
Entraîner un athlète paralympique dans son salon, pour lui éviter des déplacements inutiles, serait gagnant. Le numérique et la réalité virtuelle permettraient-ils de remplacer une partie de cet entraînement?
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En plus de fournir quelque chose de personnalisé, « le simulateur peut entraîner l’athlète sur la tactique et pas forcément sur la pratique physique en tant que telle », nuançait le directeur de recherche et innovation à l’Institut national du sport du Québec, Thomas Romeas, dans le cadre du récent colloque sur le sport et le génie, lors du congrès de l’ACFAS tenu à Montréal.
Il donne l’exemple du boccia, un sport apparenté à la pétanque, pratiqué par les personnes en situation de handicap. Il nécessite un terrain plat et lisse de 12,5 mètres par 6 mètres, pas particulièrement facile à aménager à la maison. C’est là que le virtuel peut venir en aide.
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Cette différence entre l’entraînement tactique ou physique qu’évoque le chercheur, s’illustre aussi au golf, en comparant les experts et les novices. « Les élites font moins d’erreurs que les novices, parce qu’ils adoptent des stratégies différentes. Les novices retireraient donc plus de bénéfices de ce type d’entrainement. »
Plus haut grâce à l’IA
Les technologies présentées à ce colloque de l’Acfas ne s’arrêtaient pas à l’entraînement à la maison. L’arrivée de l’IA permet aussi de tester des mouvements avant même que l’athlète ne s’y essaie.
Par exemple, sur le trampoline. « Nous demandons à l’IA de trouver la meilleure gestuelle possible grâce à la création d’un « jumeau » numérique de l’athlète, rassemblant ses informations biomécaniques - articulations, capacités physiques, paramètres inertiels, etc. », explique l’informaticien et professionnel de recherche du Technopôle en réadaptation pédiatrique au Centre de réadaptation Marie-Enfant, Benjamin Michaud.
L’idée est de demander au modèle de réaliser certaines choses, comme de rester le plus longtemps possible dans les airs, d’augmenter les vrilles ou de tourner le plus vite possible avec une gestuelle imposée et avec le moins d’efforts aux articulations.
« Nous allons tester un paquet de solutions initiales proposées par l’ordinateur pour trouver la meilleure procédure. Ce sont des idées inédites, comme ce surprenant mouvement de hula hoop facilitant l’exécution de vrilles plus rapides et plus nombreuses », rappelle le chercheur, en référence au mouvement réalisé par Sophiane Méthot, qui lui a valu une médaille de bronze lors des derniers JO de Paris.
La technologie nécessite toutefois d’être épaulée par une solide équipe, dont des entraineurs susceptibles de préparer les nouvelles gestuelles en question. Et capables de donner des rétroactions, jusqu’à l’acquisition du mouvement gagnant. « Ce sera une série d’allers et retours entre ce qui est proposé et ce qui sera réalisé sur le trampoline. C’est un outil de plus pour le coach. »
Reproduire des environnements complexes
Loin des approximations des jeux vidéos immersifs pour grand public, comme The Climb (escalade de montagne) ou Kayak VR : Mirage, le monde du sport s’avère complexe.
L’équipe du professeur de génie logiciel et des TI à l’École de technologie supérieure, Sheldon Andrews, travaille pour sa part sur la boxe. « Ce que l’on cherche, c’est de rassembler une collection de mouvements de haute qualité issus de vrais sportifs en situation de combats. »
Pour ce faire, l’équipe a choisi de se baser sur une combinaison d’images réelles et d’images générées par IA afin de réaliser des données synthétiques simulant divers scénarios possibles.
« On manque de données réelles sur les performances des athlètes de haut niveau », soutient son étudiante en génie logiciel et technologie de l’information, Yosr Takouti.
Cela enrichit l’entraînement du boxeur, mais cela peut aussi permettre de meilleurs suivis lors de l’arbitrage automatisé – afin de mieux surveiller l’un et l’autre des boxeurs. L’outil automatisé sera en effet capable de reconnaître et de classifier les différentes actions: « On a une bonne précision pour certaines (jab, guard, cross) mais pas pour d’autres (block, uppercut) en raison d’un manque de données », ajoute le Pr Andrews.
Champions de la prise de décision
Charlie Grisé-Joly tente pour sa part d’aider les athlètes à améliorer leurs performances au lancer en surveillant leurs mouvements oculaires, avec l’aide de l’IA. L’étudiante à l’école ophtalmologique de l’Université de Montréal a utilisé la technologie de Quiet eye, pour leur apprendre à mieux se concentrer sur leur cible.
« La fixation est plus longue chez les experts, c’est donc une stratégie visuelle clé lors de l’entrainement », pense la jeune chercheuse.
Quant à Fabian Alberto Romero Clavijo, il utilise le virtuel et l’IA pour améliorer les performances au baseball : « La confrontation au baseball entre le lanceur et le frappeur de haut niveau demande un temps de réaction de moins de 420 millièmes de seconde », explique le postdoctorant en kinésiologie de l’Université Bishop.
Le résultat est mitigé. La réalité virtuelle améliore certaines choses, mais pas tout : « La réalité virtuelle améliore la reconnaissance des lancers mais pour la discipline au bâton, cela ne peut pas se substituer à la pratique régulière ».
Un coup de pouce pour prévenir les blessures
Enfin, la réalité virtuelle serait un bon allié pour rendre le sport plus sécuritaire, et même prévenir les prochaines blessures.
L’étudiant à la maîtrise à l’ETS, Nathan Carretier, réalise une analyse cinématique des chutes en escalade de bloc chez les athlètes. En d’autres mots, il suit les sportifs, dotés de capteurs, le long de leur escalade d’un mur sans corde de rappel.
Ce sport très populaire s’avère assez dangereux : 4,5 blessures pour 1000 heures d’activité. « La cheville est le premier point de contact », révèlent ces capteurs. « Nous voulons trouver des stratégies pour de meilleures réceptions », explique le chercheur.
De la même façon, les coups à la tête alarment le monde du sport. On pense surtout à des commotions cérébrales, mais des coups plus modestes pourraient avoir aussi un effet délétère. « Il y a des impacts sous-commotionnels en raison de l’effet cumulatif des coups chez les boxeurs et les footballeurs, ce qui pourrait mener à des maladies neurodégénératives », avance la doctorante en génie mécanique, Véronique Bouvette.
Elle s’attelle à mesurer les effets des accélérations sur la tête des joueurs de football avec des capteurs. Elle recueille ainsi des données qu’elle intègre dans une modélisation (modèle THUMS).
Cela lui permet de pénétrer dans le cerveau, comme le corps calleux, cette structure qui relie les deux hémisphères. «C’est très fibreux. Je regarde comment les fibres sont placées et changent, suite aux impacts. »
Le cumul des déformations des fibres va lui permettre de réaliser des projections de ce qui est attendu lors des chocs à la tête. Un athlète peur recevoir près de 628 impacts dans une saison.
« Cela va permettre d’intervenir au bon moment par un arrêt pour la journée, ou une plus longue période de récupération », explique Mme Bouvette.
De son côté, Karim Kerkouche, étudiant à la maitrise en technologie de la santé à l’ETS, développe un casque de sports de neige doté d’une mousse imprimée en 3D.
L’amateur de planche à neige a remarqué que les commotions cérébrales touchent bon nombre de jeunes adeptes de sport de glisse. Le casque de ski pourrait devenir plus performant, tout en étant plus écologique.
Enfin, après la tête, c’est la colonne vertébrale qui est sous la mire des ingénieurs.
Les barres russes —une discipline acrobatique du cirque qui consiste à propulser un voltigeur dans les airs— occasionnent des maux de dos et des blessures chez les porteurs d’une longue barre horizontale flexible sur laquelle le voltigeur vient ensuite se poser. « Porter ce type de barre, c’est comme avoir un frigo sur l’épaule », annonce Pierre Schmidt, jeune chercheur à l’École nationale de cirque.
À l’aide d’un modèle biomécanique, le jeune chercheur a mesuré les forces dans la colonne lombaire des artistes pour se rendre compte que « ce n’est pas la réception des saltos, c’est la phase de propulsion qui génère le plus de charge ».
Son projet a amené la création d’une nouvelle barre à la stabilité et au confort accrus grâce à son port en Y, sur les deux épaules.
« Les artistes de cirque ne sont souvent pas considérés comme des sportifs alors que c’est très physique et que les blessures sont nombreuses », ajoute M. Schmidt.