Ce billet a d’abord été publié sur le blogue Hinnovic de l'Université de Montréal.
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Déconnexion. C’est le mot qui décrit le mieux la relation que de plus en plus d’Homo sapiens entretiennent avec la nature dans les grands centres urbains. Nous sommes devenus des Homo urbanus, connectés avec la vie trépidante et stimulante de la ville, mais déconnectés des bienfaits du monde naturel. Parmi ces bienfaits, plusieurs sont fortement reliés à notre santé. De nombreuses études font désormais un lien clair entre le fait d’habiter dans une grande ville et être plus souvent affecté par le stress, les maladies mentales, maladies cardiovasculaires ou d’autres problèmes de santé. De plus, cette coupure vis-à-vis de la nature nous rend beaucoup moins enclins à protéger celle-ci, parce que nous perdons ce lien d’appartenance et d’interconnexion. La revue Science a publié un numéro spécial dédié aux défis environnementaux et sanitaires des grandes villes du XXIe siècle. Parmi les solutions suggérées, la reconnexion avec la nature y occupe une place de choix.
Une population urbaine qui explose Selon les projections des Nations Unies, en 2050, 66 % de la population humaine vivra en zone urbaine, soit près de 4 milliards de personnes, alors que cette proportion était de 54 % en 2014. Le graphique (Unicef - cliquer sur la photo) montre les projections du nombre d’habitants qui vivront en zone urbaine en 2050, ainsi que la part de la population urbaine comparée au total du pays (cliquez pour accéder à la carte interactive). On peut facilement voir que toutes les Amériques et l’Europe auront une population urbaine qui représentera plus de 70 % de la population totale du pays, mais ce qui est flagrant quand on explore la carte, c’est la forte croissance de la part de la population urbaine en Asie ou encore au Nigeria (augmentation de 400 millions de personnes en Inde, de 290 millions en Chine et de 210 millions au Nigeria, toujours selon l’ONU). Or, l’augmentation de la population dans les zones urbaines se fait dans la forte majorité des cas au détriment des zones naturelles. La conversion de terres émergées en aires urbaines entraîne selon certains auteurs des impacts parmi les plus irréversibles liés aux activités humaines. Dans certaines régions du monde, l’étalement urbain « accentue la déforestation, entraîne la perte de terres arables, modifie le climat local, fragmente les habitats et donc participe au rapide déclin de la biodiversité » (Seto et al., 2011). Selon la méta-analyse de Karen C. Seto et ses collègues, l’augmentation des zones urbaines à l’échelle planétaire atteindra en moyenne 1,5 million de kilomètres carrés en 2030, une surface pratiquement équivalente à la superficie du Québec ou trois fois la France métropolitaine.
Ce que nous faisons à la nature, nous le faisons à nous-mêmes Cette urbanisation galopante n’a bien sûr pas que des impacts sur la santé des écosystèmes naturels. En effet, vivre en ville signifie la plupart du temps se couper du monde naturel. En ville règnent le béton, l’asphalte, la brique, le verre, mais aussi le bruit, la pollution, l’éclairage artificiel, la circulation automobile. Tout cela au détriment des bienfaits de se retrouver en contact avec la nature. Dans Living in cities, naturally un article du numéro spécial de Science (cité plus haut), Hartig et Khan rappellent les liens importants entre le fait d’être en contact avec la nature et les bénéfices pour notre santé. Ils suggèrent également que nous serions plus conscients de l’importance de protéger l’environnement si nous étions beaucoup plus en interaction avec la nature en ville. Malheureusement, l’urbanisation a trop souvent des conséquences négatives sur la santé publique.
Parlons pollution premièrement. On pense bien sûr à la pollution atmosphérique, celle causée par la circulation automobile, les activités industrielles, la combustion de matières fossiles solides (pour le chauffage et l’alimentation) ou encore les feux de décharges municipales. Faut-il rappeler que la mauvaise qualité de l’air tue directement ou indirectement 3,5 millions de personnes dans le monde, en majorité en zone urbaine ? Il y a également la pollution sonore, trop souvent ignorée et plus insidieuse, elle est pourtant la cause de décès, d’arrêts maladie, de dépression, d’espérance de vie plus courte. Comme nous le soulignions dans un billet l’année dernière, la pollution sonore résultant de la circulation automobile en Europe causerait la perte d'un million d’années de vie en bonne santé suite à la morbidité, à des invalidités ou à une mortalité prématurée.
Un autre constat inhérent aux zones urbaines est l’augmentation du stress et de l’anxiété. Hartig et Khan notent que de nombreuses études suggèrent un lien entre un déficit de nature et la recrudescence de problèmes mentaux, même si comme ils le soulignent, d’autres facteurs peuvent bien sûr être en cause dans l’apparition de certaines maladies mentales, comme les contextes social, politique ou économique qui sont liés de près ou de loin à l’urbanisation dans certaines sociétés. Néanmoins, les bienfaits psychologiques associés à une plus grande proximité avec la nature ne sont plus à remettre en question. Les auteurs citent leurs propres recherches (Hartig et al., 2011), mais aussi un rapport de la Commission Européenne sur la « renaturalisation » des villes (Commission Européenne, 2015). De notre côté, nous avions publié un billet en 2015 dans lequel nous citions les bienfaits de la pratique du Shinrin Yoku, c’est-à-dire les bains de nature. Comme nous le mentionnions dans ce billet en reprenant les propos de la Fondation David Suzuki, « s’immerger régulièrement dans un environnement naturel peut contribuer à réduire significativement le stress et les symptômes de troubles de l’attention, tout en renforçant le système immunitaire et en augmentant le niveau d’énergie. »
Dans l’article de Science, on cite cette étude longitudinale de Alcok et al. (2014) qui durant cinq ans ont accumulé des données issues de 1064 participants. Résultats : les participants qui ont déménagé d’une zone urbaine moins verdie (58 %) vers une zone urbaine faisant plus de place à la verdure (74 %) ont vu une amélioration de leur santé mentale au cours des trois années suivant le déménagement. À l’inverse, ceux qui passaient d’une zone urbaine plus verdie (74 %) à une zone moins verdie (59 %) ont vu leur santé mentale se dégrader avant le déménagement suivi d’un retour lent aux conditions initiales après le déménagement, suggérant une capacité d’adaptation aux zones moins verdies. Cette étude longitudinale, la première du genre, n’en suggère pas moins le côté bénéfique des zones verdies et arborées.
Repenser les villes avec la nature à portée de main… et dans la tête La verdure dans la ville du XXIe siècle ne doit plus consister en un grand parc central et des zones beaucoup moins denses en verdure et en arbres. Au contraire, il faut faire en sorte que le monde naturel s’immisce à chaque fois qu’il est possible de remplacer un environnement bétonné ou minéral par un environnement qui fait la place au verdissement. Les initiatives locales visant à agrandir les carrés d’arbres et à détruire l’asphalte vont clairement dans ce sens. À Montréal par exemple, l’organisme Jardin de rue permet à des citoyens qui habitent une même zone de faire appel à ses services de destruction d’asphalte et de verdissement. S’ils sont assez nombreux et qu’ils s’accordent pour vouloir verdir leur rue, l’organisme subventionné par la ville fait appel à des bénévoles ainsi qu’aux résidents qui s’impliquent dans l’opération. Certaines rues ont littéralement été transformées en oasis de verdure. De plus, cette pratique participe à la réduction des îlots de chaleur, fléau des villes modernes, surtout dans un contexte de réchauffement climatique.
Finalement, en plus des effets bénéfiques pour la santé individuelle et des gains en termes de santé publique, donner plus de place à la nature en ville permet d’augmenter la conscientisation envers l’importance de la protection de l’environnement. Hartig et Khan notent que chaque génération « construit une conception de ce qu’est un environnement normal basée sur le monde naturel rencontré durant l’enfance ». Ainsi, à mesure que l’urbanisation s’accélère et que les zones naturelles disparaissent, chaque nouvelle génération tend à considérer les conditions dégradées comme étant la norme. En plus des solutions proposées plus haut, il faut également donner la chance aux résidents des grands centres urbains de redécouvrir le travail de la terre et les bénéfices que nous pouvons en tirer, même en plein centre-ville. Les mouvements des jardins urbains et de l’agriculture urbaine vont dans ce sens. S’ils permettent difficilement de rendre les grandes villes autonomes en termes d’alimentation locale, ils comportent des bénéfices essentiels : recréer des liens avec la nature, mais aussi entre citoyens tout en participant à une meilleure santé mentale et physique.
Les villes du XXIe siècle doivent désormais être pensées afin de nous reconnecter avec les éléments naturels au lieu de nous en éloigner. Elles doivent apporter tous les bénéfices d’une ville pour ce qui a trait à la créativité, à l’innovation ou aux services, sans que cela ne se fasse au détriment de la nature et de notre interconnexion avec celle-ci. C’est autant notre propre santé que la pérennité et l’intégrité des écosystèmes qui sont en jeu.
Mise à jour (14/06/2016) : parmi les formes de pollution liées à l’urbanisation, il en est une qui est relativement oubliée et sous-estimée : la pollution lumineuse. Or, une équipe internationale, incluant des chercheurs et des citoyens, vient de dresser un nouvel atlas mondial de la pollution lumineuse. Ainsi, on y apprend que « 80 % de la population mondiale ne connaît plus de nuit noire peuplée d’étoile ». De plus, cette pollution affecte la santé en « augmentant la production de la mélatonine et donc en perturbant le sommeil. S’ensuit un risque accru de développer certains cancers ». Finalement, les lumières des villes et des installations humaines perturbent fortement la biodiversité. Voici un très bon texte sur cette forme de pollution, à lire sur le blogue Le Cosmographe.