coronavirus

Depuis la mi-janvier, nombre de fausses nouvelles inventées de toutes pièces sur le coronavirus ont été abondamment relayées sur les réseaux. Mais des recherches scientifiques sérieuses peuvent elles aussi être abondamment partagées… même si elles sont erronées. Le Détecteur de rumeurs pointe trois exemples illustrant pourquoi il faut être prudent avant de tirer des conclusions.


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1) Le coronavirus, un cousin du sida ? Faux

Le 31 janvier, une équipe de bioinformaticiens de l’Institut de technologie de l’Inde et de l’Université de Delhi, publie sur le serveur de prépublication BioRxiv (prononcez, en anglais, Bio-archives) une analyse de quatre séquences d’acides aminés faisant partie du bagage génétique du nouveau coronavirus 2019-nCoV. Cette analyse suggère, écrivent-ils, une « étrange similarité » avec le VIH, le virus responsable du sida. Une similarité, ajoutent-ils dans leur résumé, dont il est « peu probable qu’elle soit fortuite ». Sur les médias sociaux, plusieurs s’emparent de l’idée pour en conclure que le 2019-nCoV a été produit en laboratoire. 

Dans les heures qui suivent, des experts interviennent: ces séquences d’acides aminés ne sont pas uniques au VIH, elles sont présentes dans un très grand nombre de coronavirus, incluant un qui affecte les chauve-souris (RaTG13) et qui pourrait être un proche cousin du nouveau venu. Elles sont aussi présentes dans un très grand nombre de micro-organismes: en fait, la vraie conclusion semble plutôt être que les séquences analysées sont trop courtes pour pouvoir affirmer quoi que ce soit quant à leur provenance. Le 2 février, les auteurs retirent leur article « en réponse aux commentaires reçus ». Ils ajoutent regretter que leur étude ait servi à alimenter des théories du complot. 

2) Un seul malade peut en infecter 4? Pas prouvé

Le 24 janvier, un groupe de chercheurs publie sur le serveur MedRxiv une estimation du taux d’infection du 2019-nCoV: dans le jargon des experts, « le facteur R0 ». Celui-ci, disent-ils, serait de 3,8, ce qui signifie qu’en moyenne, chaque personne infectée pourrait en contaminer près de 4 autres. Cette estimation dépasse les évaluations précédentes, qui parlaient de taux d’infection variant plutôt entre 1 et 3. Cette fois, c’est un tweet qui lance la machine à rumeurs: c’est un taux d’infection « de niveau thermonucléaire », s’exclame l’économiste de la santé Eric Feigi-Ding. Le tweet a été depuis retiré. 

Le problème est qu’une telle estimation manque de contexte. D’une part, le nombre réel de personnes infectées par le virus est encore inconnu, puisqu’un nombre indéterminé de ceux qui n’ont eu que des symptômes bénins (fièvre, toux) ne se sont jamais pointés à l’hôpital.

D’autre part, le R0 calcule le taux d’infection dans une population « complètement susceptible », c’est-à-dire, dans le jargon de l’épidémiologie, en l’absence de toute mesure pour limiter la propagation — pas d’hospitalisation, pas d’hygiène, pas d’isolement. Avec le 2019-nCoV, il y a des semaines qu’on n’en est plus là. À titre de comparaison, la rougeole a un R0 énorme, oscillant entre 12 et 18, mais tant qu’elle se heurte à une population largement vaccinée, le risque n’est pas le même.

3) Une personne sans symptômes peut être contagieuse? Pas prouvé

Jusqu’ici, la façon dont le virus s’est propagé suggère qu’une personne n’est pas contagieuse tant qu’elle n’a pas montré de symptômes de la maladie. Mais le problème serait plus complexe s’il s’avérait qu’une personne qui ne présente pas encore de symptômes puisse être déjà contagieuse. Des médecins chinois l’ont suggéré en janvier, et c’est ce qu’a semblé confirmer une lettre signée par une quinzaine de médecins allemands, parue le 30 janvier dans le New England Journal of Medicine (NEJM). Elle portait sur un groupe de quatre patients en Allemagne dont le premier, qui avait contaminé les autres, avait eu des réunions d’affaires avec une entrepreneure de Shanghai, les 20 et 21 janvier. La femme, précisait-on, ne montrait aucun symptôme pendant son séjour en Allemagne, mais « était devenue malade pendant son vol de retour vers la Chine, où elle avait été testée positive au 2019-nCoV le 26 janvier ». 

Le problème, a-t-on appris depuis, est que les chercheurs n’ont pas parlé avec cette femme avant de publier leur texte. Ils se sont uniquement appuyés sur des informations soumises par les quatre patients allemands, pour qui « la patiente de Chine ne semblait pas présenter de symptômes. » 

Dans une lettre de clarification envoyée au NEJM et obtenue par la revue Science le 3 février, l’agence de santé publique allemande explique avoir depuis parlé à la patiente, qui aurait dit qu’elle avait bel et bien des symptômes (fatigue, fièvre, douleurs musculaires) pendant qu’elle était encore en Allemagne. 

 

Qu’est-ce qu’une prépublication?

Virtuellement inconnu du grand public, le principe de la prépublication s’est répandu depuis les années 1990 dans les sciences physiques, et plus récemment en biologie. Il présente trois avantages: contourner un système de publication très lent qui, en science, se mesure en mois, voire en années; permettre une discussion ouverte sur de nouvelles hypothèses ou de nouvelles approches ; et offrir les recherches en accès gratuit à tous, plutôt qu’aux seuls abonnés d’une revue. 

Mais la prépublication présente aussi un gros désavantage: aucun observateur externe, aucun réviseur, aucun jury, n’a relu la recherche avant sa mise en ligne. Le vieux principe de la « révision par les pairs », c’est-à-dire le fait qu’une recherche aura été relue et commentée par d’autres experts du domaine avant d’être publiée dans une revue dotée d’un certain prestige, n’existe pas ici.

Le Détecteur de rumeurs a déjà rappelé, notamment ici, ici et ici, qu’en science, toutes les recherches ne sont pas égales. Avant même de se demander si elle a été menée sur des souris ou sur des humains, ou si l’échantillon est assez gros pour être significatif, il faut vérifier où la recherche a été publiée et si elle a été révisée. Une recherche qui n’est que « pré-publiée » doit donc être considérée avec prudence. 

BioRxiv publie d’ailleurs en ce moment un avertissement au-dessus de chaque nouvel article sur le coronavirus: « ce sont des rapports préliminaires qui n’ont pas été révisés par les pairs. Ils ne devraient pas être vus comme concluants, guider des pratiques cliniques ou des comportements reliés à la santé, ni être rapportés dans les médias comme une information établie ».

L’erreur des médecins allemands est par contre moins facile à justifier: ne pas contacter la patiente était une chose, se dépêcher d’en faire une lettre pour le New England Journal of Medicine, en était une autre. L’Agence de santé publique suédoise a réagi à la correction révélée par Science avec vigueur: « manquait de soutien scientifique pour cette analyse »; « des failles et des erreurs majeures ».

Cela n’écarte pas la possibilité qu’un patient sans symptômes puisse transmettre la maladie: pour l’instant, la question reste pendante. Mais dans ce climat d’urgence et d’incertitude, où des recherches « pré-publiées » vont continuer de s'accumuler, le Détecteur de rumeurs recommande au lecteur de redoubler lui aussi de prudence avant de sauter aux conclusions. 

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