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On ne compte plus les prix scientifiques remis chaque année dans le monde. Au Canada seulement, on en dénombre au moins 72. Quel rôle jouent-ils dans la communauté scientifique et auprès du public?

« Le plus frappant quand on reçoit un prix, c’est la reconnaissance qui l’accompagne », note le biologiste Louis Bernatchez, récipiendaire de nombreux honneurs, dont le prix Marie-Victorin en 2012.

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Selon lui, ces prix confèrent au récipiendaire une étiquette de « chercheur de haut niveau », et une renommée lui donnant plus de poids lorsqu’il s’exprime publiquement ou défend une cause. Il donne l’exemple de la Pétition pour le maintien intégral du budget du Fonds Recherche Québec, qu’il a pilotée en 2012. « Je suis convaincu que le fait d’avoir reçu le prix Marie-Victorin m’a permis d’avoir plus d’impact. »

Ce n’est pas Yves Gingras qui le contredira. L’historien des sciences souligne que l’on donne aux récipiendaires une aura dépassant souvent leur expertise, notamment dans le cas des prix Nobel. « Soudainement, on les interroge sur toutes sortes de questions scientifiques ou politiques, qui n’ont rien à voir avec leur champ de recherche », souligne-t-il. Une fonction sociale

Reste que pour lui, la principale fonction de ces prix est de structurer la communauté scientifique. « Dans ces communautés, ce qui crée le lien social, c’est la reconnaissance des pairs, dit-il. C’est crucial. Or, les prix scientifiques sont une forme importante de reconnaissance. »

Ainsi, il y a une gradation dans les prix. Avant de devenir « nobélisable », il faudra remporter les récompenses nationales les plus prestigieuses. Cela commence souvent en début de carrière, avec un prix de la relève. C’est déjà une tape dans le dos qui fait comprendre à un jeune chercheur qu’il est accepté par la communauté. Et lorsque cela s’accompagne d’une bourse, l’effet est bien concret. « Quand j’ai reçu la Bourse commémorative E.W.R. Steacie du CRSNG, j’ai aussi reçu près de 350 000 $ en financement de recherche et en salaire, souligne Louis Bernatchez. C’est là que mes recherches ont vraiment décollé. »

Prix individuel, recherche collective

Lorsque le prix Nobel de physique a été remis aux découvreurs du boson de Higgs, François Englert et Peter Higgs, plusieurs se sont demandé pourquoi le Conseil européen pour la recherche nucléaire (CERN) n’avait pas également été récompensé. Après tout, sans ses expériences, les deux théoriciens attendraient toujours de savoir si leur théorie était juste. Cette habitude de récompenser des chercheurs individuels, alors que la recherche est désormais résolument collective et multidisciplinaire, est-elle encore pertinente?

« C’est un peu anachronique, soutient Yves Gingras. Cela perpétue l’image du savant isolé dans son bureau, qui fait une découverte bouleversant les connaissances dans son domaine. Et cela ouvre souvent la voie à la controverse. »

Un exemple? En 2011, le prix Nobel de médecine est remis à Jules Hoffmann, Bruce Beutler et Ralph Steinman. Le décès inopiné de ce dernier provoque un débat. Faut-il offrir le prix à titre posthume? Par la suite, des chercheurs remettent en question le choix de Bruce Beutler, et dénoncent l’omission de Charles A. Janeway Jr et Ruslan Medzhitov, dont la contribution aurait été plus importante. Enfin, un étudiant ayant travaillé pour Jules Hoffmann soutient que la recherche récompensée était en fait la sienne, et que Jules Hoffmann n’avait démontré aucun intérêt envers ces travaux. Quand les trois récipiendaires d’un prix sont contestés, ça fait désordre!

Des prix qui s’adaptent

L’Acfas, qui remet des prix scientifiques au Québec depuis 1944, a pris acte de l’évolution des sciences. « Plusieurs de nos prix, dont les prix Adrien-Pouliot, J.-Armand Bombardier ou Pierre-Dansereau, peuvent être décernés à une personne ou un groupe, alors que le prix Jacques-Rousseau récompense la multidisciplinarité », explique la directrice de projets Johanne Lebel. Ce type de prix peut d’ailleurs donner des maux de tête au jury. Comment, en effet, comparer une candidature issue de la philosophie à une autre issue des sciences de la santé? « Il faut s’efforcer de trouver des critères rendant justice à tout le monde, et faire confiance au jugement des jurés. »

Pour elle, les prix scientifiques restent pertinents. « Ils récompensent les chercheurs, leur offrent une reconnaissance et vulgarisent leurs travaux auprès du public. » Elle rappelle que ces prix jouent un rôle social au Québec depuis longtemps. En 1959, l’Acfas offrait le Prix Urgel-Archambault au sociologue Georges-Henri Lévesque, au risque de s’attirer les foudres de Maurice Duplessis, qui ne l’aimait pas du tout. « L’Acfas aurait pu perdre son financement… », lance, sourire en coin, Johanne Lebel. Le sort a voulu toutefois que le premier ministre du Québec meure cette année-là. L’histoire ne dit pas s’il faut y voir un lien de cause à effet!

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