En novembre 2025, plus de 300 autruches canadiennes ont été abattues par l’Agence canadienne d’inspection des aliments parce que leur troupeau avait été infecté par la grippe aviaire. Le Détecteur de rumeurs a voulu comprendre comment d’influentes figures du mouvement pro-Trump « Make America Healthy Again » (MAHA) se sont retrouvées au cœur de cette dispute.
À lire également
Faits à retenir
- L’Agence canadienne d’inspection des aliments a ordonné l’abattage d’un troupeau d’autruches infectées par la grippe aviaire
- Plusieurs personnalités antiscience canadiennes et américaines se sont portées à la défense des oiseaux.
- Aucune donnée scientifique n’a été fournie pour démontrer que les autruches abattues avaient une valeur pour la recherche médicale.
L’origine de la controverse
L’histoire a débuté en décembre 2024 à Edgewood, un village de près de 250 habitants en Colombie-Britannique. La ferme Universal Ostrich, qui élève des autruches depuis plus de 30 ans, a découvert que l’une d’elles présentait des symptômes similaires à ceux d’une pneumonie.
Abonnez-vous à notre infolettre!
Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!
Après quelques décès et grâce à un appel anonyme, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) s’est rendue à la ferme. Au Canada, il est obligatoire de déclarer à l’ACIA des symptômes pouvant être causés par la grippe aviaire, ce que ces éleveurs n’avaient pas fait. Les tests ont révélé que les oiseaux malades étaient effectivement infectés par le H5N1, ou virus de l’influenza aviaire hautement pathogène. Dans les 36 jours qui ont suivi la première infection, 69 oiseaux en sont morts.
Dans un communiqué publié le 27 janvier 2025, l’ACIA expliquait que pour réduire au minimum le risque de propagation du virus à d’autres animaux —voire aux humains, une inquiétude latente ces dernières années— ils allaient devoir procéder à l’abattage de tout le troupeau d’autruches.
Les propriétaires de la ferme ont alors demandé à l’ACIA une exemption en raison, ont-ils allégué, de traits génétiques « rares et précieux » que posséderaient leurs animaux. Selon eux, leurs autruches auraient un système immunitaire robuste et produiraient dans leurs œufs des anticorps uniques. Sur leur site, ils évoquent un programme de recherche qui aurait été entamé en 2020 avec deux scientifiques.
Dans un nouveau communiqué publié en mai 2025, l’ACIA expliquait que la demande d’exemption avait été refusée, puisque Universal Ostrich Farm n’avait soumis aucune preuve démontrant que des études avaient été menées pour appuyer leurs affirmations. Les propriétaires ont entrepris des recours judiciaires, qui ont été rejetés par la Cour fédérale le 13 mai, puis par la Cour d’appel fédérale en août 2025. Le 7 novembre, la Cour suprême a refusé d’entendre la cause.
Une cause soutenue par des organisateurs du « Convoi de la liberté »? Vrai
Dès le mois de mai, les propriétaires de la ferme avaient encouragé sur les réseaux sociaux leurs sympathisants à venir à Edgewood pour bloquer l’ACIA. Des milliers sont venus manifester à divers moments, se succédant jusqu’à la fin de l’histoire. Des levées de fonds ont été organisées sur GoFundMe et GiveSendGo, de même que sur une plateforme spécialement créée, Save Our Ostriches. Plusieurs centaines de milliers de dollars ont ainsi été amassés.
Parmi les supporteurs, on retrouve certains des organisateurs du Convoi de la liberté qui avait occupé Ottawa en 2022. Par exemple, Tamara Linch a participé à un concert-bénéfice en juillet. La cause a aussi été couverte abondamment par Rebel News, un site canadien souvent associé à l’extrême-droite, qui s’en est servi pour mousser sa propre campagne de sociofinancement.

En septembre, l’ACIA a dû faire appel à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour pouvoir faire son travail, peut-on lire dans un communiqué de la GRC. Des menaces ont été proférées à l’endroit des entreprises qui ont collaboré avec l’ACIA pour l’abattage des oiseaux, ajoutait le corps policier dans un deuxième communiqué.
Le chef d’une Première nation locale a dû nier avoir pris la défense de la ferme, comme celle-ci l’avait prétendu en septembre. Des commerçants de la région, de même que des résidents du village d’Edgewood, se sont plaints en juillet d’être harcelés par les manifestants installés dans les parages « depuis des mois » et ont critiqué le mépris des mesures sanitaires affiché par les propriétaires de la ferme. Au fil des mois, et jusqu’à l’abattage, survenu finalement le 7 novembre, des manifestants ont effectivement été arrêtés pour harcèlement, ou pour avoir franchi illégalement les clôtures de la ferme.
Une implication de Robert F Kennedy? Vrai
Entretemps, des figures importantes du mouvement Make America Healthy Again (MAHA) —le mouvement entourant le ministre de la Santé du gouvernement Trump, Robert F. Kennedy Jr— s’étaient fait entendre pour sauver le troupeau.
Ainsi, le 5 mai 2025, le milliardaire américain John Catsimatidis, un des gros donateurs du parti républicain, a reçu à la radio la fille des propriétaires de la ferme d’autruches, Katie Pasitney. Celle-ci, par ailleurs invitée sur de nombreuses tribunes et qui est devenue le visage le plus connu de la ferme, a répété que les autruches produiraient des anticorps contre la Covid-19. John Catsimatidis a alors souligné qu’il avait parlé dès avril de ces anticorps avec Robert F. Kennedy Jr. Il aurait proposé de permettre le déplacement des oiseaux aux États-Unis.
Le 23 mai, RFK Jr écrivait sur X qu’il avait rencontré le président de l’ACIA pour discuter d’une collaboration pour protéger les autruches. Dans la lettre accompagnant sa publication, le ministre de la santé des États-Unis demandait à l’ACIA de revenir sur sa décision d’abattre les oiseaux.

Quelques jours plus tard, dans une entrevue accordée au New York Post, le Dr Mehmet Cengiz Oz, administrateur des programmes américains d’assurance-santé Medicare et Medicaid, disait avoir offert aux propriétaires de la ferme de déplacer les autruches sur son ranch en Floride.
Des airs de théorie du complot? Vrai
C’est ainsi que l’affaire est devenue pour plusieurs un symbole des « abus de pouvoir » du gouvernent canadien. Plusieurs publications sur la page Facebook de la ferme vont dans ce sens.

Certains y voient un complot des compagnies pharmaceutiques pour se débarrasser des hypothétiques anticorps des autruches, dont la ferme prétend qu’ils pourraient guérir plusieurs maladies. Mais à ce jour, elle n’a jamais fourni d’analyses des anticorps en question.
Verdict
Plusieurs figures du mouvement MAHA aux États-Unis se sont bel et bien portées à la défense de 300 autruches canadiennes. L’affaire a bel et bien été présentée sur les réseaux sociaux comme l’oeuvre d’un gouvernement totalitaire. Les allégations selon lesquelles ces oiseaux auraient une grande valeur médicale ou génétique n’ont été étayées par aucune étude ni donnée probante sur leur sang, leur ADN ou leurs oeufs.




