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Le Photovoice, une méthode de recherche qualitative, permet de transposer en quelques images des réalités complexes. Il a d’ailleurs été utilisé par une chercheuse en nutrition de l’Université de Montréal pour montrer aux individus n’ayant jamais travaillé dans le domaine de la restauration rapide au Québec ce que mange le personnel au travail. En quelques photographies, cette méthodologie de recherche offre la possibilité d’obtenir de précieuses informations sur une communauté parfois méconnue.

Maxim, livreur de poulet rôti, participe à une étude qualitative * qui s’intéresse à ce que mangent les employées et employés de la restauration rapide au travail [1]. Cette problématique de recherche n’ayant été que très peu explorée [2], l’objectif de l’étude est d’attirer l’attention sur cette population. Une fois que les comportements alimentaires de la main-d’œuvre auront été décrits et que les déterminants individuels, sociaux et contextuels susceptibles de les influencer auront été identifiés, ces premières données générées pourront servir de base à de nouvelles recherches ou à des interventions ciblées. Une chercheuse québécoise ayant travaillé 10 ans dans le milieu de la restauration rapide a ainsi décidé d’interroger 17 de ses collègues à ce sujet. Les participantes et les participants à l’étude ont été invités à prendre en photo les aliments mangés dans leur contexte réel de consommation afin de montrer cette réalité à des personnes n’ayant jamais mis les pieds dans une cuisine en pleine heure de pointe. Grâce à cette méthode, le Photovoice, Maxim a donc photographié son repas avant d’en discuter lors d’une entrevue individuelle.
 

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[Manger dans son auto en travaillant : le quotidien d’un livreur

 Source : Geoffrion, S. (2023). Étude qualitative des déterminants des comportements alimentaires d’employés en rôtisserie de type restaurant rapide [mémoire de maîtrise, Université de Montréal]. Papyrus. https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/28287/Geoffrion_Sandrine_2023_memoire.pdf?sequence=6]
 

Munies d’un appareil photo et guidées par une question de recherche prédéterminée, les personnes ayant participé à l’étude ont ainsi narré leur quotidien en fonction de ce qu’elles jugeaient représentatif de leur réalité alimentaire au travail [3]. Les clichés ont ensuite servi, dans le cadre d’une entrevue, à amorcer des discussions et à expliciter des enjeux parfois difficiles à comprendre uniquement par l’usage des mots. Par exemple, Maxim a choisi d’immortaliser son souper mangé dans son automobile (figure 1). Lors de son entrevue, il explique qu’il soupe souvent « avec des commandes à côté…, [sans] beaucoup d’espace. [Il] prend une bouchée [au feu rouge]. […] [Il] mange un peu [et il va] porter une commande, [il] rembarque, [il] prend une autre bouchée.[4] » 
 

Un cadre éthique 

Le Photovoice fut d’abord utilisé en 1997[5] par Caroline Wang, chercheuse à l’Université du Michigan, et par Mary Ann Burris, chargée de programme pour la santé des femmes. En se basant sur la photographie documentaire, la théorie féministe, la conscience critique et l’éducation à la santé [6], elles voulaient informer les décideurs et décideuses des enjeux de santé de femmes chinoises. Depuis, la méthode a été reprise dans plusieurs domaines [7], notamment en santé, que ce soit dans un contexte de maladies précises ou de santé publique [8]. Même si le Photovoice a été mis au point pour être employé dans le cadre de groupes de discussion, il peut être intégré à diverses études qualitatives et quantitatives * [9].
 

Le recours au Photovoice doit cependant respecter certains principes fondamentaux : l’autonomie des participants et participantes dans le choix de la prise de photographies et l’évitement de préjudices. Ainsi, les équipes de recherche sont tenues de considérer la possibilité de divulguer des faits embarrassants sur la vie d’un individu [10] ou de dépeindre involontairement une personne, un groupe ou une communauté sous un mauvais jour [11]. L’utilisation du Photovoicepourrait par exemple renforcer des stigmatisations déjà présentes [12] dans certaines populations vulnérables comme les jeunes vivant dans une communauté touchée par le chômage, la pauvreté et la délinquance [13]. Dans ce cas, une manière éthique de protéger les participantes et les participants est de s’assurer que les clichés représentent des perspectives tant positives que négatives de la communauté. Pour ce faire, une formation préalable aidera l’équipe de recherche et le groupe à l’étude à mieux comprendre les répercussions possibles et les enjeux éthiques liés à la prise de photographies [14].
 

Une réflexion critique

Malgré son apparence simple, le Photovoice ne se résume pas qu’à un exercice de photographie. Il offre aux participants et aux participantes une occasion de réfléchir de manière critique à leurs réalités et à celles de leur communauté. Par exemple, avant de participer à l’étude, plusieurs travailleuses et travailleurs de la restauration ont indiqué n’avoir jamais eu la chance de se pencher sur l’influence de leur environnement alimentaire au travail et sur leurs propres comportements alimentaires [15]. Alyson, une femme de 21 ans qui occupe un poste de caissière et d’emballeuse, mentionnait notamment ne pas s’être rendu compte qu’elle mangeait au restaurant chaque semaine depuis qu’elle y travaille.
 

L’exercice de la photographie et les questions y étant rattachées ont également pu servir d’amorce à la réflexion. Plusieurs participants et participantes ont d’ailleurs nommé, pendant leur entrevue, d’autres aliments qu’ils auraient pu photographier. Maxim a par exemple pris deux clichés supplémentaires le soir suivant son entrevue afin de représenter des enjeux qu’il avait abordés.
 



[Après l’heure de pointe, la nourriture s’est accumulée en cuisine.

 Source : Geoffrion, S. (2023). Étude qualitative des déterminants des comportements alimentaires d’employés en rôtisserie de type restaurant rapide [mémoire de maîtrise, Université de Montréal]. Papyrus.https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/28287/Geoffrion_Sandrine_2023_memoire.pdf?sequence=6]

 

L’angle mort

Wang et Burris ont aussi réfléchi à l’utilisation du Photovoice dans une visée politique [16]. La méthode pourrait en effet permettre d’atteindre les décideurs et décideuses susceptibles d’influencer concrètement la vie et la santé des communautés à l’étude [17]. Dans ce contexte, ne pas engager les acteurs et actrices politiques dans le processus de diffusion de la recherche constituerait une occasion manquée de changement social [18]. En réalité, les photographies prises, accompagnées d’extraits ou de narratifs découlant des entrevues, peuvent par exemple être présentées dans le cadre d’expositions, de congrès ou de plaidoyers. Elles permettent ainsi d’attirer l’attention vers les communautés qui sont moins écoutées afin qu’elles ne demeurent pas dans l’angle mort des décisionnaires.
 

Facilement accessible grâce aux téléphones cellulaires ou à l’utilisation de caméras jetables, le Photovoice permet à des personnes de tous âges et de toutes ethnies d’exposer leur réalité à un individu extérieur à leur communauté, indépendamment de leur état de santé, de leur situation financière et professionnelle, ou encore de leur niveau d’alphabétisation [19]. En quelques clichés, le Photovoice révèle un éclairage différent sur une situation vécue par des gens parfois invisibles.
 

Malgré les avantages discutés, les récits imagés ne constituent pas une représentation constante et complète d’une communauté [20]. De plus, la prise de photographies se veut en elle-même un acte subjectif. En effet, les personnes qui participent à l’étude choisissent la manière dont elles représentent leur réalité. La théorie qualitative admet néanmoins qu’aucune situation de recherche n’est totalement objective. Même si la méthodologie comporte certaines limitations en lien avec la représentativité des données produites, elle s’inscrit dans une démarche de recherche participative visant à générer des données exploratoires *. Les enjeux mis en lumière par la communauté pourront alors servir de base à des recherches ultérieures. De son côté, grâce au Photovoice, Maxim a fait découvrir l’univers des cuisines où il travaille, ce qui pourrait ouvrir la porte à de futures études. 

 

 

— Un article de Sandrine Geoffrion, étudiante au programme de maîtrise en nutrition à l'Université de Montréal

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