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Notre réaction à la pandémie reflète notre manque de préparation à ce type de crise sanitaire. « C’est une leçon d’humilité. On savait que ça allait arriver, mais pas quand. Nous n’avons pas écouté les leçons de l’épisode du SRAS », relève la directrice du Centre d’études asiatiques et professeur au Département d'histoire de l’Université de Montréal, Laurence Monnais. 

Elle se félicite toutefois de ce qu’elle voit avec les points de presse quotidiens du gouvernement québécois mais elle pense qu’on a oublié ce qu’est vraiment la santé publique. « Il n’y a pas assez d’éducation. Tout le monde devrait savoir comment se laver adéquatement les mains, et se servir des distributeurs mis à disposition dans les lieux publics » ajoute-t-elle. 

Cette historienne de la santé et spécialiste de l’Asie pense justement que l’on devrait s’inspirer de ce qui se fait en Asie, où le respect de la communauté et les règles d’hygiènes généralisées permettent de prévenir les infections pour soi et pour les autres. Incluant les masques.

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Il faut mettre plus de budget dans l’éducation à la santé publique, un avis que partage Marie-Pascale Pomey, professeure titulaire à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. « Au niveau de l’hygiène, cette pandémie constitue une bonne piqûre de rappel des mesures quotidiennes à prendre, comme le lavage des mains. Cela devrait être systématique de se laver parfaitement les mains pour se protéger et  pour protéger les autres ».

La Dre Pomey mentionne une étude menée par son groupe de recherche il y a une dizaine d’années dans le milieu de la santé, qui avait montré que même dans ces milieux, ces gestes de base n’étaient ni acquis ni systématiques. 

De grands changements vécus à l’hôpital

« C’est vrai, nous avons dû réviser nos protocoles. Nous avons eu des formations pour remettre à jour tout ce qui concerne la contamination. Nous sommes plus habitués à nous précipiter et à nous entraider. Mais là, il y a un protocole bien clair à suivre à la lettre », explique l’assistante infirmière-chef de l’Urgence de l’Hôpital de Gatineau, Caroline Dufour.

Car entretemps, depuis la mi-mars, il y a eu de grands bouleversements dans son établissement. « Nous séparons les patients dans différents lieux physiques : il y a la zone chaude pour les positifs, la zone tiède avec des symptômes et en dépistage et la zone froide, pour les autres patients. Le personnel doit rester dans la zone qui lui est attitré et ne peut plus se promener dans les blocs ou dans les étages», détaille l’infirmière.

Le 8 mars, elle avait commencé sa semaine avec une routine normale, pour finir avec un grand stress, lié au confinement, et après une semaine de repos, tout avait encore changé. « Les consignes changent sans cesse et le cerveau est toujours en train de chercher à comprendre comment faire les bonnes choses. C’est très stressant mais les infirmières sont bonnes pour s’adapter. La routine est difficile, et les nuits sont courtes, mais on n’a pas le choix. Lorsqu’on regarde ce qui se passe en Italie ou ailleurs, cela fait tellement peur ».

« Avant la pandémie, c’était déjà difficile, car nous avions déjà beaucoup de manques de personnels. Nous avons fait appel à des infirmières retraitées, mais nous ne les mettons pas en première ligne. Le système de santé s’organise lui aussi et cela nous montre que c’est possible d’affecter plus de personnes à l’urgence, de référer plus de monde à l’extérieur ou de prendre le temps de se préparer à une gestion de crise. C’est une leçon pour plus tard», résume l’infirmière.

Caroline Dufour s’inquiète davantage pour les infirmières des CHSLD, où les cas de Covid-19 se multiplient : « elles manquent d’équipement alors qu’elles sont directement sur la ligne de front de la maladie. En plus, les ratios personnel-patient-préposé ne sont souvent pas adéquats. Nous mettons les infirmières en danger. J’ai l’impression qu’elles sont laissées à elles-mêmes, c’est aberrant».

Directives inégales

Sur le terrain, de nombreuses infirmières s’inquiètent encore de manquer d’équipements car les directives ministérielles sont appliquées de manière inégale. « Dans les salles d’urgence, cela fonctionne relativement bien. Par contre, pour les soins à domicile, il y a peu ou pas de protection alors que le potentiel est élevé d’infecter des personnes fragiles », sanctionne la présidente de l’Association québécoise des infirmières et infirmiers (AQII), Natalie Stake Doucet.

Les mesures de distanciation, d’habillement de sécurité et de « contact tracing » devraient être, à son avis, appliquées de manière radicale dans les hôpitaux tout comme dans les CHSLD. « Il ne faut pas que les centres de santé deviennent des vecteurs de la maladie. Il faut limiter les contacts entre le personnel de soin, le temps d’exposition et les manipulations – ce qu’on dit pour le public, il faut aussi l’appliquer à l’intérieur du système de santé », soutient encore la présidente de l’AQII.

Il reste que les CHSLD manquent bel et bien de matériel, là où la propagation de la maladie s’est accélérée au sein d’une population particulièrement vulnérable. « Le personnel est laissé à lui-même sans protection. La priorité serait que toutes les infirmières et les préposés de ces centres de soins portent des masques pour protéger les patients et ceux qui les soignent », ajoute l’infirmière.

Le masque, en tête

Pour l'historienne Laurence Monnais, l’emblème de cette crise restera le masque médical. Elle a d’ailleurs écrit une analyse sur l’indigence de la santé publique, où elle le place au centre de sa réflexion. Bien que ce ne soit pas son utilité qui est la question de fond. « L’accès au masque augmente la confiance dans la capacité de la personne de se protéger, cela diminue l’anxiété et permet de mieux gérer la crise. Les gens voient sur les réseaux sociaux d’autres réalités (en Corée, par exemple) et la généralisation de cette protection », relève la chercheuse.

Géré de manière différente selon les États, le masque devient un objet convoité, une mesure sanitaire personnelle autant que politique : le citoyen masqué serait le premier rempart contre la contamination. « Il est plus présent en Asie, où le respect communautaire est plus grand. C’est un outil de prévention qui envoie un message politique : je vais me protéger si vous n’êtes pas capable de le faire », explique la chercheuse.

De pair avec le confinement, le masque est devenu un symbole de la crise actuelle pour la population. Il relève le paradoxe de la santé publique, qui mise plus sur la réaction de la population face au danger que sur un investissement en santé publique, en amont des infections. 

« C’est le propre des politiques de préparation à la menace – on stocke, on simule, etc.— mais c’est impossible de se préparer tout à fait et ça amène un faux sentiment de sécurité. Il y a beaucoup d’argent qui est gaspillé, comme on Ontario où les stocks de masques ont été périmés », tranche l’historienne.

Surtout que nous ne sommes pas tous égaux devant les crises sanitaires, les plus vulnérables, malades ou mal nourris, vont vivre cet épisode infectieux de manière plus dramatique que les mieux nantis, les personnes en meilleure santé et ceux qui vivent moins à l’étroit.

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