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Depuis trois ans et demi, Claudia Hébert souffre du syndrome post-Covid-19, connu sous le nom de Covid longue : une pathologie encore très mal comprise et probablement sous-diagnostiquée. « J’ai vu des dizaines de spécialistes, dont de nombreux médecins, qui me disaient que le problème était dans ma tête parce que leurs tests ne montraient rien d’anormal. »

Souffrant de nombreuses douleurs neuro-méningées (intenses maux de tête, raideurs de la nuque et sensibilité à la lumière et aux sons), la patiente reçoit aujourd’hui des soins en physiothérapie et en ergothérapie.

Plus de 15% des Canadiens qui ont contracté la Covid auront un cocktail de symptômes pouvant durer plus de trois mois, voire même plus d’un an pour près de la moitié d’entre eux.

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Certains groupes sont plus à risque: les femmes, les adultes vivant avec des maladies chroniques préexistantes, les personnes atteintes d’obésité et celles avec un handicap. Là où la COVID a conduit à l’hospitalisation, près d’un adulte sur deux (45%) a signalé des symptômes à long terme.

Aggravation de leur état de santé 

Près de 14% des personnes atteintes de Covid longue font état de symptômes sévères et 43%, des symptômes modérés. Selon les variants, la prévalence change un peu (10 à 12%) grimpant même, avant la vaccination, à 25% pour Omicron, variant avec lequel les symptômes s’avèrent toutefois modérés.

Entre 30 et 80% rapportent toutefois une aggravation de leur santé. « Leur santé est pire qu’avant la pandémie», note la Dre Anne Bhéreur, médecin de famille en GMF-U et en soins palliatifs. 

Alors que de nouveaux variants apparaissent et qu’on assiste depuis quelques semaines à une remontée du nombre de cas, l’inquiétude de la communauté médicale porte sur les inévitables cas de Covid longue à venir. « C’est difficile de conceptualiser le risque: 1%, 5%? Mais c’est actuellement le grand stress. Le risque de contracter la Covid longue ne diminue pas, la seule chose qui pourrait l’empêcher serait de ne pas attraper » le virus, relève Simon Décary du Centre de recherche du CHUS et co-directeur scientifique du réseau Long COVID Web.

Lancé il y a 6 mois, soutenu par une enveloppe de 20 millions $, ce réseau a pour mandat de soutenir la recherche transnationale et de prioriser les initiatives cliniques canadiennes à mener. 

Le réseau était co-organisateur en septembre, avec les Fonds de recherche du Québec, du symposium sur la Covid longue, qui réunissait près de 150 chercheurs canadiens, cliniciens, gestionnaires de la santé et patients —et plus de 600 personnes en ligne.

Il n’y a pas de traitements pour les très nombreux symptômes —plus de 200 ont été identifiés— touchant tous les systèmes physiologiques (respiratoire, nerveux, circulatoire, digestif, musculo-squelettique, etc.). 

Comme le rappelait Kelly O’Brien, professeure au département de physiothérapie à l’Université de Toronto, « cela peut fluctuer comme un yo-yo, il n’y a pas de trajectoire linéaire et cela change jour après jour. C’est pourquoi les patients vivent avec beaucoup d’anxiété et d’irritabilité, ce qui va les isoler encore plus. »

Une soixantaine de ces symptômes perdureraient plus de sept mois. Parmi les plus souvent mentionnés : épuisement et fatigue chronique, toux et essoufflement, douleurs musculaires et articulaires, des malaises après le moindre effort physique (appelés « malaises post-effort ») ou un brouillard mental.

Même les jeunes peuvent être touchés. « Fatigue chronique, maux de tête, concentration difficile et problème de sommeil qui perdurent au-delà d’un an, particulièrement chez les adolescents », décrit le Dr Piushkumar Mandhane, de la Faculté de médecine de l’Université de Toronto.

Les non-vaccinés plus vulnérables à la Covid longue

L’Enquête canadienne sur la santé et les anticorps contre la COVID-19, menée entre le début de 2020 et août 2022, a montré que les personnes non vaccinées ont signalé plus de symptômes à long terme – 25% contre 13% des adultes ayant reçu deux doses de vaccins.

Une autre étude montre des réponses inflammatoires plus élevées chez les non vaccinés victimes de la Covid longue. Ce qui suggère un rôle de la vaccination dans l'atténuation des symptômes.

Ces syndromes post-Covid, à l’instar de la Covid en général, touchent aussi avec plus de force les plus vulnérables: malades chroniques, personnes immunosupprimées, etc. « C’est un ‘stress test’ sur notre système de santé, il en montre toutes les failles », note Piushkumar Mandhane.

Sensibiliser les médecins

Comme les médecins peinent encore à poser un diagnostic clair, le processus pour aller chercher des soins est parfois long et pénible. « On se retrouve toute seule, même une fois qu’on a un diagnostic, décrit la patiente Claudia Hébert. Il n’existe pas de traitement ni beaucoup de lignes directrices. Les médecins de première ligne ne savent pas et nous réfèrent à un spécialiste qui ne trouve pas la réponse, et va nous référer à son tour à un autre spécialiste. »

« J’ai passé dernièrement une évaluation demandée par les assurances. Le médecin évaluateur a réfuté les diagnostics de Covid longue de mon médecin de famille et du médecin infectiologue spécialiste. Selon lui, le diagnostic est subjectif puisque les examens sont normaux », raconte Guylaine Dussault, atteinte du syndrome post-Covid et qui doit « se battre, en plus de la maladie, pour faire reconnaître sa condition » (écoutez notre émission de cette semaine dont elle est une des invitées).

Marie-Hélène Boudrias, qui siège sur le comité d’experts du réseau des cliniques spécialisées en syndrome post-infectieux du CHUM, rapporte l’urgence de sensibiliser tous les médecins à cette pathologie : « les patients atteints manquent d’énergie au quotidien et n’ont pas toujours la force de confronter les spécialistes. C’est pourquoi il importe de former et éduquer tous les professionnels de la santé, en commençant par les médecins ».

Le Dr Alain Piché, professeur-chercheur à l’Université de Sherbrooke, qui suit dans sa clinique des patients atteints de Covid longue, confirme : « il y en a beaucoup qui vont se promener entre les différents spécialistes et qui travaillent souvent en silo. Il y a alors beaucoup de diagnostics erronés et les patients tardent à nous arriver. »

Dans sa clinique, il a accueilli, avec une seule infirmière, près de 800 patients depuis le début de la pandémie – et il a une liste d’attente. « Nous ne sommes pas une clinique de recherche. On veut encourager les patients à participer à des traitements expérimentaux, c’est important d’intégrer recherche et traitements au même endroit, mais il faut une équipe stable avec du financement. Si on avait ça, on pourrait développer des protocoles locaux mieux adaptés à nos patientes. »

Car il s’agit aussi d’une pathologie qui touche en majorité des femmes (65%). « C’est sûr qu’on peut parler de problème de stigmatisation de la santé des femmes dans le système de santé ou encore, l’association un peu rapide avec la santé mentale, comme on le voit en France, avec leur approche ultra-psychiatrisée. Les données probantes montrent que ce n’est pas ça. Il va falloir évoluer et changer», soutient Simon Décary.

Le milieu de la santé plus exposé

Selon une étude de l’Institut national de santé publique (INSPQ) à paraître bientôt, près d’un travailleur de la santé sur dix en aurait souffert pendant au moins 12 semaines. C’est le cas de la Dre Anne Bhéreur, qui est aussi patiente partenaire : « j’ai contracté la Covid en 2020 de manière sévère mais je n’ai pas été hospitalisée. J’ai une minuscule enveloppe d'énergie », et elle s'estime fonctionnelle « une heure ou deux » par jour. Cela m’a complètement bouleversée. » 

« C’est même plus grave quand les travailleurs et travailleuses rapportent avoir été hospitalisés pour la Covid - 25% rapportent des syndromes » de Covid longue, relève l’épidémiologiste de l’INSPQ, Sara Carazo.

« La première étape est de reconnaître l’existence et la complexité de la Covid longue. Il faut être attentif, écouter le patient et se garder une gêne avant de dire que ‘c’est dans votre tête’. Cela fait des ravages chez les patients et il faut se méfier aussi du « fourre-tout » de la santé mentale qui empêche d’investiguer les symptômes », note la Dre Bhéreur.

Écouter, soulager, s’adapter

Pour que les patients puissent recevoir l’écoute nécessaire, il faut des communautés de soins accueillantes. « Il faut développer des liens avec les patients partenaires. Ce sont souvent des femmes de mon âge, obligées de faire des pauses constantes de leurs activités. Elles ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes », renchérit Marie-Hélène Boudrias, de l’École de physiothérapie et d’ergothérapie de l’Université McGill.

Elle s'intéresse à l'impact de la COVID-19 sur le cerveau et sur les activités fonctionnelles. À cette fin, elle a évalué, dans une étude épidémiologique, les besoins des Lavallois après leur hospitalisation pour une infection à la COVID-19.

« Une personne sur trois manifestait des symptômes depuis deux mois ou plus, mais c’est difficile de les intégrer dans un programme d’entrainement traditionnel en raison du malaise post-effort. »

La Pr Boudrias a également participé à la création d'une clinique de réadaptation pour les patients lavallois présentant des séquelles persistantes. « L’aspect multidisciplinaire – ergothérapeute, psychologue, neuropsychologue, équipe sociale, etc. – mais aussi la formation continue, et la collaboration des patients partenaires, sont nécessaires. L’essentiel serait de pouvoir donner un continuum de soins à la communauté. Les infirmières professionnelles cliniciennes pourraient avoir leur rôle, vu qu’on manque de médecins spécialistes en région. »

Il y a aussi l’enjeu de l’assurance-invalidité, car de nombreux patients ne retournent pas au travail. « Il y a des accommodements à faire, et on se rend compte que nos milieux ne sont pas adaptés. C’est comme un handicap invisible: il faut réinventer les modèles pour que chaque personne puisse contribuer jusqu’au niveau où elle est capable », relève Anne Bhéreur.

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