L’invasion de l’Ukraine et la publication du rapport du GIEC sont entrées en collision dimanche, lorsque le chef de la délégation de Russie, Oleg Anisimov, s’est excusé « au nom de tous les Russes » pour la guerre déclenchée trois jours plus tôt.
« Permettez-moi de présenter des excuses au nom de tous les Russes qui n’ont pas été capables de prévenir ce conflit », a-t-il dit, selon des propos rapportés par France 24, citant trois sources présentes. Les représentants des différents pays étaient alors réunis en séance plénière (et virtuelle) fermée au public, afin d’adopter la dernière version du « Résumé pour les décideurs » du 2e volume du nouveau rapport du Groupe des Nations unies sur les changements climatiques (GIEC). Ce dernier a été publié tel que prévu lundi matin.
Il a suffi de quelques heures pour qu’au moins un politicien russe attaque Anisimov, déclarant que « de telles personnes ne devraient pas exister » et réclamant qu’il soit « déchu de tous ses titres et envoyé dans l’oubli ».
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Le commentaire d’Anisimov venait après une intervention de la déléguée ukrainienne, la climatologue Svitlana Krakovska, qui a lié l’invasion de son pays au défi planétaire du réchauffement climatique:
Les changements climatiques induits par l’humain et la guerre en Ukraine ont les mêmes racines, les carburants fossiles, et notre dépendance à leur égard.
Interrogée par l’agence Bloomberg mardi, depuis sa résidence de Kyiv, la capitale de l'Ukraine, elle s'est dite inquiète pour la sécurité de son collègue russe.
Oleg Anisimov, chercheur à l’Institut hydrologique de Saint-Petersbourg, est un spécialiste des changements climatiques de l’Arctique, entre autres de leurs impacts sur le pergélisol. Il a contribué à de précédents rapports du GIEC.
Les rapports du GIEC sont rédigés uniquement par des scientifiques. Mais le Résumé pour les décideurs doit, lui, être approuvé ligne par ligne par les délégations des différents pays. C’était le but de la réunion plénière en question, qui s’est étirée sur toute la semaine dernière. Ce Résumé fait 40 pages: en comparaison, le document auquel il réfère fait 3600 pages. Et ce document lui-même n’est que le deuxième de trois volumes du 6e rapport du GIEC: comme avec les 5 éditions précédentes, le premier volume, paru en août dernier, était un état des connaissances scientifiques, le deuxième, paru lundi, porte sur les impacts des changements climatiques et l’adaptation, et le troisième, qui doit paraître en mai, porte sur les scénarios pour atténuer les dommages.
Un des « impacts » analysés dans ce rapport: les déplacements de populations qu’on peut craindre et qu’on peut même prévoir à cause des sécheresses, canicules et autres perturbations climatiques. À ce titre, l’Ukraine fournit un exemple du pire scénario possible: des populations entières seront un jour déplacées de la même façon, à cause d’un conflit militaire déclenché dans un contexte de pénuries alimentaires ou de pénuries d'eau.
Le rapport confirme, avec encore plus de données que dans les éditions précédentes, que les impacts de la hausse des températures moyennes se font d’ores et déjà sentir sur la vie marine, les coraux, les glaces de l’Arctique et les incendies majeurs, entre autres; qu’il n’est pas trop tard pour prévenir certains impacts sur la santé publique et les infrastructures; que plus de 3 milliards de personnes vivent dans les zones les plus vulnérables aux perturbations à venir; et que la crise climatique est de plus en plus interreliée avec la crise de la biodiversité.
Dans une lettre ouverte publiée sur un site russe d’informations scientifiques le 24 février, jour de l’invasion, 650 scientifiques russes avaient dénoncé la guerre qui, écrivaient-ils, allait transformer la Russie en un « paria ». Le résultat, ajoutaient-ils, sera « un déclin culturel et technologique » pour la Russie et « un pas vers nulle part ». En date du 1er mars, la lettre avait rassemblé plus de 5000 signatures, incluant 85 membres de l’Académie russe des sciences, une agence du gouvernement russe.
Texte modifié le 3 mars : Kyiv plutôt que Kiev