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Cette année encore, ils seront nombreux à grogner sur le Nobel de chimie: les gagnants sont-ils de «vrais» chimistes... alors qu’ils ont inventé un appareil qui a révolutionné la biologie et dont le principe relève de la physique?

Le microscope à haute résolution, que d’aucuns appellent nanoscope, qui vaut aujourd'hui aux trois récipiendaires le Nobel de chimie 2014, est ce qui permet, depuis les années 2000, d’observer des virus, des protéines ou des molécules d’une taille inférieure à 0,0002 millimètre (ou 20 gros nanomètres). La révolution: ça va au-delà de ce que la physique disait possible depuis un siècle et demi.

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L’Allemand Stefan Hell a été le premier à utiliser un tel appareil, avec un article paru en 2000, mais qui avait été précédé par près de 10 années de réflexions, de théories et de scepticisme. Les Américains Eric Betzig et William Moerner, ont séparément mis au point un second procédé après 2006. Grâce à eux, on peut désormais voir, par exemple, comment les molécules créent des synapses entre des neurones; à quoi ressemblent les protéines qui sont peut-être responsables de l’Alzheimer ou du Parkinson.

Avant cette percée, les lois de la physique dictaient une limite du «visible» à 200 nanomètres, à peu près la longueur d’onde d’un rayon de lumière. L’exploit de ces trois hommes et de leurs collègues fut de contourner cette limite en utilisant un autre type de lumière. Stefan Hell, ainsi, songea à exploiter les propriétés de composés fluorescents utilisés en biologie lorsqu’on veut distinguer des molécules au milieu de plus vastes échantillons.

Mais est-ce de la chimie?

Le paradoxe «chimie sans chimistes» n’est pas passé inaperçu à Stockholm. En faisant l’annonce ce matin, le président du comité Nobel de chimie, Sven Lidin, a expliqué l’importance de cette «nouvelle microscopie» en déclarant: «la biologie est devenue de la chimie. La chimie est devenue de la biologie.»

De fait, Stefan Hell travaillait en 2000 dans un centre de recherche dont le nom à lui seul est un modèle de multidisciplinarité: l’Institut Max-Planck de chimie biophysique. William Moerner est professeur de physique appliquée à l’Université Stanford et le «Laboratoire Moerner» travaille à perfectionner «l’imagerie en super-résolution». Et Eric Betzig est physicien de formation et travaille au Campus de recherche Janelia de l’Institut Howard-Hughes, qui est un centre de recherche biomédicale. Là-bas, depuis 2005, son équipe tente de «développer de nouvelles techniques d’optique pour la biologie».

Ce n’est pas la première fois que la question se pose. Au moins la moitié des Nobels de chimie de la dernière décennie ont donné lieu à de semblables débats sémantiques: le rôle de la protéine G au coeur de nos cellules (Nobel de chimie 2012) ne relève-t-il pas plutôt de la biologie? Et la protéine qui vaut à la méduse sa fluorescence (Nobel 2008)? Et le ribosome, cette structure incontournable du vivant (Nobel 2009)? Et la catalyse d’un certain type de molécules présente dans tout être vivant (Nobel 2010)?

En fait, ce questionnement n’est qu’un de ceux derrière les appels, depuis des années, à réformer les Nobels, dont la division biologie-chimie-physique, qui avait du sens en 1901, ne correspond plus beaucoup à la réalité du 21e siècle.

Même le fait de récompenser trois scientifiques pour la totalité, la moitié ou le tiers d'une découverte, relève d’un autre siècle: la science est depuis longtemps le produit de larges équipes, alors que les règles du Comité Nobel continuer de placer une limite de trois gagnants par prix. Par exemple, l’article qui vaut à Stefan W. Hell sa récompense cette année était cosigné par une demi-douzaine d’autres personnes de l’Institut Max-Planck.

Cela dit, le fonctionnement du Comité Nobel est tout spécialement réputé pour son opacité et ceux qui font des appels à une réforme n’ont eu droit, depuis des années, qu’à des réponses polies.

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