À vrai dire, Mathieu Lapointe ne mettait pas le nez dans les eaux usées, mais il les avait à l’œil sous l’objectif du microscope. Il est chercheur postdoctoral à l’Université McGill au Laboratoire de biocolloïdes et surfaces sous la supervision de la professeure Nathalie Tufenkji. Il étudiait l’efficacité des agents de coagulation et de floculation utilisés dans les traitements des eaux usées et en observait le résultat au microscope. « Les coagulants précipitent les composés solubles et forment des petits agrégats (floc) de contaminants. Les floculants permettent ensuite de faire grossir les agrégats », explique Mathieu Lapointe. Le traitement se poursuit par une phase de décantation des agrégats. « J’ai passé beaucoup d’heures au microscope à examiner les agrégats et à un moment donné, j’ai observé une structure allongée qui était une fibre de cellulose provenant probablement de papier toilette. De là est venue l’idée que la fibre de cellulose pourrait servir de pontage entre des agrégats pour former des agrégats encore plus gros », raconte Mathieu Lapointe.
La richesse d’une idée simple
L’idée parait simple, mais les multiples avantages des fibres de cellulose en font une riche idée.
Le recyclage du papier fournit quantité de fibres de cellulose à peu de frais. Les fibres peuvent être modifiées chimiquement pour cibler des contaminants. Par exemple, en greffant du fer, la fibre devient chargée positivement et attire des contaminants chargés négativement comme le phosphore, responsable de l’eutrophisation des eaux naturelles. Les fibres greffées de fer permettent aussi de réduire les quantités de coagulants et faciliteraient la valorisation des boues d’épuration. En effet, les coagulants contiennent des métaux lourds qui nuisent à la valorisation des boues, par exemple, sous forme de fertilisants agricoles. En fin de traitement, les fibres peuvent être extraites des agrégats et réinjectées plusieurs fois dans le procédé. Enfin, les fibres de cellulose offrent une solution polyvalente compatible avec les divers coagulants et floculants existant sur le marché. Elle peut être ajoutée à un procédé de traitement des eaux usées déjà implanté autant dans une municipalité que dans une industrie.
Au laboratoire
Débutent alors des travaux pour développer le procédé à l’échelle du laboratoire. Il faut optimiser la morphologie des fibres et la chimie de surface en précipitant le fer sur les fibres. L’objectif est de capter le phosphore pour que l’eau traitée rencontre la norme relative à la concentration en phosphore dans les effluents qui retournent au milieu naturel. Il faut greffer suffisamment de fer pour attirer le phosphore, mais maintenir un cout abordable pour les villes qui ont d’importants volumes d’eau à traiter. Mathieu Lapointe a aussi travaillé sur l’hydraulique du procédé pour déterminer à quel moment ajouter les fibres, ajuster la vitesse d’agitation et le temps requis pour compléter l’agrégation. Un projet pilote est prévu à l’Université McGill pour passer à l’échelle supérieure et des partenariats sont en vue pour transférer la technologie vers les milieux municipal et industriel.
Tout ça parce qu’une fibre de papier toilette trainait dans les eaux usées que Mathieu Lapointe examinait. Comme quoi, l’innovation c’est savoir voir ce qui peut être insignifiant à première vue… et aussi se pincer le nez.
Le projet a bénéficié des appuis financiers suivants :
- William and Rhea Seath Awards (WRSA) in Engineering Innovation, McGill
- McGill Sustainability Systems Initiative (MSSI) Innovation Fund
- Fonds de recherché du Québec
- Chaire de Recherche du Canada de la Pre Tukenkji
Un peu de lecture pour aller plus loin
Lapointe M, Jahandideh H, Farner J, Tufenkji N. Super-bridging Fibrous Materials for Water Treatment: Impacts on Removal of Plastic Particles, Phosphorus and Natural Organic Matter. ChemRxiv. Cambridge: Cambridge Open Engage; 2021; This content is a preprint and has not been peer-reviewed.