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Avec les avancées des trente dernières années, les techniques de neurostimulation transcrânienne permettent maintenant de moduler les connexions entre les cellules du cerveau dans le but d’influencer leur fonctionnement et de développer des interventions cliniques. Ainsi, certaines techniques de neurostimulation ont frayé leur chemin en tant que traitements reconnus dans diverses problématiques neurologiques et de santé mentale. Par exemple, à la clinique de neuromodulation psychiatrique du Centre hospitalier de l’Université de Montréal, les patients souffrant notamment de dépression réfractaire aux traitements habituels peuvent recevoir un traitement par stimulation magnétique qui produit des effets bénéfiques sur les symptômes. Tour d’horizon théorique et pratique de certaines de ces techniques de neurostimulation.

La séance d’électrochocs subie par Jack Nicholson dans Vol au-dessus d’un nid de coucou (1975) a résolument marqué l’imaginaire collectif. Tout comme les autres patients de l’institut psychiatrique du film, le personnage de Nicholson est forcé de subir un tel traitement à titre de punition. Si, aujourd’hui, les électrochocs servent toujours à traiter la dépression, contrairement à ce que montre le film, les patients qui en reçoivent sont consentants et sous anesthésie lors de la stimulation. Dans certains cas où les médicaments ne procurent aucune amélioration de la maladie, les électrochocs peuvent agir plus rapidement et être mieux tolérés que les effets secondaires des antidépresseurs. Cette technique non invasive produit donc des effets comparables à ceux des antidépresseurs et permet à terme une diminution marquée des symptômes de dépression chez les patients.

En plus des électrochocs, d’autres types de neurostimulation offrent la possibilité de traiter la dépression majeure persistante quand les traitements médicamenteux et psychothérapeutiques sont infructueux[1]. La stimulation magnétique transcrânienne répétée (SMTr) fait partie de ces approches. Cette stimulation magnétique non douloureuse ne nécessite aucune anesthésie et a peu d’effets secondaires. Elle consiste en un champ magnétique qui passe à travers le crâne et modifie les connexions ciblées. Chaque décharge magnétique s’effectue rapidement à intervalles réguliers, un peu comme le pic-bois qui frappe à répétition sur un arbre. Dans le cas de la dépression, cette méthode a démontré de façon efficace qu’elle pouvait réanimer des régions sous-activées du cerveau et améliorer la communication entre les neurones[2].
 

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Le langage des neurones

Les neurones sont des cellules excitables qui peuvent répondre à différents stimuli en changeant le potentiel électrique de leur membrane. Tous les effets produits sur les neurones de la matière grise* du cerveau à la suite de la neurostimulation sont possibles uniquement grâce à ce caractère excitable. Au sein d’un neurone, la transmission d’informations s’effectue sous la forme de signaux électriques qui se propagent à travers les prolongements du neurone. Celui-ci reçoit et transmet également des stimuli aux points de contact qu’il partage avec d’autres neurones. Ces messages transmis sont des neurotransmetteurs*, qui agissent un peu comme le passage d’un témoin lors d’une course à relais. Le fonctionnement du cerveau humain se caractérise essentiellement par toutes ces activations et ces échanges.

Ce réseau de communication s’est un peu développé à la manière du système routier de l’île de Montréal : la personne qui y circule peut emprunter des petites rues au sein d’un même quartier, puis des boulevards reliant les quartiers entre eux, et finalement traverser un pont pour rejoindre une rive adjacente. Ces connexions interagissent par des jeux d’excitation et d’inhibition, un peu comme si elles étaient contrôlées par un interrupteur électrique, selon la direction et la force du message reçu. Comme les routes terrestres, elles se répartissent en plusieurs niveaux : celui des petites rues de quartier correspond au simple neurone avec ses connexions voisines, puis les échanges se font également à travers les longs filaments de la matière blanche*, soit par des connexions entre des populations neuronales de proximité, en passant d’un quartier à l’autre, soit entre des zones éloignées du cerveau, en utilisant le pont reliant les deux hémisphères cérébraux. Les différentes techniques de neuromodulation tentent d’agir au niveau de ces connexions neuronales, déjà modifiées par le vieillissement normal, les nouveaux apprentissages, les produits pharmacologiques ou les atteintes neuronales.
 

L’invasion du cerveau

Les interventions cliniques requièrent parfois d’aller modifier des connexions au centre du cerveau plutôt qu’à sa périphérie. À l’Hôpital neurologique de Montréal, un traitement par stimulation électrique invasif nécessite une intervention chirurgicale. Celle-ci, communément appelée Deep Brain Stimulation*, consiste en l’implantation permanente d’électrodes dans les structures profondes du cerveau. Pour les patients ayant une atteinte neurologique comme la maladie de Parkinson, cette opération donne parfois d’excellents résultats et peut mener à une amélioration fonctionnelle majeure sur certains symptômes comme les tremblements et la rigidité musculaire[3].

De façon plus spectaculaire, en 2005, Matthew Nagle, atteint d’une tétraplégie, a été le premier humain à pouvoir contrôler une main artificielle grâce à des électrodes implantées dans son cerveau et reliées à un ordinateur[4]. Les recherches antérieures et actuelles en neurostimulation et sur l’implantation d’électrodes ont permis de cartographier le cerveau, de comprendre son activité et ses connexions et, ultimement, d’extraire et de transposer cette activité électrique en interface humain-ordinateur, ce qui a pu mener au développement d’une activité motrice robotisée. Cette technique est loin d’être en mesure de permettre de recharger les cellulaires ou de lire dans les pensées des gens, mais cette fusion entre l’homme et la technologie génère presque autant d’espoir chez les patients qu’elle soulève, d’un autre côté, de questionnements éthiques.
 

Le neurone à l’étude

Pour que les différents types de neuromodulation, électrique ou magnétique, atteignent l’étape de traitement thérapeutique dans les domaines tant psychiatriques que neurologiques, elles font l’objet de nombreuses recherches fondamentales permettant d’acquérir de nouvelles connaissances. Les stimulations électriques transcrâniennes à faible intensité font partie de ces recherches. Contrairement aux électrochocs, elles ne nécessitent aucune anesthésie et ne produisent qu’un léger picotement à la surface de la peau. Ces techniques consistent en un faible courant électrique, courant direct ou courant alternatif, qui se propage entre deux électrodes placées sur le cuir chevelu et qui agissent un peu comme une pile composée d’une borne négative et d’une borne positive.

L’une de ces stimulations électriques, la stimulation électrique transcrânienne à courant direct (SEtCD), a été l’une des premières techniques de stimulation à être développée. Au tournant des années 2000, les méthodes et les connaissances sur les effets neuronaux liées à cette stimulation ont été améliorées[5]. Par exemple, les chercheurs dans ce domaine avaient fréquemment observé que l’électrode négative avait tendance à augmenter l’efficacité des connexions des neurones, alors que l’électrode positive réduisait cette activité[6]. De plus, avec des électrodes placées à différents endroits sur le crâne, les recherches ont montré que la technique pouvait non seulement modifier les connexions neuronales voisines, mais également moduler la communication neuronale de zones éloignées du cerveau. Ce constat a mené à de nombreuses études sur les atteintes neurologiques pouvant conduire à un changement de connexions entre différentes régions cérébrales.
 

Les rivalités du cerveau

L’accident vasculaire cérébral (AVC) fait partie de ces pathologies qui ont fait l’objet d’un intérêt particulier en recherche. En effet, la bonne communication entre les deux hémisphères peut être rompue à la suite d’un AVC, ce qui peut mener à des déséquilibres sur les plans du langage, de l’attention et des fonctions motrices. Sur le plan moteur, la saine et naturelle rivalité entre les deux hémisphères permet notamment les mouvements complexes et asymétriques, comme jouer du piano[7]. Cette rivalité est un peu comme un duel sans fin de souque à la corde : chaque région motrice tire la corde de son côté, mais de façon équilibrée. Ce phénomène s’exprime très bien chez les bébés, dont le cerveau en développement n’a pas encore complété ces interactions et qui effectuent difficilement les mouvements unilatéraux ou asymétriques bien coordonnés.

Chez les patients victimes d’un AVC, cet équilibre naturel peut également être compromis, ce qui peut nuire au rétablissement. La région motrice épargnée vient alors compenser la région motrice opposée endommagée et elle tire soudainement davantage la corde de son côté, avec pour résultat que les deux régions se retrouvent en concurrence malsaine[8]. Dans les premières semaines suivant l’accident, cet ajustement peut être bénéfique et contribuer au rétablissement moteur. Par contre, ce phénomène peut devenir inadapté s’il persiste de façon chronique, au-delà de six mois, et être alors associé à un moins bon pronostic.

En 2005, des chercheurs de l’Université Harvard ont utilisé la SEtCD sur des patients ayant subi un AVC[9]. Ils ont montré qu’une diminution de l’activité de la région motrice épargnée ou une excitation de la région motrice endommagée rétablissaient l’équilibre entre les deux régions et qu’une amélioration des performances motrices des patients était alors observée. Les techniques de stimulation électrique semblaient donc avoir la capacité de diminuer temporairement l’activité de la région rivale épargnée et d’activer la région touchée afin de favoriser le rétablissement à la suite d’un AVC[10].
 

Des neurones synchronisés

Une équipe de chercheurs de l’Université de Montréal dirigée par le professeur Hugo Théoret a récemment tenté de modifier les connexions entre les deux hémisphères du cerveau à l’aide d’une autre technique de stimulation électrique : la stimulation électrique transcrânienne par courant alternatif (SEtCA)[11]. L’étude a permis de modifier les connexions voisines entre les neurones de chaque région motrice, mais n’a cependant pas permis de changer le pont de connexions qui relie les régions motrices. Cette méthode ne serait donc pas pour l’instant une avenue dans le rétablissement des déséquilibres observés à la suite d’un AVC.

L’aspect prometteur de cette technique développée depuis une dizaine d’années réside dans le fait que le courant alternatif génère des oscillations qui sont déjà naturellement présentes dans le cerveau[12]. En générant ces oscillations électriques, la SEtCA modifie l’activité rythmique des neurones, qui se mettent à s’activer de façon simultanée au rythme de la stimulation, un peu comme les membres d’une équipe de nage synchronisée en action. Cibler certaines ondes de stimulation pourrait ainsi permettre de viser des connexions et des régions cérébrales précises dans le but ultime d’en améliorer ou d’en rétablir le fonctionnement[13]. Or, l’étude du professeur Théoret nécessitera d’approfondir la recherche sur le rôle des ondes spécifiques aux régions motrices comme angle d’attaque dans le rétablissement des connexions après un AVC.

Bien qu’à ce jour aucune recherche neuromodulatoire liée aux AVC n’ait pu conduire à un traitement clinique reconnu, la stimulation magnétique exposée précédemment a mené à des résultats encourageants pour les patients ayant subi des dommages cérébraux à la suite d’un AVC. Elle a montré de façon persistante qu’elle pouvait bénéficier à la région endommagée et permettre une amélioration de l’équilibre cérébral. Chez certains patients, le déséquilibre peut se trouver non pas sur le plan moteur, mais sur celui de l’attention portée au champ de vision. Dans ces cas, l’atteinte au cerveau fait en sorte que la moitié gauche du champ de vision n’est plus accessible, et le patient n’y porte plus attention, comme si l’œil gauche était couvert en permanence.

Dans le cadre d’une étude, les séances de stimulation magnétique ont permis aux patients ainsi atteints de rétablir les forces hémisphériques et de retrouver la capacité de porter attention au champ de vision en entier[14]. Déjà utilisée comme traitement dans le domaine psychiatrique pour les personnes souffrant de dépression persistante ou de trouble obsessionnel compulsif, la SMTr montre aussi un potentiel intéressant dans le domaine neurologique, et les recherches sur cette technique pourraient à court terme permettre le développement de traitements cliniques efficaces.
 

Un effet réel 

Bien que certains résultats liés aux stimulations électriques transcrâniennes à faible intensité montrent des effets prometteurs, ces derniers sont parfois contradictoires, avec des mécanismes bien souvent mécompris[15]. Ces techniques de stimulation électrique ne constituent donc pas actuellement un traitement éprouvé cliniquement. En revanche, des techniques de neurostimulation comme l’électrochoc, le Deep Brain Stimulation ou la SMTr permettent à l’heure actuelle de traiter des patients aux prises avec diverses problématiques psychiatriques et neurologiques. Rappelons que ces réussites sont le fruit de longues recherches, parfois infructueuses ou qui ont par moments frôlé la science-fiction, mais qui ont permis de mieux comprendre les routes du cerveau. Bien au-delà des simples effets neurophysiologiques observés en laboratoire, la reconnaissance de ces méthodes utilisées en clinique passe nécessairement par un effet fonctionnel réel dans la vie des patients. Que ce soit dans les interactions altérées après un AVC ou dans le champ de la santé mentale, les perspectives de développement de la neurostimulation sont aussi vastes que les secrets du cerveau.

— Un article de Louis-Philippe Lafleur, Mathilde Rochette-Braun et Gabrielle Klees-Themens, étudiants au programme de doctorat en psychologie de l'Université de Montréal

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