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Cultivés ou incultes? La question peut sembler simple, elle ne l’est pas. Et pourtant, elle est au coeur de la réflexion sur la nécessité —ou non— de financer davantage les efforts de vulgarisation scientifique.

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Au Québec, il y a eu plus de mauvaises que de bonnes nouvelles dans la dernière année: mise à pied du personnel de la Biosphère, ce musée des sciences de l’environnement unique en son genre; inquiétudes autour du Centre des sciences de Montréal; et fermeture du Carrefour des sciences de l’Est du Québec. Faut-il s’inquiéter de l’état de la culture scientifique au Québec?

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C’est la question que nous posons à l’émission cette semaine, mais pas à travers une tentative de «mesurer» la culture ou l’inculture scientifique du citoyen moyen. Parce que les tentatives en ce sens, explique Pascal, tendent à démontrer que l’important réside plutôt dans la visibilité des enjeux scientifiques tout autour de nous, dans le niveau auquel le citoyen y est exposé dans une vie —à travers les médias, les musées ou autres activités.

Et sur ce plan, les indicateurs ne sont pas très bons, de l’avis de Roselyne Escarras, dont l’organisme, le seul du genre dans tout l’est du Québec, ferme ses portes après 12 ans d’existence.

De son poste d’observateur du milieu de la culture scientifique, Jacques Kirouac, directeur de Science pour tous —qui rassemble les quelque 200 organismes du domaine— nous trace un portrait impressionniste : des organismes petits, fragiles, reposant en très grande majorité sur le bénévolat.

Nos invités:

 

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Je vote pour la science est diffusée le mardi à 11h à Radio Centre-Ville (102,3 FM Montréal) et disponible sur iTunes. Vous trouverez sur cette page des liens vers les émissions des saisons précédentes. Pour en savoir plus sur l'initiative Je vote pour la science, rendez-vous ici. Vous pouvez également nous suivre sur Twitter.

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Transcription partielle:

Isabelle Burgun (IB): Sommes-nous incultes scientifiquement. Pascal, pourquoi cette question?

Pascal Lapointe (PL): Beaucoup de gens s’imaginent que parce qu’ils n’ont pas étudié en science, ils sont ignorants. C’est notamment une chose qui revient régulièrement chez mes étudiants: je donne un cours de vulgarisation scientifique à de futurs journalistes, et leur premier réflexe est toujours de dire: ah, j’étais pas bon en science à l’école.... Ce qui veut dire, à leurs yeux: les sciences, j’y comprendrai rien.

IB: Comme si les sciences étaient réservées à des gens plus intelligents...

PL: Ce qui est faux, évidemment. Et il faut ajouter à ça que la science n’occupe pas une grande place dans notre société, donc, une fois sorti de l’école, pour quelqu’un qui ne travaille pas en science, il est possible de ne pas pratiquement jamais entendre parler de science.

Tu arrives du congrès de Science pour tous, le rendez-vous annuel des organismes de vulgarisation scientifique, et tu en parlais la semaine dernière, combien les perspectives, pour certains organismes, sont sombres. Ce sont des petits organismes, sous-financés, ou pas financés du tout, et certains subissent même des coupures.

IB: On a parlé par exemple de la Biosphère, qui, en raison des coupures au ministère canadien de l’Environnement, met à pied son personnel.

PL: Plus le milieu est fragile, moins le grand public a d’occasions d’être confronté à des gens qui vont lui parler de science de façon intéressante.

IB: A moins d’être des fans de Découverte à Radio-Canada.

PL: Ou de Je vote pour la science...

IB: On va tout d’abord écouter ce que ça signifie, un petit organisme qui se fait couper, avec Roselyne Escarras.

Écoutez l'entrevue avec Roselyne Escarras en cliquant sur le lien audio ci-joint, à la 3e minute.

IB: Situation difficile pour des organismes comme le Carrefour des sciences de l’Est du Québec, et pour beaucoup d’organismes de culture scientifique, qui sont, traditionnellement, petits et fragiles. Mais qu’en est-il de la question qu’on posait au début de l’émission : les Québécois ont-ils une bonne culture scientifique, ou sont-ils plutôt incultes?

PL: Le lien entre ces 2 questions, c’est que les chercheurs semblent s’être rendu compte que c’était une chose impossible à mesurer. En comparaison, c’est facile de mesurer si quelqu’un sait lire, ou s’il sait compter. Mais être cultivés scientifiquement, ça veut dire quoi?

Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Les gouvernements américains, canadiens et européens ont tenu à partir des années 1970 des enquêtes, auprès de leurs populations, pour essayer d’évaluer leur niveau de culture scientifique. La dernière québécoise, en 2002, qui s’intitulait Enquête sur la culture scientifique et technique des Québécois , s’inspirait en partie d’une enquête européenne, Eurobaromètre. Et elle arrivait à des résultats à la fois surprenants, décourageants, et flous.

IB: Tout ça en même temps?

PL: Ça dépend de comment on l’analyse. Tiens, faisons un test. J’ai sorti de cette enquête quelques questions, je te les pose, à toi et aux auditeurs.

La Terre fait le tour du Soleil en un mois, vrai ou faux?

IB: Mais franchement...

PL: Eh bien il y a 15% des Québécois qui ont dit que c’était vrai.

Les électrons sont plus petits que les atomes, vrai ou faux? 22% des Québécois ont dit que c’était faux.

Les premiers humains vivaient à la même époque que les dinosaures, vrai ou faux? 19% ont dit que c’était vrai.

Et une petite dernière: toute radioactivité résulte de l’action humaine, vrai ou faux?

C’est bien sûr faux, il y a de la radioactivité naturelle, mais 23% des Q qui ont dit que la radioactivité, c’est juste une invention des humains.

Au final, on peut se dire, ah, c’est épouvantable cette ignorance, mais ça ne nous avance pas à grand-chose, parce que quelle que soit la question posée, il n’y aura jamais 100% des gens qui répondent correctement.

Est-ce que ça veut dire que ces gens sont incultes? Non. Depuis que ces études ont commencé dans les années 70, les sociologues des sciences ont réalisé par exemple que quelqu’un peut être créationniste, et en même temps avoir lu abondamment sur les mesures à prendre pour réduire la pollution des gaz à effet de serre.

IB: Donc, il faudrait se défaire de l’idée simpliste à l’effet que la vulgarisation servirait à accroître presque mathématiquement les connaissances de la population.

PL: Au Québec, on a notamment Yves Gingras, de l’UQAM, qui dit que ce qui serait utile pour un citoyen éclairé, ce serait plutôt d’être un peu plus conscient de la façon dont la science se construit, entre les murs des universités, qu’est-ce que c’est qu’une revue scientifique, qu’est-ce qui distingue un fait d’une opinion...

Et pour qu’une telle chose arrive, il faut que le citoyen soit exposé plus souvent à l’information scientifique, à travers les médias, les musées, ou d’autres activités. Que ça finisse par faire partie de son environnement normal.

Le pari, et c’est en un sens pour ça que Je vote pour la science existe, le pari, c’est qu’un citoyen qui n’a gardé qu’un mauvais souvenir de ses cours de science à l’école, pourrait perdre ses préjugés face à la science, s’il est régulièrement exposé à des questions de science intéressantes.

IB: Il va faire davantage de liens entre la science et la vie de tous les jours, ça va lui donner envie d’en savoir plus. Ça va peut-être aussi lui donner envie d’amener son enfant voir une exposition ou participer à une activité, comme celle dont parlait Mme Escarras.

Et ça, ça nous ramène au congrès de Science pour tous...

Écoutez l’entrevue avec Jacques Kirouac en cliquant sur le lien audio ci-joint: 17e minute.

IB: Terminons par une note politique. Cette semaine, lundi et mardi, avait lieu à Québec un événement appelé les Assises nationales de la recherche et de l’innovation. C’est un événement organisé par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche, science et technologie, et ces Assises sont le dernier événement préparatoire au dépôt de la Politique scientifique du Québec.

PL: Ce sera la 3e politique scientifique et elle doit être déposée en juin. Un des messages qui a été envoyé par le ministre Pierre Duchesne il y a quelques jours, c’est que cette politique serait moins orientée «économie» que ses 2 prédécesseurs.

Autrement dit, on ne favoriserait pas juste la recherche qui peut aboutir à des choses commercialisables. Mais aussi la recherche fondamentale. Ce qui va satisfaire beaucoup de chercheurs en sciences sociales.

IB: Mais qu’en est-il de la place de la culture scientifique dans tout ça?

PL: Eh bien c’est sûr que dans les documents préparatoires, on parle essentiellement de recherche, d’innovation, d’investissements dans les secteurs-clefs. Résultat, la culture scientifique ne peut pas faire autrement que d’occuper une toute petite partie.

IB: Pourtant, logiquement, ça s’inscrirait bien dans une politique scientifique que d’écrire que le gouvernement attache une grande importance à ce que la population comprenne mieux les enjeux scientifiques de l’heure.

PL: Dans le cahier des participants de ces Assises nationales, qui est un document de 50 pages, il y a effectivement une sous-section sur la formation, à l’intérieur de laquelle il y avait un paragraphe sur la culture scientifique. Je cite:

C’est par la maîtrise de principes scientifiques de base que l’individu façonne sa vision du monde, apprend à différencier les affirmations vraies de celles qui sont fausses, et forge ainsi son esprit critique.

Jusque-là, rien d’étonnant, c’est la suite, 3 paragraphes plus loin, qui est peut-être plus révélatrice de ce qu’est la philosophie politique aujourd’hui, et du petit espace dans lequel la culture scientifique doit s’engouffrer si elle veut survivre. Je cite:

L’idée d’accroître la culture scientifique est essentielle, mais insuffisante. Il faut apprendre à partager les apprentissages, à les rentabiliser et surtout à diffuser largement les idées créatives et le savoir-faire québécois.

 

Je donne