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Ces dernières années, on avait pris l’habitude de découvrir de vieux documents  internes des compagnies pétrolières démontrant que celles- ci, dès les années 1970 et 1980, avaient su que les gaz à effet de serre auraient une influence néfaste sur le climat. On est moins habitué à des documents internes des années 2010 qui en disent long sur les campagnes entreprises par ces compagnies pour tromper le public

Ces documents, qui émanent des quatre géants du pétrole que sont Exxon, Shell, BP et Chevron, ainsi que de leur organisme de lobbying, l’American Petroleum Institute ainsi que de la Chambre de commerce des États-Unis, datent de la deuxième moitié des années 2010 —le plus ancien étant daté du 30 novembre 2015, deux semaines avant la signature de l’Accord de Paris. 

Or, en 2015, la compagnie Exxon avait justement dû réagir à une série de reportages gênants pour elle, portant sur de vieux documents internes : le magazine Inside Climate News et le quotidien Los Angeles Times avaient alors tous deux révélé que pendant des décennies, Exxon avait été consciente des risques d’une crise climatique et avait caché cette connaissance au public. À l’époque, Exxon avait nié ces allégations et prétendu que les conclusions des journalistes étaient « délibérément trompeuses ». Sauf que dans les nouveaux documents dont il est à présent question, on trouve un courriel de décembre 2015 dans lequel la conseillère aux communications admet que la compagnie « ne remet pas en doute ce que rapporte le reportage ». 

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En 2015, les compagnies pétrolières avaient abandonné depuis longtemps leur vieille tactique des années 1980 et 1990 consistant à nier l’existence d’un réchauffement climatique, et étaient plutôt passées à une stratégie consistant à prétendre être en phase avec la lutte pour une réduction des gaz à effet de serre (GES). 

  • Ainsi, en 2016, Shell avait annoncé, pour 2050, une cible de carboneutralité (c’est-à-dire que les émissions de GES seraient compensées par des efforts de captage et de stockage du carbone). 
  • Mais des courriels échangés en 2018 témoignent que les administrateurs de Shell doutaient de la vraisemblance de cet objectif. Et dans une présentation destinée aux lobbyistes et aux employés en 2020, la direction de Shell donnait pour instructions de ne pas « suggérer » que la carboneutralité était « une cible de Shell ». 
  • De la même façon, en février 2020, BP avait annoncé la même cible, mais parallèlement, des échanges entre les administrateurs suggéraient de retirer de leurs documents officiels des références à l’Accord de Paris, de crainte que ça ne crée « un engagement » à atteindre ces cibles. 
  • Dès 2015, Exxon avait appuyé publiquement l’Accord de Paris, qui en appelait entre autres à limiter la hausse des températures à un maximum de 2 degrés Celsius au dessus de la moyenne d’avant la Révolution industrielle. Mais à l’interne, son directeur des politiques environnementales avait écrit que ces cibles ne devraient pas être un frein aux décisions sur l’exploration et la production pétrolière et gazière.  
  • Pendant toutes ces années, il avait également été suggéré de présenter publiquement le gaz naturel comme un « carburant bon pour le climat », tout en convenant à l’interne que son usage n’était pas compatible avec les cibles internationales de réduction des GES. 
  • Une présentation d’Exxon à usage interne de 2018 recommandait que la compagnie établisse des partenariats avec des universités pour promouvoir le gaz naturel comme « ami des énergies renouvelables ».
  • Tandis qu’à l’inverse, des notes de 2017 à l’intention du président lui recommandaient de ne « rien dire sur les préoccupations » à l’effet que l’extraction de davantage de gaz empêcherait de limiter la hausse des températures sous les 2 degrés. 
  • De la même façon, des documents de 2018 révèlent que Shell a publiquement soutenu l’idée d’une taxe au carbone, tout en s’y opposant en coulisses. 

La publication de ces documents provient d’un rapport publié la semaine dernière par des élus de la Chambre des représentants et du Sénat des États-Unis. La Chambre des représentants avait lancé une enquête en 2021, qui avait été interrompue lorsque les républicains avaient pris le contrôle de la Chambre, après les élections de novembre 2022. 

Et la publication de ce rapport s’inscrit quant à elle dans un contexte où plusieurs poursuites en justice intentées contre des compagnies pétrolières dans différents États des États-Unis accusent ces compagnies d’avoir trompé le public sur leurs actions climatiques ou sur ce qu’elles savaient des impacts futurs des GES. 

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