grand nombre de morts et de blessés. Désormais, on abandonne le concept de grand nombre. Qui en a décidé? Pour les accusateurs, la cause est entendue : ce sont les Big Pharma.

Le 22 janvier dernier, le Conseil de l’Europe lançait une enquête à ce sujet. Principal accusateur, le Dr Wolfgang Wodarg, ancien épidémiologiste et ex-député de gauche allemand.

Mais en fait, c’est plus compliqué que ça. Il y avait eu un gros débat, en avril et mai 2009 : pour décréter qu’une chose est une pandémie, est-il éthique d’attendre qu’elle en devienne une? Comme l’écrivait alors non sans humour ce blogueur en santé publique :

L’argument se résume à ceci. Nous ne devrions pas appeler « pandémie » une pandémie, parce que les gens pourraient mal comprendre que cela signifie que c’est une pandémie. Et ils feraient des choses, comme de paniquer, comme les autorités britanniques le font en ce moment...

La question reste toutefois en l’air : les gens qui, au sein de l’OMS, ont ultimement pris la décision de changer cette définition, l’ont-ils fait parce qu’ils étaient au service d’une compagnie pharmaceutique? C’est ce que Wolfgang Wodarg affirme depuis des mois, mais sans jamais fournir de noms.

La revue Protégez-vous, dans son édition de février, cite, comme d’autres, le Dr Albert Osterhaus, un virologue dont l’organisme de recherche compte parmi ses sources de financement 10 compagnies pharmaceutiques (auxquelles il faut ajouter les organismes subventionnaires publics). Or, la diversité des sources de financement est plutôt de nature à rendre un chercheur indépendant : s’il déplaît à une source, il se rabat sur les autres...

Les acteurs de la critique

Wolfgang Wodarg n’est pas lui non plus sans taches. Souvent présenté comme épidémiologiste, il n’a produit aucune recherche depuis au moins 1989, et ce n’était pas en épidémiologie. Décrit comme l’ex-président du sous-comité sur la santé du Conseil de l’Europe, il est « ex » depuis 2004. Et il a perdu son siège de député aux dernières élections.

Plus grave est le fait que parmi ses accusations, figurait celle que le vaccin contre le H1N1 était dangereux parce que produit en vitesse, alors que cinq mois, c’est à peu près le délai de production du vaccin annuel contre la grippe. Ses affirmations sur les risques, formulées en 2009, se sont depuis avérées sans fondements.

Un autre acteur important est le Dr Tom Jefferson, ancien médecin de l’armée britannique, attaché au groupe de recherche Collaboration Cochrane. C’est lui qui, dans une entrevue publiée en juillet 2009 dans le Der Spiegel allemand, laissait entendre à demi-mot que l’OMS aurait été sous influence lorsqu’elle a changé la définition du mot pandémie.

Les compagnies pharmaceutiques... Elles ont bâti cette machine autour de la pandémie imminente. Il y a beaucoup d’argent impliqué.

Jefferson s’est également fait connaître au cours des années pour ses attaques contre la légitimité de vacciner contre la grippe les personnes âgées. Il a, de fait, mené quelques études là-dessus, mais leurs conclusions sont moins tranchées que ses opinions.

Ce sont néanmoins ses opinions qui ont conduit le mouvement anti-vaccination à vouloir lui décerner, en octobre dernier, son prix « Courage en science ». Jefferson a refusé le prix en apprenant, « avec horreur », qu’il aurait partagé la tribune avec le Dr Andrew Wakefield —l’auteur de cet article de 1998 associant faussement vaccination et autisme (et que le British Medical Journal a retiré de ses archives la semaine dernière).

Et la science?

Grippe bénigne ou pas, la recherche a beaucoup progressé depuis avril 2009. En éditorial le 14 janvier, la revue britannique Nature se réjouissait que les leçons apprises lors de la crise du SRAS aient servi : les chercheurs ont, plus que jamais auparavant, partagé leurs données à l’échelle internationale, sur le décodage des gènes du virus comme sur sa transmission.

Toutefois, lit-on, ces recherches génétiques ont aussi permis de confirmer que le virus circulait depuis au moins une décennie chez les porcs et qu’il a probablement « sauté » chez les humains longtemps avant d’être détecté au Mexique. « Qu’il n’ait pas été détecté plus tôt est inacceptable... Nous avons été chanceux que la souche H1N1 ait été, en majeure partie, bénigne. »

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