Dans ce dernier article, j'ai mentionné une étude portant sur plus de 1 700 virus congelés découverts dans un glacier tibétain. Ce travail mettait en relation l'évolution de ces espèces microbiennes et le climat, plus particulièrement entre elles et la variation du climat. Dans l'article précédent, l'idée proposée était de s'inspirer des résultats de ce travail pour accélérer en laboratoire la diversification des virus grippaux dans le but d'en dériver des antigènes de façon à disposer de vaccins dont l'efficacité se manifesterait sur une durée plus longue que sur une seule année.
Ici je souhaite revenir sur cette idée non plus seulement pour obtenir des vaccins, mais en faisant remarquer que ce genre d'astuce pourrait aussi servir dans la lutte contre les bactéries multirésistantes aux antibiotiques. Quand ces derniers ne suffisent plus pour contrer les infections bactériennes, certaines équipes médicales se tournent vers une classe de virus qui infectent eux-mêmes les bactéries. Les virus bactériophages, comme on les appelle, ont la particularité de cibler spécifiquement certaines espèces bactériennes. Ces virus ont besoin de la machinerie cellulaire des bactéries pour se reproduire et, ce faisant, détruisent leur hôte. Comme pour les antibiotiques, les bactéries finissent par s'adapter face aux virus. La différence ici, c'est que les virus, eux aussi, s'adaptent à ces nouvelles bactéries si bien que cette coévolution fournit sans cesse de nouvelles armes dans cette lutte aux infections bactériennes.
Il faut préciser que, comme leur nom l'indique, les virus bactériophages n'infectent que les bactéries et non les cellules eucaryotes. Ils sont donc inoffensifs pour notre espèce. L'étude à laquelle fait référence mon article précédent concerne justement cette classe de virus qui infectent des bactéries. Parvenir à les faire évoluer plus rapidement en laboratoire permettrait de disposer de bactériophages face auxquels, les bactéries multirésistantes aux antibiotiques ne seraient pas armées. Certes, elles finiraient par le devenir, mais pas avant que d'autres virus bactériophages nouveaux seraient obtenus en laboratoire de façon à toujours garder une longueur d'avance dans ce duel microbien jusqu'à ce que puissent être obtenus de nouveaux antibiotiques.
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Les enzybiotiques
On est en droit de se questionner sur la possibilité de faire évoluer des virus, même inoffensifs pour notre espèce, et en sélectionner pour les injecter dans le corps humain dans un but thérapeutique. À la différence de ceux utilisés pour un vaccin, ces virus-ci ne sont pas atténués. En fait, la démarche proposée ici suggère plutôt un parallèle avec les vaccins à ARN. Là où ce type de vaccin ne fait intervenir qu'une molécule spécifique du virus, de même des travaux ont permis de n'utiliser qu'une molécule de virus bactériophage. Au lieu de son ARN, c'est une enzyme qui est sélectionnée et qui est conçue pour ne perforer que la paroi de certaines bactéries. L'effet qui en résulte se compare à celui d'un antibiotique et, de ce fait, on nomme cette classe de molécules des enzybiotiques (contraction des mots «enzyme» et «antibiotique»). Ces enzybiotiques présentent donc l'avantage d'un meilleur contrôle de leurs effets dans le corps humain.
L'évolution accélérée sous contrôle en laboratoire des virus bactériophages permettrait donc de sélectionner certaines enzymes des virus obtenus se révélant être les plus efficaces pour infecter les espèces bactériennes les plus résistantes aux antibiotiques et présentant un danger pour la santé humaine, qu'il s'agisse du staphylocoque doré ou d'autres.