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Si on n’a pas étudié en science, comment peut-on distinguer un débat sincère entre deux groupes de scientifiques, d’un débat maquillé par une habile campagne de relations publiques? La réponse n’est pas simple, parce que le propre d’une bonne campagne de relations publiques... est de ne pas avoir l’air d’une campagne de relations publiques!

 

Été 2008. Le concept de charbon propre fait son entrée dans la campagne présidentielle américaine. Les deux adversaires, aussi désireux l’un que l’autre de se démarquer de leur prédécesseur, se mettent à parler d’études scientifiques; l’industrie du charbon publie des communiqués encourageants sur les investissements en cours; et les partisans les plus écolos des deux candidats, dans les rassemblements politiques, se mettent spontanément à arborer des casquettes « Clean Coal ».

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La réalité? Pas la moindre étude scientifique... et aucun partisan spontané, juste des casquettes et des t-shirts distribués aux quatre coins des États-Unis, en prévision de chaque visite d’un candidat, dans l’espoir que le slogan « charbon propre » soit capté par les caméras de télé. Une énorme campagne publicitaire de 40 millions de dollars, dont l’objectif premier est de contrer toute velléité de réglementer l’industrie du charbon.

Le Canadien James T. Hoggan, qui relève cette anecdote dans son livre Climate Cover-Up : The Crusade To Deny Global Warming , ne devrait pas être surpris : les relations publiques, c’est son métier. Président-fondateur de la firme Hoggan et Associés, à Vancouver, il dit croire en la valeur d’une bonne campagne de relations publiques, « pour rapprocher les gens et bâtir une meilleure compréhension ». Certes, dit-il, il y a toujours eu des pommes pourries —les relationnistes qui, pendant trois décennies, ont fait l’apologie du tabac, par exemple— mais il les avait toujours considérés comme des exceptions. Plus maintenant.

D’autres avant lui ont enquêté sur la lutte féroce menée par l’industrie du pétrole pour nier le réchauffement climatique, depuis le journaliste américain Ross Gelbspan en 1997 (The Heat is On). Plus récemment, des auteurs comme Chris Mooney (Republican War on Science, 2006) ou Michael Specter (Denialism, 2009) ont creusé respectivement les accointances politiques ou la psychologie du déni. Mais Hoggan a l’avantage de bien connaître les trucs et astuces de sa profession, et avec son associé Richard Littlemore, il s’est employé depuis 2006, dans le blogue DeSmogBlog, à ramasser des tonnes d’informations sur le fonctionnement de cette « industrie du doute ».

C’est cette recherche qui est devenue Climate Cover-Up. Et le résultat est particulièrement déprimant quand Hoggan nous rappelle qu’en 1988, quand le concept de réchauffement climatique a quitté le confinement des revues scientifiques pour entrer dans l’arène politique, personne ne niait le réchauffement. La cause était entendue. Seules subsistaient des incertitudes sur ses impacts et sur la vitesse à laquelle ceux-ci se produiraient.

Vingt-deux ans plus tard, si des centaines de millions de personnes ont l’impression que les scientifiques en débattent encore, ce n’est pas parce que des données contradictoires sont apparues entretemps : c’est uniquement parce que des milliards de dollars ont permis de financer des lobbyistes à Washington, Ottawa et dans les autres capitales, des « think tanks », des politiciens sympathiques à l’industrie et des relationnistes maquillés en « groupes de citoyens ».

Rien de tout cela ne constitue un scoop : au fil des années, des documents embarrassants ont été obtenus par la presse, révélant la stratégie de l’industrie du pétrole et du charbon, par exemple par la création d’un groupe financé secrètement et soi-disant indépendant, appelé le Conseil d’information sur l’environnement. L’idée étant que les médias, soucieux de présenter « l’autre côté de la médaille », citeraient abondamment le Conseil, sans se demander si les opinions qu’il avançait s’appuyaient vraiment sur des données nouvelles.

Le Canada a eu un tel groupe, fondé en 2002 sous le joli nom de Friends of Science, présenté comme un regroupement de climatologues « sceptiques », jusqu’à ce qu’en 2006, un journaliste du Globe and Mail ne révèle qu’aucun n’avait publié la moindre étude sur le climat... et qu’il était financé à 100% par l’industrie du pétrole et du gaz naturel.

Mais pour revenir à la question du début : comment savoir, si on n’est pas soi-même scientifique et qu’on n’a pas le temps de se transformer en journaliste d’enquête? Un truc à retenir :

 

Le succès d’une campagne de fausse science (junk science) repose sur trois facteurs. D’abord, la conversation sur la « science » a lieu le plus souvent en dehors des institutions scientifiques... [Ensuite] les talents de ses praticiens... Ce sont des gens charmants et divertissants. [Enfin] la chambre d’écho : c’est le réseau de réverbération des think tanks, blogues et médias idéologiquement sympathiques [à la cause].

 

Autrement dit, ces « climato-sceptiques » n’ont rien publié et n’ont même pas l’intention de publier quelque donnée solide que ce soit. Par contre, ils sont très bons devant la caméra. Et ils ont une légion de gens prêts à répercuter leurs propos.

Quant aux scientifiques, leur timidité face à la communication les dessert. Les événements des derniers mois —le « climategate »— survenus après la publication de ce livre, auraient pu fournir un ou deux chapitres de plus à James Hoggan.

 

 

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