La croyance selon laquelle les blés modernes seraient plus riches en gluten, provoquant les intolérances d’aujourd’hui, se répand dans l’opinion publique à travers des conférences, des articles et des livres. Mais qu’en était-il vraiment des variétés anciennes ? Le Détecteur de rumeurs a enquêté.
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Origine de la rumeur
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Dès 1996, le clinicien Jean Seignalet préconisait un régime alimentaire soi-disant proche de celui de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs dans son livre grand public L’alimentation ou la troisième médecine. Au Québec, l’auteure Jacqueline Lagacé a contribué à populariser les suggestions de celui qu’elle considère comme un visionnaire en publiant dans les années 2010 plusieurs ouvrages à succès sur le régime dit hypotoxique qui proscrit les céréales contenant du gluten, comme le blé. À la même époque, le cardiologue William Davis écrivait un bestseller, Wheat Belly, qui préconise lui aussi d’éviter les aliments à base de blé.
Dans cette mouvance, de nombreux « coachs en nutrition » et naturopathes ont recommandé à leurs clients d’éliminer toutes les céréales contenant du gluten. Des célébrités comme Novak Djokovic, Lady Gaga et Jennifer Aniston ont pour leur part vanté les mérites d’un régime sans gluten. Alors que d'autres se sont tournés vers des « blés ancestraux » qui contiendraient moins de gluten et seraient donc moins toxiques et moins susceptibles de provoquer des intolérances, estiment-elles. Mais est-ce réellement le cas ?
La teneur en gluten
Les blés sont croisés depuis toujours, notamment pour obtenir des variétés plus résistantes aux maladies et qui permettent de meilleurs rendements aux champs ainsi que des aliments plus simples à préparer (pâtes, pains, gâteaux, etc.).
Parmi les différentes propriétés d’une graine : sa teneur en gluten, un élément composé de deux protéines. Son taux fait varier l’élasticité et la viscosité des pâtes. Une farine riche en gluten pourra ainsi se transformer en un pain levé, à la mie alvéolée et légère.
La teneur en gluten des blés modernes se situe généralement entre 9 et 20 %. Au fil du temps, les croisements ont fait varier très légèrement ce paramètre à la hausse. Par exemple, au début des années 2000, les blés roux de l’Ouest canadien, utilisés principalement pour la fabrication du pain, contenaient entre 0,05 et 1 % plus de gluten qu’en 1860, selon deux études publiées respectivement en 2015 et 2016.
Toutes les variations observées depuis le 19e siècle pour d’autres types de blé se trouvent dans cet ordre de grandeur. Elles sont même à la baisse pour les blés durs ambrés de l’Ouest canadien. « Est-ce qu’en 1860, les blés contenaient moins de gluten ? Pas vraiment, on est dans la nuance », relativise le chercheur pour Agriculture et Agroalimentaire Canada, Pierre Gélinas.
Qui plus est, certains blés anciens peuvent contenir beaucoup plus de gluten que des blés modernes. L’épeautre de printemps CDC Nexon (blé ancien contenant 18,3 % de protéines) en renferme par exemple deux fois plus que le blé dur roux d’hiver Zorro (céréale moderne contenant 9,2 % de protéines), selon une étude de 2016.
Les « graines ancestrales »
Quelques boulangers montréalais vendent des pains aux « graines ancestrales » de blé. Parmi eux se trouve Daniel Desrosiers qui a donné une conférence en mai dernier dans le cadre du Rendez-vous horticole, intitulée : « Intolérant au gluten ? Le futur de la consommation du pain réside dans le passé ! ». Il se montre toutefois incertain quand vient le temps de définir la matière première de ses produits. « Non, je n’ai pas de définition pour grain ancestral, concède-t-il, avant de se risquer à en donner une : c’est un grain en voie de disparition ou qui n’est plus utilisé. »
« C’est quoi, une graine ancestrale ? », demande M. Gélinas en réaction aux questions du Détecteur de rumeurs. Le scientifique a pourtant établi une distinction entre des blés modernes et ce qu’il a qualifié de « soi-disant blés anciens comme l’amidonnier, le kamut et l’épeautre » dans une étude de 2016.
Aucune définition de graines ancestrales ne semble faire consensus. Alors que M. Desrosiers offre notamment des pains à l’amidonnier (une variété de blé cultivée dès 7 500 avant J.C.), il utilise également du blé Red Fife, cultivé au Canada au 19e siècle et que le scientifique, lui, a classé parmi les céréales modernes.
Par ailleurs, le boulanger utilise des blés dont la teneur en gluten peut être élevée, même si sa conférence laissait entendre le contraire. M. Gélinas a notamment mesuré pour son étude que le blé Red Fife contient 17,3 % de protéines, une proportion plus forte que celle de la plupart des blés qu’il a évalués.
« C’était mieux avant ? Pas vraiment, assène M. Gélinas. Oui, il y avait peut-être un peu moins de protéines dans les blés des premiers colons français au Canada, mais leurs graines ne pouvaient pas contenir moins de 8 % de gluten, sinon ils n’auraient mangé que des galettes. »
La toxicité
Le blé est toxique uniquement pour les personnes atteintes de la maladie de cœliaque ou d’allergie au blé. Les premières sont très peu nombreuses (entre 1 % et 3 % de la population) et doivent éviter tout aliment contenant du gluten, quel qu’en soit le taux. Le nombre des allergiques au blé est encore plus faible (0,2 %) et ils ne doivent pas forcément éviter le gluten.
Il ne faut toutefois pas confondre leurs maux avec la sensibilité au gluten (appelée à tort intolérance au gluten) dont personne ne connaît les causes exactes aujourd’hui. « En l’absence actuelle de données claires sur la physiopathologie de la maladie, l’existence réelle de la sensibilité au gluten non cœliaque interroge quelque peu les scientifiques et les professionnels de santé, rappelle une thèse de 2018 de l’Université d’Aix-Marseille. Pour eux, les réels bénéfices d'une alimentation sans gluten sur les patients sains restent encore à prouver. »
Parmi les causes hypothétiques de la sensibilité au gluten : certaines chaînes d’acides aminées présentes dans le gluten, des inhibiteurs enzymatiques, les FODMAP (hydrates de carbone), l’utilisation de pesticides, les méthodes de planification, etc.
Chose certaine, « il n’est pas possible de conclure que les variétés anciennes de blé » apportent davantage de « bénéfices pour la santé » que les variétés modernes, conclut une étude de 2018.
— Avec la collaboration d'Ève Beaudin