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Le vaccin contre la COVID causerait le cancer, des maladies neurodégénératives, des problèmes cardiaques, des paralysies faciales, détruirait le système immunitaire, et beaucoup d’autres maux… à en croire une étude qui a beaucoup voyagé sur les réseaux en avril. On doit bien sûr être prudent devant toute étude qui fait des affirmations aussi extraordinaires. Mais par quoi commencer, quand on veut vérifier la fiabilité d’une telle étude et qu’on n’est pas soi-même un expert en immunologie ou en vaccinologie? Le Détecteur de rumeurs donne quelques trucs.


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Les questions de base à se poser

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Lire une étude scientifique n’est pas à la portée de tous, surtout si elle est remplie d’un jargon hautement spécialisé. Mais il y a tout de même des vérifications que l’on peut faire avant de s’attaquer à l’étude proprement dite : l’avantage étant que la grande majorité des articles scientifiques offrent la même mise en page, ce qui permet de repérer tout de suite quelques informations de base.

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La revue: Ni un vaccin ni un virus ne relèvent de la chimie ou des sciences de l’alimentation. On peut donc considérer étrange que des affirmations aussi extraordinaires n’aient pas trouvé place dans des publications plus pertinentes, spécialisées dans les vaccins, les infections ou l’immunologie.

Le vulgarisateur David Gorski, qui critique les pseudosciences depuis plus d’une décennie, y voit une tactique délibérée des auteurs : cibler une revue qui ne dispose pas des experts capables de réviser ce texte en connaissance de cause. Ça pose toutefois des questions sur les critères en vertu desquels l’éditeur de la revue a choisi malgré tout d’accepter ce texte.

Le titre: Même s’il nous est incompréhensible, on peut au moins deviner qu’il sera question d’immunité, de Covid et de vaccins. On s’attendrait donc à avoir des auteurs travaillant en immunologie, infectiologie, virologie ou vaccinologie.

Les auteurs: Rappelons en effet que, lorsqu’on emploie le mot « expert », on ne parle pas de l’ensemble des scientifiques, mais des scientifiques spécialisés dans le domaine dont il est question. Qu’en est-il ici?

Enfin, l’organisme pour lequel McCullough se présente comme « conseiller médical », Truth for Health Foundation, partage sur son site des nouvelles sur une théorie du complot associant 5G et COVID, rejette l’utilisation des vaccins et défend une approche de traitements médicaux « basés sur la foi ».   

 

Les drapeaux rouges repérés par les experts

L’étude dont il est question ici, parue le 15 avril (même si la revue est datée de juin), est fort longue: 98 pages ou 16 000 mots. Mais la longueur n’a jamais été un critère pour juger de la crédibilité d’un texte.

Toutefois, cette longueur inhabituelle a attiré l’attention du biostatisticien Jeffrey Morris, qui note qu’au final, le texte parle beaucoup plus de COVID que de vaccins —bien que son sujet soit les vaccins. Comme l’intention des auteurs est de proposer un « cadre explicatif » pour les problèmes de santé que sont censés causer les vaccins, ça part mal, dit-il : « leurs liens vers les vaccins à ARN sont presque entièrement spéculatifs ».

De fait, parmi les critiques émises, on note un reproche récurrent: bien qu’il y ait 231 références, beaucoup d’affirmations étonnantes sont énoncées sans fournir de références, ou bien des références qui ne correspondent pas à l’affirmation. Entre autres:

  • « Il est devenu clair que les vaccins ne préviennent pas la transmission de la maladie mais peuvent uniquement prétendre réduire la sévérité des symptômes »: la référence pour cette affirmation est une lettre d’opinion d’un seul paragraphe parue dans The Lancet en 2021. Plusieurs études plus récentes disent le contraire.
  • « Sur [l’efficacité des vaccins pour réduire la sévérité des symptômes], même cet aspect est remis en doute, comme le démontre une éclosion dans un hôpital israélien » : aucune des deux études données en référence ne remet pourtant en doute l’efficacité du vaccin.
  • « La protéine spike… a des impacts biologiques incontestables »: pas de référence fournie (voir notre texte à ce sujet).
  • « Les nombreuses altérations dans le vaccin à ARN [conduisent à] une production élevée de la protéine spike »: pas de référence fournie.
  • « La réponse biologique au vaccin à ARN [n’est] pas similaire à une infection naturelle » : en fait, c’est vrai pour n’importe quel vaccin.
  • « Nous reconnaissons que les liens de cause à effet entre [la vaccination] et les effets secondaires n’ont pas été établis dans la majorité des cas »: cette phrase signifie que les auteurs eux-mêmes reconnaissent que leur étude repose… sur des spéculations!

La conclusion du texte se termine par un appel « aux institutions publiques de santé pour qu’elles démontrent, preuves à l’appui, pourquoi les questions discutées dans cet article ne sont pas pertinentes à la santé publique ».

Or, cette phrase est ce qu’on appelle, dans le jargon de la rhétorique, un renversement du fardeau de la preuve: plutôt que de prouver quelque chose, on demande au vis-à-vis de prouver qu’on a tort. Alors qu’en science, c’est plutôt à celui qui avance une hypothèse de démontrer qu’elle s’appuie sur quelque chose.

 

Ajout 20 mai: Huit chercheurs ont pré-publié le 10 mai un texte où ils expriment leurs préoccupations face à cet article et corrigent certaines de ses erreurs, omissions ou interprétations douteuses. 

Infographie: Vincent Devillard

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