Il vous est certainement déjà arrivé qu’un appareil électrique cesse subitement de fonctionner ou encore d’accidentellement briser un objet – hélas, un véritable gâchis! Il ne reste qu’à réparer ou envisager le remplacement – aux dépens de l’impact environnemental. Dans certains cas, la fin était prévisible : l’usure de l’objet était importante et l’objet est devenu fragile. D’autres fois, c’est un coup de pure malchance ou une utilisation inusitée qui a sonné le glas du défunt objet.
Mais au fait, comment est-ce que l’ACV se plie à la réalité, souvent imparfaite, de la vie de nos objets ?
Par Xavier Tanguay, candidat au doctorat au LIRIDE.
Typiquement, une ACV se développe autour d’un scénario où l’on réalise un usage normal du produit. Ceci permet d’ailleurs de se projeter dans le futur, car la véritable gestion en fin de vie et la durée de vie exacte ne sont pas toujours connues au moment où le produit sort de la ligne de production. Cette anticipation permet d’intégrer à une ACV des provisions pour la maintenance et les remplacements. Prenons par exemple un chauffe-eau : pour certains modèles, on peut facilement compter sur une durée de vie de 10 ans avant d’envisager le remplacement. Ceci ne veut pas dire que tout le monde change son chauffe-eau dès 10 ans plus 1 jour depuis sa fabrication (bien qu’il soit recommandé de s’intéresser aux garanties et assurances) !
Heureusement, nul besoin de refaire tout l’ACV pour la durée de vie de chaque chauffe-eau individuellement, car c’est le rôle de l’analyse de sensibilité. Les analyses de sensibilité permettent de voir si les conclusions originales s’inversent lorsque l’on modifie certains paramètres plus difficiles à estimer.
Abonnez-vous à notre infolettre!
Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!
Par exemple, prolonger la vie utile d’une automobile engage plus de cycles de maintenance et plus d’émissions en phase d’opération. Cela étale aussi la contribution de sa production et de sa fin de vie sur plus de kilomètres parcourus. Les analyses de sensibilité offrent aussi l’opportunité de « personnaliser » une ACV pour tenir compte des cas plus spécifiques. Par exemple, utiliser exclusivement des bornes de recharge rapide pour une automobile électrique peut accélérer le vieillissement de ses piles électriques. Une analyse de sensibilité est aussi utile pour tenir compte de l’usage particulier d’un produit (ex. : utiliser du beurre pour ses propriétés caloriques plutôt que pour ses propriétés comme corps gras dans une recette). Bref, l’analyse de sensibilité est l’outil multi-usage pour assurer la flexibilité d’une étude.
Il y a toutefois un enjeu qui n’est typiquement pas considéré dans les analyses de sensibilité : le risque. Le risque est un « danger ou inconvénient plus ou moins probable » [1]. En bref, le risque se décompose en deux : une conséquence qui découle d’un évènement potentiel.
- La conséquence (laquelle n’est pas obligatoirement négative) découle principalement des actions qui suivent l’évènement potentiel. Par exemple, un chauffe-eau qui fuit dans un bassin ne nécessite que l’action de remplacer le chauffe-eau (incluant production, transport et gestion en fin de vie) et de jeter l’eau perdue. Un chauffe-eau qui fuit à même le plancher peut toutefois causer des dommages importants aux éléments de finitions et équipements adjacents – ce qui augmente du même coup le total des impacts environnementaux!
- L’évènement potentiel peut être intégré à une ACV de deux façons. La première consiste à supposer, ou de savoir d’ores et déjà, qu’il survient (ex. : le développement d’une fuite à la base d’un chauffe-eau). Cette approche est particulièrement utile pour évaluer les conséquences (l’impact environnemental) après les faits, ou s’interroger sur ce que pourraient être les conséquences. La seconde approche pour intégrer l’évènement potentiel exige de lui assigner une probabilité (par exemple : en étudiant le comportement de nombreux chauffe-eaux à travers les années, il devient possible d’établir la probabilité de fuite selon un ensemble de conditions d’utilisation). Les conséquences seront alors multipliées par la probabilité de l’évènement. Croiser la probabilité d’un évènement avec ses conséquences est particulièrement utile pour combiner divers évènements potentiels qui ne mènent pas tous aux mêmes conséquences (ex. : trouver la probabilité de réparer ou remplacer un chauffe-eau parce que le thermostat a fait défaut, plutôt que la cuve). Il en résulte une évaluation qui permet d’anticiper un ou plusieurs évènements, tout en tenant compte que certains peuvent entraîner des conséquences importantes, mais avec peu de chances de se réaliser.
Considérer le risque ouvre la porte à prendre des actions en amont pour éviter (ou réduire la probabilité de) l’évènement ou voir à atténuer les conséquences. Ajouter un bassin sous un chauffe-eau contribue à réduire les conséquences. Intégrer un système d’alarme en cas de fuite peut aussi aider à contrôler les conséquences. De façon similaire, une anode sacrificielle remplacée à intervalles convenables contribue à réduire la probabilité que le chauffe-eau soit exposé à faire une fuite. Ces trois solutions ne sont que des exemples pour aider à contrôler le risque. Bien entendu, chacune implique des compromis environnementaux et le potentiel de mise à l’échelle à de nombreux foyers peut aider à les démarquer entre-elles !
L’usage de l’analyse de sensibilité est pratique courante en ACV, mais pas l’inclusion du risque. L’intégration du risque est un sujet qui est au cœur d’un projet de recherche en cours au LIRIDE : les aléas naturels (tremblements de terre, cyclones, feux, etc.) sont des évènements potentiels à faible probabilité, mais avec des conséquences pouvant être importantes sur l’environnement bâti. De plus, il est anticipé que certains aléas naturels vont interagir avec les changements climatiques pour devenir plus fréquents, plus intenses ou même accélérer le vieillissement de certaines structures (les rendant plus vulnérables à s’endommager).
Adapter l’ACV pour tenir compte du risque est donc nécessaire dans la recherche de solutions qui assurent la résilience de l’environnement bâti, tout en luttant contre les changements climatiques - et les impacts environnementaux en général !
[1] https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/risque/69557