L'étiquette provient d'un document publié en février par un sénateur républicain du Texas, Ted Cruz, qui affirme avoir identifié 3500 recherches subventionnées par la National Science Foundation (NSF) et qui feraient la promotion de « perspectives politiques radicales » et de « théories néo-marxistes ». Son équipe avait « découvert » ces études dans la base de données des subventions attribuées entre 2021 et 2024, en effectuant une recherche de 699 mots-clés comme « diversité », « ségrégation », « culture hispanique » ou « femme ».

L'exercice révèle les périls d'une recherche par mot-clé: le magazine américain Pro Publica a commencé par demander à ChatGPT d'identifier parmi ces 3500 recherches ce qu'il y avait de marxiste. L'application n'ayant rien trouvé, deux journalistes ont lu plusieurs des recherches, dont celles sur les feuilles de menthe et sur les hémorragies. La première semble avoir été ciblée parce qu'elle parle de « diversité » (celle des plantes, pas celle des humains) et l'étude sur les hémorragies semble avoir souffert du fait qu'elle contenait les mots « victimes » et « trauma ». 

Parmi les autres exemples :

• Un « biocapteur » qui pourrait peut-être détecter des maladies infectieuses; le texte contient l’acronyme « POC », souvent utilisé aux Etats-Unis pour désigner des « persons of color », mais qui, ici, désignait —comme le texte l'indiquait bel et bien— des « points of care », c’est-à-dire les endroits où, sur le corps, le capteur serait appliqué. 
• Une technologie pour diagnostiquer, à partir du mouvement des yeux, une commotion cérébrale. Elle aussi —comme quantité d’études médicales— comportait le mot « trauma », associé à un autre mot apparemment jugé woke, « statut ». Qui, dans de cas-ci, désigne l'état du patient.

« C'est très effrayant », commente dans Pro Publica la biologiste Charlotte Lindqvist, experte de la génétique végétale à l'Université de Buffalo. Le travail de son équipe sur les feuilles de menthe a consisté à analyser l'ADN de ces plantes provenant de plusieurs endroits. Étudier la biodiversité, rappelle-t-elle, peut aider à rendre nos systèmes alimentaires plus résilients aux parasites, et voilà que vous êtes « signalés et mis sur une liste noire parce qu’il y a le mot femme » —la demande de subvention signalait que l’argent servirait à embaucher une des étudiantes. 

Les auteurs de la recherche par mot-clé expliquent dans leur document que les 3500 recherches identifiées l'ont été parce qu'elles étaient « souvent basées sur des théories néo-marxistes qui identifient le mérite par des attributs physiques ou ethniques ». Ils admettent ne pas avoir lu les recherches. 

Non sans raison : celles-ci vont des ondes gravitationnelles —un phénomène que l'on commence à identifier dans les profondeurs du cosmos— jusqu'aux biotechnologies, et ce sont des comités d'experts des différentes disciplines qui avaient eu au préalable la tâche d'approuver ou de rejeter les demandes de subventions que reçoit chaque année la NSF. Tout comme ce sont d'autres groupes d'experts qui auront ensuite pour tâche de réviser l'étude quand elle sera terminée, et d'approuver ou non sa publication dans une revue scientifique.  

Les raisons pour lesquelles certaines des 3500 recherches ont été ciblées par l'équipe de cet élu sautent davantage aux yeux, et augurent mal pour certains champs de la santé publique ou des sciences sociales :

• une étude qui cherche à comprendre pourquoi le taux de mortalité des femmes enceintes aux États-Unis est près de trois fois plus élevé chez les Noires;
• une étude qui teste la faisabilité de l'envoi par drone de défibrillateurs dans des situations d'urgence qui surviennent dans des quartiers à faibles revenus, où le temps de réponse des premiers secouristes est plus long.

La NSF a par ailleurs parmi ses mandats la mission de rendre la science plus accessible aux femmes et aux minorités, un mandat dont il n'est pas sûr qu'il va survivre aux coupes et aux directives lancées par la nouvelle administration.