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Lorsqu’on planifie pour le futur, la certitude peut être une denrée rare. Pourtant, les scientifiques ont confiance dans leurs modèles. Pourquoi?


Ce reportage est paru d'abord dans le quotidien américain Christian Science Monitor.
Il est republié ici dans le cadre du partenariat entre l'Agence Science-Presse et Covering Climate Now,
une collaboration internationale de quelque 300 médias visant à renforcer la couverture journalistique du climat.


 

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- par Amanda Paulson, Christian Science Monitor


Dans le monde moderne, les modèles informatiques servent de panneaux indicateurs indispensables à certaines des entreprises humaines les plus complexes et les plus dangereuses, de la construction d’un gratte-ciel ou d’un pont jusqu’au voyage en avion ou dans l’espace.

Dans l’univers de la science du climat, ils sont particulièrement scrutés, certains sceptiques les rejetant entièrement. En même temps, des milliers de scientifiques comptent sur eux. Qu’est-ce qui leur donne cette assurance?

« Les modèles (climatiques) englobent tout ce que nous savons sur la façon dont le monde fonctionne », déclare Andrew Gettelman, scientifique au Centre national de recherche atmosphérique à Boulder, Colorado.

Les équations qui en sont la charpente sont entrelacées dans les fabriques de nos vies. « Si nous ne comprenions pas la thermodynamique et ne comprenions pas l’eau et la condensation de l’eau, les moteurs à combustion ne fonctionneraient pas, explique-t-il. Si nous ne comprenions pas la dynamique des fluides, nous ne pourrions pas prédire la météo, nous ne pourrions pas faire fonctionner la tuyauterie, ni les usines chimiques. Rien dans la physique de ces modèles climatiques n’est nouveau. »

Cela étant dit, les modèles d’aujourd’hui sont incroyablement complexes ; ils prennent en compte une multitude de processus et l’incertitude fait partie de leur ADN.

Ils offrent plusieurs scénarios, basés sur les actions humaines, par exemple les choix que nous faisons autour de la réduction des émissions de carbone. Mais il y a aussi de l’incertitude dans les prévisions que procure chaque modèle.

La climatologue Kate Marvel, de l’Institut Goddard de la NASA, s’inquiète comme d’autres que de communiquer l’incertitude scientifique au grand public ne soit mal interprété: « il y a de l’incertitude, mais il y a aussi de vraiment très grandes certitudes, dit-elle. Nous avons écarté « tout va bien ». « Tout va bien » ne va pas arriver. »

Les scientifiques en général aiment l’incertitude, poursuit Drew Shindell, climatologue à l’Université Duke. Les différences entre les modèles climatiques aident à pointer les endroits où ces modèles concordent, les éléments auxquels nous pouvons faire confiance et l’intervalle des résultats qui nous aide à comprendre les risques relatifs à chaque action.

« L’incertitude ne signifie pas que vous ne devriez pas agir sous le prétexte que vous ne connaissez pas le résultat », poursuit Shindell. « Ça signifie que vous devriez être prudent face au risque que se produisent les extrêmes, parce que vous ne pouvez pas les écarter. »

Mondes simulés

Une grande partie de la confusion face aux modèles vient d’une mauvaise compréhension de ce qu’ils sont et ce qu’ils sont censés faire, déclare Andrew Gettelman. Les modèles ne sont pas des mondes théoriques, mais plutôt des mondes simulés, contraints par les lois de la physique et de la chimie, et constamment confrontés aux observations, à l’histoire récente et au passé lointain. Les modèles climatiques ne sont pas conçus pour prédire une météo ou un événement spécifique, mais pour prédire la probabilité d’une tendance ou de la répétition d’événements extrêmes.

Les modèles d’aujourd’hui sont extrêmement complexes, nécessitant des super-ordinateurs massifs. Le Community Earth System Model avec lequel travaille Gettelman s’appuie sur 1,5 million de lignes de code.

Ces simulations ont fait beaucoup de chemin depuis le modèle de Svante Arrhenius, un scientifique suédois qui a démontré l’effet de serre dans les années 1890. Mais ils ne sont pas si différents des modèles climatiques que les scientifiques ont commencé à utiliser il y a cinq décennies. Ces modèles « suivent des lois de base de la physique qui sont très bien comprises », explique Drew Shindell. « Nous avons la théorie, nous avons les observations et nous avons les mesures dans le monde réel, et tout cela se tient. »

Donner un coup de pied sur le pneu

Plutôt que de faire aveuglément confiance aux modèles, les climatologues les remettent constamment en question, explique Katharine Hayhoe, co-directrice du Centre sur la science du climat à l’Université Texas Tech. « Plus vous en savez sur les modèles, moins vous leur faites confiance, et plus vous donnez des coups de pied sur leurs pneus. »

Elle sait ce qu’ils font de bien, comme de simuler des changements observés de la température et du courant-jet (jet stream). Et elle sait ce qu’ils font moins bien, comme de simuler la vitesse à laquelle fondent les calottes glaciaires ou le taux de glace de l’Arctique perdu.

Dans ces cas-là, tout comme dans ceux de précipitations extrêmes, plusieurs modèles, en réalité, sous-estiment la vitesse à laquelle les choses sont en train de changer, poursuit Hayhoe. Les modèles sont meilleurs pour prédire les changements sur un plus grand laps de temps et une plus grande échelle géographique, que pour prédire ces mêmes changements pour des régions, ou pour le futur à court terme.

Ennuagement

Les nuages sont devenus l’objet d’une grande attention de la part de plusieurs climatologues, en raison du grand impact qu’ils ont sur le climat. Mais les formations nuageuses sont très difficiles à modéliser de façon fiable.

Les nuages ont un effet réchauffant, parce qu’ils agissent comme un manteau autour de la Terre. Mais ils ont aussi un effet refroidissant, parce que les nuages blancs renvoient les rayons du soleil dans l’espace. L’effet net semble être le refroidissement, explique Andrew Gettelman.

« De petits changements aux nuages peuvent amplifier ou atténuer ce que nous faisons avec le dioxyde de carbone », poursuit-il.

En conséquence, les nuages sont la chose la plus importante à reproduire correctement pour un modèle climatique, mais aussi une des choses les plus difficiles.

L’échelle à laquelle se forment les nuages est minuscule: des gouttelettes d’eau se cristallisant autour d’un grain de poussière.

Pour contourner cela, les modèles présentent une vision approximative des nuages, et le gros des efforts des modélisateurs consiste à améliorer et raffiner ces approximations. Ils commencent aussi à faire entrer d’autres parties du système climatique, comme les processus biologiques impliqués dans le cycle du carbone: comment l’absorption naturelle du carbone sur la terre ferme et dans les océans pourra changer dans le futur.  

Construire une planète virtuelle

En dépit de toutes ces incertitudes, les scientifiques constatent que les modèles sont cohérents sur un aspect: la Terre se réchauffe. Nous aurons davantage de journées aux températures extrêmes, et davantage de pluies diluviennes.

Ce qui est plus déconcertant pour plusieurs climatologues est qu’avec les plus récentes générations de modèles, qui tendent à réduire les incertitudes, plusieurs commencent à présenter des scénarios « encore plus chauds » —montrant autrement dit des hausses de températures à long terme de 5 ou 6 degrés, plutôt que 4.

Ces nouveaux modèles inquiétants pourraient être plus précis, avance Kate Marvel. Mais sans pleinement comprendre pourquoi ce qu’ils nous disent a changé, elle ne croit pas que leurs résultats doivent être acceptés tout de suite.

Là où les scientifiques s’entendent, c’est sur le fait que, bien que les modèles peuvent ne pas être parfaits, ils nous offrent la façon de comprendre la trajectoire de notre climat la plus complète et la plus solide à notre disposition.

Les modèles sont les laboratoires des climatologues. Ils ne peuvent pas reproduire quoi que ce soit dans le monde réel qui reproduise l’entièreté du système planétaire, de sorte que « pour effectuer des expériences sur notre planète, nous devons construire une planète virtuelle », résume Katharine Hayhoe. Les modèles climatiques sont « comme des Terre alternatives avec lesquelles nous pouvons mener des expériences. Ce qui nous rappelle que nous sommes présentement en train de mener une expérience sans précédent avec notre vraie planète, qui est la seule maisons que nous ayons ».

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